Interview de Pierre Gattaz : Président du Medef

Pierre Gattaz

Président du Medef

Il y a un lien direct entre la compétitivité des entreprises et l'emploi

Publié le 04 Mars 2014

Pour la Tribune Sciences Po de l’immatériel 2013-2014, dirigée par Marie-Ange Andrieux/ Interview conduite avec l’étudiante Sciences Po Elise Issoulié.

Le capital humain est-il un facteur de compétitivité des entreprises françaises face aux enjeux de croissance et de concurrence internationale ?

Oui bien sûr, vous connaissez l’aphorisme de Jean Bodin « il n’est de richesses que d’hommes ». Cinq siècles après, cet aphorisme se vérifie toujours. Et plus particulièrement aujourd’hui où le travail qualifié est un facteur de succès de l’économie des pays. D’ailleurs la qualité et la « valeur ajoutée » des salariés français sont reconnues et appréciées dans le monde entier. Le salarié, c’est réellement ce qui fait la différence, vous pouvez avoir les meilleurs concepteurs, si vous n’avez pas la compétence de l’ingénieur et le savoir-faire de ses équipes pour passer du projet à la réalisation, cela ne sert à rien. Au sein du Medef, nous avons d’ailleurs plusieurs commissions et comité chargés de travailler sur les moyens d’améliorer la vie, le statut, l’avenir des salariés et de valoriser l’apport considérable qu’ils amènent à la création de richesses, à l’économie en général. Nous sommes tellement convaincus de la valeur de cette richesse humaine que nous l’avons incluse dans notre projet prospectif « 2020-faire gagner la France », comme facteur de compétitivité.

Qu’avez-vous entrepris concrètement au Medef pour valoriser le capital humain des entreprises au service de la compétitivité et de la performance ?

Nous avons travaillé sur plusieurs fronts, d’amont en aval en couvrant tout le champ de la vie professionnelle. En amont, en renforçant les passerelles avec l’Education Nationale et en développant l’apprentissage. On a besoin d’apprentis, c’est fondamental. Nous avons rendu public un « Pacte de l’alternance pour la jeunesse». Notre idée est de donner un avenir aux jeunes qui manquent d’appétence pour l’acquisition théorique des connaissances ou souhaitent les compléter avec un savoir-faire. L’apprentissage, c’est aussi l’acquisition d’un savoir vivre au sein d’une entité d’adultes. En aval, nous avons ouvert une négociation sur la formation professionnelle qui a abouti à une réforme majeure. Avec cet accord, le salarié pourra bénéficier, grâce à la formation continue, de compétences élargies, sans cesse renouvelées et transférables qui lui permettront de conserver son employabilité et la maitrise de son avenir quelle que soit l’évolution du monde professionnel, bref de rester propriétaire de son « capital humain ». Une réforme essentielle et nécessaire, sachant que près d’un jeune sur deux travaille déjà dans un métier ou un secteur pour lequel il n’a pas été spécifiquement formé. Le « lean management » que, par ailleurs, j’ai instauré au sein de mon entreprise et pour lequel je milite au sein du Medef relève également de cette démarche qui rend le salarié responsable de sa production. Toutes ces initiatives s’inscrivent dans la lutte que nous menons en priorité contre le chômage, notamment le chômage des jeunes qui est un drame et un scandale.

Votre campagne « 1 million d’emplois » s’inscrit-elle dans cette perspective ?
Notre priorité, c’est de maintenir et développer l’emploi mais aussi d’en créer. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé notre campagne « 1 million d’emplois ». Créer un million d’emplois en cinq ans, c’est ramener notre taux de chômage de 11 % à 8,9 % en 2018, c’est un objectif réaliste. Au Medef, nous n’avons qu’un objectif, l’emploi, et une volonté : faire baisser le chômage. C’est l’objet de cette démarche et, nous l’espérons, le sens du Pacte de responsabilité: le gouvernement nous donne un environnement propice au développement des entreprises et nous nous employons à tout mettre en œuvre pour créer des emplois. Au-delà, c’est toute une dynamique qui doit se mettre en mouvement, la lutte contre le chômage doit être un objectif national, tout le monde doit se sentir concerné, au-delà des clivages politiques, depuis les enseignants jusqu’aux acteurs de l’économie.

