Interview de Arnaud Tourlet : Gérant chez HSBC Global Asset Management (France)

Arnaud Tourlet

Gérant chez HSBC Global Asset Management (France)

Actions françaises 2014 : nous mettons l'accent sur les valeurs financières, les valeurs télécoms, les valeurs de services aux collectivités, les valeurs de grande distribution, les valeurs de SSII

Publié le 05 Février 2014

Que vous inspire le marché des actions françaises à l’heure actuelle ?
Les valorisations sont proches des moyennes historiques de long terme. Pour avoir une hausse supplémentaire des cours de bourse il est nécessaire d’avoir une progression des bénéfices. D’autant plus que celle-ci a été nulle ces deux dernières années.
Le consensus des analystes table sur un accroissement des bénéfices d’environ 10% cette année. Nous pourrions vraisemblablement nous retrouver entre 5% et 7%.
Le contexte économique est en amélioration depuis neuf mois. Il y a toujours un temps de décalage entre les statistiques économiques et les résultats des entreprises. Nous devrions bientôt voir l’embellie macroéconomique se répercuter dans de meilleurs chiffres microéconomiques.

Hormis les bénéfices, quels catalyseurs pourraient aider les différents segments du marché à performer ?
Il devrait y avoir un effet de flux sur le segment des small et mid caps du fait que beaucoup sont des entreprises de croissance et également en raison de la multiplication des fonds PEA PME.
Difficile de prévoir si les flux seront également abondants sur les large caps.
Les opérations de fusion- acquisition pourraient en théorie s’intensifier dès lors que les valorisations ne sont pas trop élevées. Je ne tablerais cependant pas sur cela.

Pour quelles raisons ?
Historiquement les mouvements sont constatés en haut de cycle lorsque les valorisations boursières sont plus hautes et que la croissance est plus forte afin de permettre aux dirigeants d’entreprises de justifier les rachats par rapport à leur conseil d’administration et au marché financier.

D’aucuns estiment pourtant que des facteurs propices sont réunis ?

Les taux de refinancement ne me paraissent pas être une variable clé. Cela fait longtemps qu’ils sont bas. Si la visibilité est meilleure, la reprise demeure fragile. Dans la zone euro, le PIB devrait progresser d’un peu plus de 1%, ce qui n’est pas beaucoup. Les valorisations ne permettent pas un effet relutif suffisant des opérations.

Aucun secteur ne devrait sortir du lot ?
On attend des opérations dans le secteur des télécoms, au niveau européen, mais ce n’est pas si évident que cela au niveau français.

Que penser de l’appui sur les cours de bourses des autres opérations capitalistiques telles que les rachats d’actions ou les cessions d’actifs ?
Ces autres opérations capitalistiques sont plausibles mais ne devraient pas entrainer de différence notable par rapport aux années passées. Elles ne constitueront pas un moteur a proprement parler.

Quel est selon vous le potentiel de performance des actions françaises cette année ?
On ne table pas sur un rebond par une remontée des PER. Le rallye sera en théorie égal à la hausse des bénéfices plus les dividendes qui équivalent à 3,5%-4%. Cela pourrait nous donner une performance de 8%-9%.

Qu’en est-il de votre allocation d’actifs ?
Nous continuons à préférer les valeurs décotées et les valeurs domestiques, exposées à l’économie européenne. Cela nous amène à mettre l’accent sur les valeurs financières, les valeurs télécoms, les valeurs de services aux collectivités, des valeurs de grande distribution, des valeurs de SSII.

Certains estiment que ces valeurs ont déjà bien remonté l’année dernière ?
Ces valeurs ont bien récupéré en 2013 mais elles avaient été très affectées en 2010, 2011 et 2012. Le rattrapage n’est pas terminé dans la mesure où elles sont encore moins chères que la moyenne du marché.

Comment appréhendez-vous le risque de déflation ?
La BCE a montré sa détermination à intervenir en cas de menace importante. Elle ne restera pas les bras croisés si le risque de déflation s’accentue.

