Interview de Rachid  Medjaoui : Directeur adjoint de la gestion au sein de La Banque Postale Asset Management

Rachid Medjaoui

Directeur adjoint de la gestion au sein de La Banque Postale Asset Management

Tant que la BCE n'a pas de visibilité claire sur la santé des banques de la zone euro, elle n'est pas en mesure de prendre la décision qui s'impose

Publié le 31 Mars 2014

Quelle vision avez-vous de ce qui se passe dans la zone euro ?
Le risque de déflation est réel et devrait perdurer encore un moment, même si nous tablons sur le fait qu’il ne devrait pas se concrétiser.

Que prévoyez-vous du côté de la BCE ?
Cela fait plusieurs mois que de nombreux observateurs, nous y compris, escomptons une dépréciation durable de l’euro contre le dollar. Pour le moment ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé. Je ne suis pas certain que nous ayons dans les mois à venir une évolution marquée de la parité dans un sens ou dans un autre.
Pour avoir un changement prononcé du cours de l’euro, il faudrait un élément de surprise provenant de la Fed ou de la BCE. Ainsi, soit la Fed annonce un avancement de son calendrier de relèvement de taux en raison de la force de la croissance économique, soit la BCE signale une décision pour soutenir l’économie de la zone euro et augmenter l’inflation.

Pourquoi la BCE n’a pas agi malgré l’atonie de l’inflation et l’appréciation de l’euro non seulement contre le dollar et toutes les autres grandes devises ?

Je l’explique par l’audit de la qualité des actifs dans le bilan des banques de la zone euro. A ce jour, il n’y a pas de problème de liquidité au sein de l’union monétaire. Nous ne sommes plus dans une situation de stress, les taux obligataires des pays périphériques ayant grandement reculé.
Ce qui pose difficulté, en revanche, c’est la fragmentation du marché du crédit bancaire, autrement dit le fait que les taux proposés par les banques aux entreprises, notamment petites et moyennes, ne soient pas les mêmes en fonction du pays dans lequel ces entreprises sont implantées. Le prochain geste de la BCE devrait avoir pour but d’aboutir à un relatif alignement des taux bancaires.
Tant que la BCE n’a pas de visibilité claire sur la santé des banques, notamment des pays du sud, elle n’est pas en mesure de prendre la décision qui s’impose pour réveiller le crédit dans l’ensemble de la zone euro et stimuler ainsi la croissance.

Quelle forme devrait prendre son intervention ?
Je ne crois pas qu’elle se livrera à une baisse des taux, car ce ne serait pas une solution au problème. Nous pourrions en revanche avoir une mesure d’assouplissement quantitatif.

Qu’escomptez-vous s’agissant du taux à dix ans allemand et des écarts entre ce taux allemand et les taux italien et espagnol ?
Nous nous attendons à ce que le Bund remonte entre 2% et 2,25% à horizon de 12 contre 1,57% aujourd’hui, du fait de la faible reprise, de la maigre inflation, de l’absence de rendement et du possible geste d’assouplissement de la BCE.

Les niveaux des écarts de rendement de l’Espagne et l’Italie que nous avions fixés pour la fin de l’année ont déjà été atteints. Néanmoins il reste du potentiel si les nouvelles concernant la zone euro continuent à être positives. Nous n’escomptons pas les mêmes spreads qui prévalaient avant la crise de la zone euro, entre 30 et 40 points de bases, la discrimination entre pays étant destinée à persister. Nous avons fixé une cible de 1% à horizon 2017. Si les investisseurs continuent de plus en plus à rejeter l’hypothèse d’une implosion de la zone euro, nous pourrions aller plus rapidement vers cette cible, probablement dès 2015.

Comment expliquez-vous votre cible de 1% ?
Juste avant la crise de la zone euro, les spreads avaient subsisté un certain temps autour de 100 points de base. Nous faisons également l’analogie avec les spreads des provinces canadiennes et des provinces australiennes, vis-à-vis des obligations de leur Etat fédéral, qui reflètent des différences de liquidités et des degrés de risque.