Concrètement, quelles sont vos pistes ?
Nous travaillons avec nos branches professionnelles qui ont l’expertise nécessaire qu’il s’agisse des besoins ou des opportunités. Il y a des poches d’emploi non pourvues et des opportunités que nous devons susciter, par exemple en incitant et en aidant les entreprises à exporter. Pour cela, il faut que les entreprises françaises retrouvent l’ambition de l’international et travaillent sur leurs propres facteurs de compétitivité : l’innovation, la relation client, le management, l’excellence opérationnelle et la montée en gamme. Le Medef a déjà défini des plans d’action pour les accompagner en ce sens, avec notamment la création du Pôle « Exportations et Filières ». Et il y a bien sûr le numérique. Le numérique est un vivier considérable d’emplois présents et à venir, directs et indirects, compatible avec toutes les formations, courtes, longues, en alternance… C’est une opportunité majeure pour les jeunes, et notamment pour les 140 000 « décrocheurs » qui sortent chaque année du système scolaire sans qualification. Les nouvelles technologies ont un effet d’entrainement positif dans toute l’économie, s’immiscent dans tous les secteurs d’activité : le tourisme, la santé, la dépendance, le bâtiment … Et ce n’est qu’un aspect de la révolution en cours qui va modifier radicalement la vie quotidienne avec le développement des nanotechnologies, de la robotique, de la biotechnologie. La dimension numérique est d’ailleurs l’un des défis que nous voulons relever, elle figure en première place dans notre projet « 2020 Faire gagner la France », à côté d’autres filières, du tourisme à la « silver économy ».

Quelles mesures attendez-vous des pouvoirs publics pour un environnement favorable à ces bonnes pratiques permettant de valoriser le capital humain et la compétitivité des entreprises françaises ?
Pour « inverser la courbe du chômage », il n’y a qu’une solution : l’Entreprise. A condition toutefois qu’elle soit compétitive, il y a un lien direct entre la compétitivité des entreprises et l’emploi. Les entreprises françaises acquittent aujourd’hui 116 milliards de plus que leurs homologues allemandes, nos principaux concurrents, en cotisations, charges et impôts. Difficile dans ce contexte de dégager des marges pour investir, innover, former et donc avoir une offre de qualité à un prix compétitif. C’est la raison pour laquelle nous demandons une baisse significative des prélèvements obligatoires. C’est à cette seule condition que l’entreprise peut se développer et créer de l’emploi. L‘emploi, c’est comme la croissance, ça ne se décrète pas, ça se prépare. En s’attachant à développer les compétences du salarié en fonction de l’évolution du monde, l’entreprise fait de lui un être humain autonome et responsable dont la définition ne se limite pas à celle de capital humain.

Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications de Bretagne et titulaire d’un « Certificate in Administrative Management » à Georges Washington University (USA), Pierre Gattaz est ingénieur d’affaires et chef de projet export chez Dassault Electronique de 1984 à 1989. De 1989 à 1992, il est directeur général de Fontaine Electronique, puis de Convergie. Pierre Gattaz devient directeur général de Radiall en décembre 1992 et en est le président du Directoire depuis janvier 1994. Président du GIXEL (Groupement des Industries de l’Interconnexion, des composants et des sous-ensembles électroniques) de 1999 à 2003, il est président fondateur de la FIEN (Filière des Industries Electroniques et Numériques) de 2002 à 2007, avant d’être élu président de la FIEEC (Fédération des Industries Electriques, Electroniques, et de Communication) en 2007, date à laquelle il intègre le Conseil exécutif du MEDEF (Mouvement des Entreprises de France) jusqu’à juillet 2013. A ce titre, il est membre du bureau de l’UIMM de 2007 à 2013. De juillet 2010 à juillet 2013, il est également président du GFI (Groupe des Fédérations Industrielles), membre du bureau du CNI (Conseil National de l’Industrie) et membre fondateur de la Fabrique (Think Tank de l’Industrie). Pierre Gattaz est élu président du MEDEF le 3 juillet 2013. Il est Chevalier de la Légion d’honneur et Officier dans l’Ordre National du Mérite.


-