Interview de Frédéric Rollin : Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet & Cie

Frédéric Rollin

Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet & Cie

Actions 2014 : nous sommes particulièrement optimistes sur les marchés émergents, notamment la Chine, la Russie, et le Brésil

Publié le 15 Janvier 2014

Quelle perception avez-vous de la classe actifs actions en ce début d’année ?
Nous sommes positifs.

Si l’on devait hiérarchiser, nous mettrions en haut du classement les actions émergentes, puis les actions japonaises, les actions européennes et en dernier lieu les actions américaines.

Nous escomptons des performances de 5% à 10% pour les actions européennes et américaines. Elles seraient avant tout la conséquence des progressions des bénéfices. Compte tenu de la hausse des taux obligataires, sous l’influence du processus de normalisation de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine, nous devrions parallèlement avoir une légère contraction des multiples.
La performance des actions japonaises pourrait avoisiner les 10% et celle des actions émergentes se situer entre 15% et 20%.

Comment expliquez-vous ces potentiels de hausse ?

Nous prévoyons une croissance synchronisée au niveau mondial. La dynamique devrait être plus forte aux Etats-Unis, grâce à une reprise des investissements, une moindre pression fiscale, une bonne tenue du marché immobilier.
En Europe, le redémarrage devrait se maintenir mais sera freiné par la contraction du volume de crédit, une politique monétaire insuffisamment accommodante, une politique budgétaire encore austère bien que moins sévère. Les taux des pays périphériques devraient poursuivre leur convergence grace au recul du risque systémique.

Au Japon, le rebond économique devrait être similaire à celui de l’année dernière. Le retour en forme du Japon est patent depuis 2011, le principal signe étant la reprise du crédit : les emprunteurs ont retrouvé de l'appétit. L'élan donné par le gouvernement de Shinzo Abe a enfoncé le clou. Le Japon sort enfin de deux décennies de faible croissance. Les entreprises Japonaises en bénéficieront largement.

Vous êtes particulièrement optimiste sur les marchés émergents. Pourquoi ?

La crise émergente que nous avons vécue en mai est surtout une crise de taux liée à la Fed. Le taux de rendement des pays qui ont un compte courant déficitaire, et qui sont tombés sous les foudres des marchés, ont évolué en fonction du niveau des taux d’Etat américains jour pour jour. Les actifs émergents ont été vendus par comparaison à des taux américains plus rémunérateurs.

Nous n'anticipons pas de spirale négative sur les économies émergentes. Un rebond devrait même se dessiner cette année tiré par la Chine, les Etats-Unis et l’Europe. Celui-ci devrait être aidé par le sévère réajustement des devises et le gain en compétitivité en découlant. Selon nos propres calculs, l’effet stimulant de la baisse des devises a été généralement plus fort que l’impact récessif des hausses des rendements obligataires.

Nous devrions par conséquent retrouver en 2014 de la croissance bénéficiaire.

Nous sommes d’avis qu’une fois que la réduction du programme d’achat de la Fed sera digérée par le marché, l’accalmie devrait retomber et permettre une sélection au sein de l’univers des émergents.

Quels pays émergents aimez-vous en particulier ?

Nous apprécions la Russie qui devrait bénéficier du rétablissement de la croissance mondiale par une hausse des prix des hydrocarbures. La politique de distribution des dividendes des sociétés est, en outre, plus forte dans ce pays.
Nous aimons bien également la Chine où le nouveau gouvernement semble avoir pris les choses en main et a la ferme intention de maintenir une croissance robuste. Les réformes envisagées nous paraissent convaincantes. Le Brésil devrait profiter de l’élan de la Chine qui est son premier client.

L’Inde est un marché traditionnellement plus onéreux dont nous restons plutôt à l’écart.

Comment justifiez-vous votre engouement pour les actions japonaises malgré les fortes incertitudes qui pèsent sur l’état de la consommation domestique ?

