Interview de Christopher  Dembik : Analyste financier chez Saxo Banque

Christopher Dembik

Analyste financier chez Saxo Banque

L'intention déguisée de la Chine derrière la récente baisse du cours de sa devise

Publié le 03 Mars 2014

Quel regard portez-vous sur la baisse du yuan de ces derniers jours ?
La baisse du yuan n’est pas en soi une surprise. En fin d’année dernière, le gouverneur de la Banque centrale de Chine avait prévenu à la suite du plénum du Comité central du parti communiste qu’il y allait certainement y avoir un élargissement de la bande de fluctuation de la devise.

Quel est l’objectif de la Banque centrale de Chine ?
L’objectif officiel affiché est celui de parvenir à un taux de change flottant. La Banque centrale inscrit ainsi son action dans le cadre d’un processus enclenché depuis longtemps.
D’autres volontés sont cependant vraisemblablement sous-jacentes à la dépréciation du yuan.
C’est une manière pour le pays de faire face à l’affaiblissement des autres devises émergentes et de répondre au maintien d’une politique très accommodante de la part des grandes banques centrales occidentales. C’est également une façon d’atténuer les flux spéculatifs entrant sur le territoire.

Ceci étant, lorsque l’on garde à l’esprit que les autorités chinoises ne raisonnent pas sur du court terme, mais déploient une stratégie sur un long horizon, on peut considérer que l’intention déguisée est surtout d’avoir une marge de manœuvre plus importante pour garder un certain avantage compétitif qui permette de soutenir la croissance économique censée s’avérer bien plus faible dans quelques années, ce afin de conserver la paix sociale dans le pays.

Que voulez-vous dire ?

Si la croissance économique est destinée à s’établir à 7% cette année, elle devrait tomber vers les 5% d’ici trois ans en conséquence du changement de modèle économique du pays davantage tourné vers la consommation intérieure.
L’élargissement de la bande de fluctuation est de nature si ce n’est à renverser, tout du moins à sensiblement ralentir l’appréciation du yuan.

De quelle manière ?
La Banque centrale agira de manière à ce que la volatilité du yuan aboutisse in fine davantage à une stagnation voir une dépréciation du cours du yuan plutôt qu’une appréciation.

Vous faites donc un lien direct entre le ralentissement de l’économie chinoise et la baisse du yuan ?
Oui.

Pensez-vous que le reste de la communauté internationale laissera faire la Chine sans répondre ?

La volatilité suppose que le cours yuan est susceptible de bouger dans les deux sens, à la hausse et à la baisse. Politiquement, la Chine qui est contrainte d’apprécier sa devise ne se positionne pas en porte à faux. Elle ne peut pas être blâmée par les autres grandes puissances économiques d’une dévaluation manifeste de sa monnaie, en premier lieu desquelles les Etats-Unis.

On peut légitiment croire que les autorités occidentales ne seront cependant pas dupes ?
Elles ne le seront sans doute pas. Toutefois elles ont peu d’outils à leur disposition pour riposter face au dumping de la Chine vis-à-vis de sa monnaie.
Aux Etats-Unis, nous avons eu par le passé de simples déclarations et des lois qui n’ont finalement pas été adoptées du fait du lourd poids de la Chine dans les échanges commerciaux ou dans la détention des titres de Trésor des Etats-Unis.
Quant à l’Europe, elle n’est pas vraiment audible en Chine.

La bande de fluctuations est actuellement de plus ou moins 1% par rapport au taux de change de référence de la Banque centrale. Quelle variation attendez-vous ?
Elle pourrait être élargie à plus ou moins 2% d’ici la fin du premier semestre. Nous resterions ainsi dans l’évolution à petits pas qui caractérise la Chine.

L’accroissement de la fourchette à 2% se fera-t-il en deux étapes ? La Chine s’arrêtera-t-elle à 2% ?

Je pense que la Banque centrale procèdera à un accroissement de la bande de fluctuation à + ou - 2% en une seule fois.
Je suis d’avis que l’institution monétaire ne s’arrêtera pas à 2%. En théorie, nous pouvons penser que le yuan pourra devenir totalement flottant une fois que la fourchette de volatilité aura atteint + ou - 3%. Cette cible ne sera pas atteinte avant quelques années. Il y aura donc très probablement d’autres étapes intermédiaires.

A quelles conséquences immédiates doit-on attendre de cet élargissement sur le marché des devises ?
Les conséquences immédiates seront assez limitées dans la mesure où la devise chinoise n’est pas totalement convertible.

Propos recueillis par Imen Hazgui