Interview de Laurent  Jacquier-Laforge : Directeur de la gestion actions au sein de La Banque Postale Asset Management

Laurent Jacquier-Laforge

Directeur de la gestion actions au sein de La Banque Postale Asset Management

Actions 2014 : nous sommes optimistes sur le potentiel de hausse des actions américaines malgré leur très fort rebond en 2013

Publié le 14 Janvier 2014

Quelle proportion d’actions intégreriez-vous dans un portefeuille équilibré 50-50 ?
Dans un portefeuille 50-50, je mettrais en majorité des actions.
Nous sommes positifs sur la classe d’actifs à la fois en absolue et en relatif.
Si l’on revient sur les performances des marchés actions, depuis le point bas du marché, en mars 2009, la progression des marchés américain et européen, est de l’ordre de 20% par an, en considérant les indices et les dividendes réinvestis. En conséquence, les niveaux des indices actions américains sont supérieurs aux niveaux observés avant la crise, autrement dit en juin 2007. En considérant les dividendes, nous sommes à 40% au-dessus de l’indice de 2007 aux Etats-Unis, à 4% au-dessus en Europe, et à 5% en dessous pour la zone euro. Nous avons ainsi déjà un beau parcours derrière nous.
Si l’on se fie aux ratios cours sur bénéfices (PE ou price earnings) de long terme, nous sommes retournés aux Etats-Unis autour de la moyenne historique. Ce qui n’empêche pas que les valorisations des actions par rapport aux autres classes d’actifs, notamment aux taux, sont toujours attrayantes.
Enfin, une masse importante de liquidités est sortie des marchés actions durant la crise, que l’on estime à environ 2000 milliards de dollars entre 2007 et 2012. Pour la première fois en 2013, la collecte nette a été positive sur les actions.

Selon vous, nous ne serions qu’au début de ce mouvement ?
La collecte nette positive pourrait se poursuivre dans les années à venir en raison de la sous-pondération avérée des actions dans les portefeuilles.

Envisageriez-vous de laisser cette proportion d’action inchangée durant l’année ?

Oui.

En quoi consiste votre allocation géographique ?
L’accélération de la croissance mondiale devrait être nourrie par les pays développés.
L’appréciation du dollar devrait être une tendance majeure tout au long de cette année. Le prix des matières premières devrait demeurer bas du fait du ralentissement de la croissance chinoise. Ces deux derniers éléments sont négatifs pour les pays émergents.
Par conséquent, les flux devraient en premier lieu se positionner sur les actions américaines, européennes et japonaises avant de s’orienter vers les actions émergentes.
Pour notre part, nous surpondérons la zone euro, les Etats-Unis et le Japon au moins sur le premier trimestre. Nous serons plus attentifs ultérieurement en raison du rehaussement de la TVA au Japon en avril. Nous sous pondérons l’Europe ex euro (Royaume-Uni et pays scandinaves) et les marchés émergents sauf la Chine.

Les actions américaines ne vous paraissent-elles pas chères ?
Elles paraissent effectivement onéreuses, mais leur coût est justifié par des attentes de résultats qui devraient être, à notre sens, révisés à la hausse. Il y a encore de la place pour des gains additionnels. Le PIB américain attendu en croissance d’au moins 3% devrait être le principal moteur de la dynamique mondiale.
Les entreprises américaines seront aidées par une désinflation des prix des ressources de base grâce, d’une part au développement important du gaz et du pétrole de schiste et d’autre part, à une demande chinoise en croissance plus faible.

Avez-vous des préférences au sein de la zone euro ?
Notre stratégie de stock picking ne nous amène pas à des discriminations évidentes. Nous avons un biais positif sur la zone Euro.

Quel potentiel de rebond escomptez-vous de part et d’autre de l’Atlantique ?
Sur le marché américain nous attendons une performance de l’ordre de 8%, dividendes inclus. Les bénéfices pourraient croitre de 10%.
Pour le marché européen, le potentiel est évalué à 7%, notamment sous l’impulsion du processus de normalisation des taux des pays dits « périphériques » comme l’Italie, l’Espagne ou le Portugal.