Au-delà valorisations encore modérées en termes de prix de l'action sur actifs détenus, les actions japonaises devraient profiter d’une embellie économique et d’incitations fiscales ou réglementaires visant à pousser les investisseurs domestiques-fonds de pension et particuliers-à acquérir plus de titres.

La hausse de la TVA devrait avoir pour effet un premier semestre difficile. Le stimulus budgétaire censé être voté en février devrait cependant permettre de contrebalancer les effets négatifs ressentis, dans le courant de deuxième partie d’année.
Qui plus est, la Banque centrale du Japon est destinée à poursuivre sa politique très expansive. Les taux resteront bas, proches de 0 ce qui facilitera la demande de crédit, les projets d’investissement. La liquidité demeurera abondante.

Un nouveau plan d’épargne doté d’avantages fiscaux dans lequel les Japonais pourront investir 1 million de yens est mis en place. Aujourd’hui plus de la moitié de l’épargne japonaise est investie dans le monétaire qui perd énormément de sa pertinence avec la hausse de l’inflation. La part des actions est seulement de 8%.

Avez-vous des préférences en Europe ?

En Europe, il est préférable de sélectionner en termes de secteurs et de valeurs qu’en termes de pays. A présent, on observe un net redressement de la situation en Espagne.

Qu’en est-il de votre répartition sectorielle ?
Nous mettons l’accent sur les valeurs cycliques au détriment des valeurs défensives. Les bénéfices des premières devraient suivre le cycle économique. Les secondes devraient davantage souffrir de la hausse des taux. Les actions défensives s’accompagnent d’un versement de dividendes réguliers, ressemblant en cela à des obligations.

Au sein des cycliques nous misons sur les valeurs technologiques qui vont bénéficier de la reprise de l’investissement et le secteur des "matériaux" (matières premières, chimie), en retard en termes de valorisation.

Dans les utilities des opportunités sont à saisir dans le secteur de l’eau qui connait une croissance séculaire.

Nous sommes neutres sur les bancaires. Elles ont réalisé une grande partie du chemin.

Nous ne sommes pas positifs sur l’or. La possibilité d’investir sur du 3% de taux américain n’incite pas à investir dans des métaux précieux (qui ne détachent pas de coupons).

Quels sont les principaux risques pour les marchés actions identifiés à ce stade ?

Un premier risque est une revalorisation de l’euro par rapport au dollar liée à un manque de réaction de la Banque centrale européenne. Nous sommes dans une période de contraction du crédit en Europe avec une inflation en baisse et un euro fort. Si cela continuait, la zone euro aurait plus de difficulté à bénéficier de la reprise économique mondiale. Cela prolongerait la morosité européenne et serait néfaste pour les actions.
L’inflation core et les données de la BCE sur le crédit sont des paramètres à surveiller de près. N'oublions pas que la déflation japonaise a été fortement liée à la contraction du crédit. Ce qui est important c’est que l’inflation ne tombe pas à un niveau inférieur à zéro. Une inflation négative rend inopérante une politique monétaire classique et tend à reporter les décisions d'investissements et d'achats.

Au cours des 5 dernières années, la croissance du crédit en Chine a été beaucoup plus importante que la croissance économique. Le gouvernement a la tache difficile de discipliner les octrois de crédit tout en maintenant une économie flortissante. Il faudra suivre l'évolution des volumes de crédit et celle de la production industrielle.

La fonction de réaction du marché par rapport à la Fed et la capacité de celle ci à maintenir une certaine crédibilité dans sa forward guidance seront également des éléments cruciaux à observer. Si l’on commence à avoir des signes annonciateurs d’une inflation des biens ou des actifs très élevée, la Fed risque de perdre sa marge de manœuvre et sera contrainte d’accélérer son processus de normalisation. Cela ne correspond toutefois pas à notre scénario central.

Propos recueillis par Imen Hazgui