Interview de Alain Trannoy : Directeur de l'Ecole d'économie Aix-Marseille, membre du Conseil d'analyse économique

Alain Trannoy

Directeur de l'Ecole d'économie Aix-Marseille, membre du Conseil d'analyse économique

Le capital humain : vecteur de la croissance économique

Publié le 01 Avril 2014

Quelle définition du capital humain (individuel et collectif) de l’entreprise ? Quelle définition du capital humain d’un pays ? Doit-on également appréhender le capital humain par secteurs/métiers, par territoire ?
« Le capital humain d’une entreprise est l’ensemble des capacités productives potentielles des collaborateurs de l’entreprise. Même définition pour un pays. Par secteurs, oui cela peut être utile. »

Le capital humain est-il un facteur majeur de compétitivité et donc un levier d’innovation et de croissance durable de l’économie? Quel lien avez-vous pu identifier entre l’investissement capital humain et l’innovation / la croissance / la création d’emplois ? Quelle analyse selon les blocs économiques (Europe/ BRICS…) ?
« Le capital humain est effectivement le facteur décisif de la croissance. Sans capital humain, disposer de beaucoup de capital ne permet pas d’enclencher une dynamique de croissance. Le progrès des connaissances, du savoir-faire, les améliorations des processus de production participent à la croissance du capital humain. Comme exemple, il suffit de comparer l’évolution économique de la Tunisie et de l’Algérie depuis 30 ans. La première n’avait pas beaucoup de ressources naturelles contrairement à la seconde. La première a tout misé sur le développement du capital humain, la seconde grâce au pétrole a opté pour un développement plus capitalistique. Il est clair que les bases de la croissance sont aujourd’hui beaucoup plus solides en Tunisie qu’en Algérie. »

Au niveau des entreprises, quelles sont les bonnes pratiques de valorisation du capital humain qui permettent d’investir mieux face à leurs enjeux de compétitivité ? Comment se situent les entreprises françaises par rapport aux entreprises d’autres pays?
« L’investissement dans la formation professionnelle est très important. D’autre part, il faut éviter les épisodes de chômage prolongés qui dégrade le capital humain. Au regard de ces deux aspects, les marges de progrès sont importantes en France. La formation professionnelle n’est pas organisée d’une manière efficace malgré quelques progrès récents et le chômage de longue durée (plus d’un an) concerne 40% des chômeurs. La formation tout au long de la vie devrait être organisée indépendamment des transitions professionnelles et des épisodes de chômage de manière à ce que la personne soit toujours pleinement opérationnelle pendant toute sa vie active. »

Quelles sont les politiques économiques efficientes de valorisation du capital humain que vous identifiez ? Quels pays vous paraissent pionniers dans ce domaine ?
« Les pays Nordiques (le Danemark avec la flexisécurité, l’Allemagne avec la généralisation du temps partiel pendant les périodes de creux économique) font beaucoup mieux que nous. »

Quels sont les freins à l’investissement dans le capital humain et l’innovation qu’il porte? Au financement d’un tel investissement ? Quelles pourraient en être les incitations ? 
« Il faut inciter au portage intégral des droits à la formation lorsqu’on change d’entreprise. L’évolution du droit à la formation au cours du cycle de vie doit être liée à la carrière de l’individu et non à celle des caractéristiques de l’entreprise. Il faut distinguer trois éléments dans le capital humain d’un employé. Un capital humain spécifique à l’entreprise, un capital humain spécifique à la branche, et un capital humain général. Seul le premier doit être à la charge spécifique de l’entreprise, les deux autres doivent être couverts par des prélèvements généraux sur l’ensemble des entreprises. »

La majorité des créations d’emploi viennent des TPE-PME. Quelles bonnes pratiques et quelles politiques économiques proposeriez-vous pour encourager et permettre aux PME/ETI d’investir dans le capital humain ? Quelles bonnes pratiques identifiez-vous et dans quels pays ?
« Je ne sais pas si les PME/ETI ont les moyens d’investir dans la formation de leurs salariés. Je pense qu’un élément de la flexisécurité est d’offrir un chèque de formation tout au long de la vie active et ce chèque doit être d’autant plus important que les personnes ont un déficit en formation initiale. Ce chèque est un droit social qui est financé par toutes les entreprises et plus par les grandes que par les petites. »

Selon votre perception, quelle importance accordent les acteurs des marchés financiers (analystes financiers, investisseurs financiers fonds…) au capital humain de l’entreprise? Pensez-vous qu’il existe un « value gap » entre la valeur des entreprises et celle perçue par les marchés ? Que ce « value gap » pourrait être réduit par une meilleure prise en compte de la valeur des actifs immatériels comme le capital humain et par une communication spécifique sur cet aspect de la valeur?
« Complexe car une entreprise peut avoir beaucoup de capital humain et mal l’utiliser. Les méthodes de management ont beaucoup d’importance pour permettre au capital humain de s’exprimer pleinement. »

Un référentiel international de l’extra financier (intégrant l’immatériel et notamment le capital humain) vous semblerait-il utile? Faudrait-il le décliner par secteur? Qui doit l’établir et le diffuser ?
« Ce projet va certes dans le bon sens. Le problème est que les comptes financiers sont certifiés par une entreprise extérieure. Qui va certifier les autres aspects ? Bien sûr une entreprise prendrait un risque d’avancer des arguments qui ne sont pas vrais ou qui enjolivent la réalité. Le risque que la communication l’emporte sur une information objective n’est toutefois pas nul. Rien ne peut remplacer un dialogue nourri et institutionnalisé entre les représentants des salariés, les actionnaires et la direction de l’entreprise. »

Quelle est votre prospective sur le sujet? Pensez-vous que l’investissement dans le capital humain et l’innovation comme la capacité de bien communiquer sur ces sujets pour renforcer la confiance des investisseurs est une des voies majeures de la compétitivité qualitative (hors coûts) et la croissance de demain ?
« Le management participatif, la qualité des rapports sociaux dans l’entreprise et l’investissement dans la formation professionnelle sont des garants de la poursuite de l’efficacité proprement capitalistique de l’entreprise. Que les actionnaires potentiels se renseignent sur ces dimensions, cela me parait légitime de leur point de vue également. Le faire est à mon avis beaucoup plus important que le faire savoir. Est-ce que le faire-savoir peut vraiment entraîner une modification des pratiques en profondeur ? Je ne serai pas affirmatif. »

Alain Trannoy a obtenu un “Doctorat d’Etat en Economie” (1986) sur la mesure des inégalités et est devenu Professeur Agrégé d’Economie en 1988. Depuis lors il est Directeur d’Etudes à l’EHESS où il a dirigé l’IDEP (institut d’économie publique) avant de devenir le directeur du Labex « Aix-Marseille School of Economics ». Il est membre du Conseil d’Analyse d’Economique (CAE) auprès du premier ministre, du Conseil Economique du Développement Durable (CEDD), du Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) du Cercle des Economistes et conseiller scientifique au Conseil d’Analyse Stratégique. Son domaine de recherche est l’économie publique en intégrant sous ce vocable l’économie du bien-être. Ses contributions théoriques et empiriques concernent l’étude des inégalités, l’égalité des chances, la fiscalité optimale, l’économie de l’enseignement supérieur, l’économie du logement et la théorie du vote.


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