Qu’est ce qui pourrait accélérer la contraction des spreads ?

Des informations favorables sur l’union bancaire. Même si les grandes lignes de l’accord trouvé dernièrement sur le volet résolution peuvent être discutées, il marque un véritable saut dans le fédéralisme. Des éléments concernant la nomination du futur président de la Commission européenne peuvent également peser. Est pressenti à ce poste, Martin Schulz, favorable à la mutualisation des dettes des Etats membres de la zone euro, au-delà de 60% en contrepartie de l’affectation d’une partie des recettes fiscales nationales. Les agences de notation pourraient apporter leur pierre à l’édifice ce qui inciteraient de nombreux investisseurs institutionnels encore sous investis à revenir. Ainsi récemment non seulement Moody’s a changé sa perspective sur la note de l’Espagne, mais il l’a aussi rehaussée d’un cran.

Vous n’excluez pas pour autant une correction sur cette classe d’actifs ?
Depuis l’été, la classe d’actifs qui performe les autres, en absolue et encore plus ajusté du risque, c’est la dette des pays périphériques. Le risque de correction ne peut pas être exclu mais nous ne devrions pas avoir un nouvel écartement des spreads excessif. Nous serons plutôt conduits à profiter de ce mouvement pour renforcer nos positions.

Quelle appréciation faites-vous des risques pour les marchés liés aux pays émergents ?
Il y a trois risques relatifs aux pays émergents. Tout d’abord un risque de nature macroéconomique. Le ralentissement de la Chine est plus puissant que prévu. Un second risque est financier et intéresse le processus de désendettement en Chine suite au combat mené contre les véhicules de financement très spéculatifs, d’où le défaut de certains émetteurs et la dépréciation du yuan. Nous sommes d’avis que les autorités chinoises n’hésiteront pas à intervenir pour éviter le dérapage, en s’appuyant sur les 4000 milliards de dollars de réserves.
Le troisième risque concerne l’ampleur des déficits des balances de paiement de certains pays émergents comme la Turquie ou le Brésil. Les interrogations sur leur capacité à restaurer leur déficit externe ont provoqué une chute de leurs devises. La visibilité reste assez faible, d’autant plus que ces pays vont connaître des élections importantes en 2015. Pour autant, nous observons déjà quelques signes d’amélioration dans les pays qui ont pris des mesures énergiques pour rassurer les marchés. C’est le cas notamment de l’Inde, dont la diminution du déficit externe a permis une réappréciation de la roupie. Par ailleurs, l’accélération de la croissance dans les pays développés devrait soutenir les exportations de ces pays à partir du second semestre.

Selon vous, il ne faut toujours pas revenir de manière structurelle sur les émergents ?
Les ajustements internes ne sont pas terminés et la perspective du virage monétaire aux Etats-Unis sera une épée de Damoclès. Pour autant, des rebonds techniques sont possibles à court terme.
Nous avons également réduit les pondérations sur certaines valeurs européennes très sensibles aux pays émergents via les devises.

Quels ajustements majeurs avez-vous apporté à votre poche actions depuis le début de l’année ?
Nous sommes toujours positifs sur l’avenir des marchés actions mais nous avons diminué la voilure par rapport à la fin de l’année dans l’attente d’opportunités. Nous reviendrons sur le marché soit après une éventuelle correction de l’ordre de 5%, soit parce que l’on commence à casser les plus hauts niveaux. Nous poursuivrons notre préférence donnée aux valeurs de la zone euro tournées vers la croissance domestique. Nous ne délaisserons pas pour autant le marché américain qui présente le meilleure couple de performance/risque, qui se montrera plus résistant en cas de matérialisation de certains risques et qui devrait permettre de tirer avantage de l’appréciation attendue du dollar contre l’euro.

A lire également la seconde partie de l'interview :

"Etats-Unis : le premier relèvement du taux directeur de la Fed ne devrait pas intervenir avant le second semestre 2015"


Propos recueillis par Imen Hazgui