Ne pensez vous pas qu’il y a un écart entre la volonté affichée par la BCE de ne pas rester inactive et sa marge de manœuvre très limitée. Il n’est pas si évident d’avoir un taux de rémunération des dépôts négatif, un LTRO spécifique, ou encore un programme de quantitative easing ?
La BCE a su prouver qu’elle était en capacité d’adopter un certain nombre de mesures que l’on ne soupçonnait pas.
L’enjeu n’est pas aujourd’hui d’injecter des liquidités, mais de faciliter l’accès aux crédits pour les entreprises, ce qui pourrait avoir un impact sur la croissance et augmenter l’inflation. L’institution monétaire va bientôt être responsable de la supervision de toutes les banques de la zone euro. Si elle veut inciter les banques à davantage prêter, elle peut le faire en assouplissant les règles des stress tests ou encore de l’audit des actifs détenus au bilan.

Nous pourrions avoir un problème de crédibilité en conséquence ?
Un juste équilibre est à rechercher. Depuis trois ans, les banques ont durci leurs conditions d’octroi des prêts, ont trouvé appui dans des LTRO d’envergure, ont vu leur taux de refinancement considérablement diminuer et ont sensiblement renforcé leurs fonds propres. Elles sont désormais dans une situation financière solide.
On peut penser que si les régulateurs relâchaient la pression au niveau du ratio de solvabilité, les banques pourraient être incitées à prêter plus aux entreprises qui ont en besoin, ce qui pourrait avoir un impact sur la croissance des sociétés et limiter les risques de déflation.

Quelles sont les valeurs que vous évitez ?
Les valeurs qui sont un peu chères et qui ont une grande exposition aux pays émergents : des valeurs du secteur agroalimentaire, du secteur de la boisson, du secteur de la santé, du secteur du cosmétique, du secteur du luxe.

Quels principaux risques surveillez-vous dans votre radar ? Craignez vous qu’il y ait trop de flux par rapport à des fondamentaux insuffisamment sains ?
Ce n’est aujourd’hui pas du tout le cas. On peut s’attendre à une poursuite du retour des investisseurs étrangers sur la zone euro en raison du redressement macro et des valorisations pas chères, mais je ne pense pas que cela soit de nature à amener à la création d’une bulle.

Une préoccupation est soulevée par rapport au nouveau PEA PME d’une éventuelle ruée des investisseurs vers les mêmes valeurs liquides et à forte visibilité ?
Cette ruée concernerait très peu de valeurs, une dizaine tout au plus, pas de quoi créer une bulle.
Je pense qu’il y a beaucoup d’attentes autour du PEA PME. Dans un contexte de volatilité des marchés, la nervosité des investisseurs devrait atténuer les afflux violent d’argent vers les small caps.

Quelle vision avez-vous du risque de change ?
Le dollar et l’euro devraient continuer tous deux à être forts. D’un coté la croissance est relativement robuste et de l’autre la balance courante est positive.
Le principal phénomène que nous avons sur les devises intéresse les pays émergents. Les répercussions devraient être foncièrement négatives sur les comptes des entreprises. Cependant cela est bien anticipé par le marché. Les entreprises les plus exposées aux devises émergentes souffrent déjà beaucoup en bourse.

Quid du risque de déception politique relativement aux différentes annonces faites par le gouvernement en début d’année ?
Le marché français ne fait pas mieux que la moyenne de la zone euro. Il n’y a pas d’anticipation forte de nouvelles sur le plan des réformes politiques dans le pays. Nous ne pouvons donc pas vraiment craindre des déceptions.
Nous pourrions toutefois avoir des surprises positives avec des mesures soutenant l’activité des entreprises, comme une diminution de l’impôt sur les sociétés.

Un autre risque phare est selon vous lié à la situation en Chine ?
Un ralentissement est clairement constaté au sein de la deuxième puissance mondiale. Il y a une incertitude sur la capacité du pays à gérer le ralentissement de la croissance. Le danger nous semble limité à court terme du fait des réserves de change colossales dont disposent les autorités pour si besoin soutenir la consommation interne ou les investissements.

Propos recueillis par Imen Hazgui