Vous êtes plus optimiste sur les actions américaines que sur les actions de la zone euro ?
Dans la zone euro, les actions ont progressé malgré des résultats des sociétés industrielles en croissance nulle, voire en retrait sur les trois dernières années, ce qui n’a pas été le cas aux Etats-Unis. Hors sociétés financières, les bénéfices par actions devraient ainsi reculer de 3% en 2013 au sein de la zone euro. L’expansion des multiples a été plus forte en Europe qu’aux Etats-Unis.
Seul un accroissement significatif des bénéfices permettra une poursuite de la remontée des actions européennes. Ce sera une condition sine qua non. Le consensus table sur une progression de 18% (dont +30% pour les banques et +16% pour les industriels). Nous corrigeons à la marge cette estimation trop élevée, le point important étant de constater une inflexion significative pour les résultats des entreprises hors financières.
70% des résultats des sociétés américaines sont générés sur le territoire domestique, contre 50% pour les sociétés européennes qui réalisent, quant à elles, selon nos estimations environ 20% de leur chiffre d’affaires aux Etats-Unis et 30% dans les pays émergents. Les résultats des sociétés européennes seront donc influencés par l’évolution de la conjoncture et des devises des pays émergents.

Vous anticipez une hausse des actions chinoises ?
Probablement, car les réformes engagées par le nouveau gouvernement sont nécessaires pour résoudre les problèmes de surchauffe, d’inflation, d’excès de crédit. Par ailleurs, la valorisation du marché chinois est à des niveaux historiquement faibles.

En quoi consiste votre exposition sectorielle ?
Nous privilégions la consommation discrétionnaire comme l’automobile. Nous surveillons aussi l’industrie, les équipements informatiques et technologiques car les capacités de production pourraient laisser apparaître des zones d’obsolescence par rapport aux besoins de l’économie.
Nous sommes également positionnés sur les financières en privilégiant les assurances aux banques. Nous ne mettons pas en cause la bonne santé des établissements bancaires et l’assainissement devrait se poursuivre. Cependant, la rentabilité attendue ne justifie pas toujours l’engouement massif sur ce secteur et pensons que la prime de risque a déjà été grandement consommée.
Nous restons à l’écart des "utilities", des secteurs défensifs comme l’agroalimentaire et des pétrolières et parapétrolières.

Quels risques principaux identifiez-vous pour l’instant ?

Nous pouvons distinguer cinq risques, trois défavorables et deux favorables aux actions.

Pour ce qui est des risques négatifs, nous pourrions avoir un dérapage des taux d’intérêt américains. L’activité est un peu plus puissante que ce qu’attendait la Fed. Celle-ci pourrait se révéler en retard sur le cycle. L’interrogation porte sur la position qu’auront les nouveaux membres du FOMC par rapport à la politique de taux. Un relèvement plus tôt que prévu des taux d’intérêt, en raison d’un embellissement de la toile de fond macroéconomique plus marqué, pourrait mettre un coup d’arrêt au rallye des actions.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas exclure le risque d’un accident sur une dette ou une monnaie émergente du fait de la force du dollar ou du ralentissement de l’activité dans ces régions du monde. Des pays comme l’Indonésie, le Brésil, la Turquie ne sont pas à l’abri.

Enfin, nous surveillerons le risque d’occurrence sur le crédit en Chine en raison du l’importance du shadow banking.

Parallèlement à ces trois menaces, nous pouvons envisager deux sources de surprise positive. Tout d’abord, un rebond des marchés émergents plus rapide que prévu du fait de l’effet multiplicateur de la croissance mondiale. Ensuite, un redémarrage plus vigoureux qu’attendu du cycle des fusions acquisitions. La liquidité est abondante, les taux sont encore bas, le sentiment de confiance est meilleur, quelques opérations d’envergure pourraient permettre d’enclencher un nouveau cycle de M&A. Cela fait plusieurs années que nous vivons avec un volume d’opérations à un niveau historiquement bas.

Propos recueillis par Imen Hazgui