Interview de Eric  Bourguignon : Directeur de la gestion Taux et Crédit chez Swiss Life Asset Management

Eric Bourguignon

Directeur de la gestion Taux et Crédit chez Swiss Life Asset Management

A court terme, une forte baisse de l'euro pourrait être provoquée par une crise de défiance à l'égard de la dette de la France

Publié le 03 Avril 2014

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la parité euro dollar à ce stade de l’année ?
Nous étions une des seules maisons sur la place à avancer que l’euro ne pouvait pas baisser contre le dollar, quelque soit le différentiel de croissance économique entre la zone euro et les États-Unis. L’élément explicatif fondamental est lié à la balance des paiements de l’union monétaire.
La balance courante et les flux de capitaux à long terme (investissements de portefeuille et investissements directs) affichent en 2013 un excédent de 250 milliards d’euros, dont 140 milliards sur le seul dernier trimestre 2013 (soit 5,8% du PIB de la zone euro).

Pour avoir une baisse de l’euro, il faudrait une sortie des capitaux à court terme face aux immenses entrées de capitaux liées à l’activité commerciale d’une part et à l’investissement financier d’autre part.

Il faudrait des investisseurs qui commencent à spéculer contre l’euro ou qui se positionnent massivement sur d’autres devises ?

Tout à fait.

Qu’est ce qui pourrait amener cela ?

Un retour de la crise des dettes souveraines dans la zone euro. Je pense que les pays du sud de l’Europe sont protégés contre un regain de tension extrême comme en 2011-2012 du fait de leur excédent extérieur. Ils ne sont plus dépendants du financement international pour boucler leur fin de mois.
La seule source de préoccupation possible est la France qui a un tiers de sa dette entre les mains d’opérateurs hors zone euro. Si une crise de confiance venait à apparaître sur la rigueur de la politique économique et sur la solvabilité de l’Hexagone, nous pourrions assister à des ventes abondantes d’emprunts d’Etat français qui provoquerait une importante chute de l’euro.

Ainsi, à court terme ce qui pourrait pousser l’euro a fortement se déprécier ce serait une crise de défiance à l’égard de la dette française ?

Absolument.

Ne pourrait-on pas envisager que la BCE puisse agir pour provoquer des fuites artificielles de capitaux à court terme ?

Il faudrait que la BCE agisse à l’instar de la Banque centrale de Chine, autrement dit qu’elle achète une quantité importante de dollars, de yens et de yuans.
Mais il est peu probable que la BCE le fasse.
Pour que l’institution monétaire intervienne directement sur le marché des changes en vue de faire baisser le cours de l’euro, il faudrait qu’elle crée de la monnaie, autrement dit qu’elle fasse fonctionner la planche à billets.
Or la BCE est très réticente à la mise en œuvre d’une politique qui supposerait la création monétaire pour relancer les anticipations inflationniste et l’activité économique.

Elle pourrait aussi faire baisser le taux directeur en dessous de 0 ?
Ce serait une éventualité. Ainsi il ne serait plus intéressant d’acheter de l’euro puisqu’il faudrait payer pour les détenir.

La BCE doit intervenir ce jeudi. Qu’en attendez-vous dans votre scénario central ?
Je crois que la BCE fera tout son possible pour ne rien faire. Celle-ci considère que le point bas de l’inflation est derrière nous et que la zone euro ne tombera pas en déflation.

Est-ce à dire que la BCE ne fera rien ?

Elle pourrait faire un geste symbolique en réduisant son taux directeur de manière à ne pas attirer excessivement les foudres du marché. Elle devrait par ailleurs mettre l’accent sur sa communication.

Un quantitative easing est-il plausible ?
Plausible mais pas du tout certain. Au-delà du fait que la BCE affiche une hostilité à créer artificiellement de la monnaie, il n’y a pas dans la zone euro un problème de quantité de monnaie disponible.

Certains craignent une intervention tardive de la BCE, une fois que la déflation aura été actée dans la zone euro ?

Le risque de déflation existe bel et bien mais selon nous tablons il ne se concrétisera pas. Nous prévoyons une inflation à 1,1% en fin d’année.
De ce fait, que la BCE n’agisse pas sur le front de l’inflation est assez compréhensible.

Ce qui l’est moins c’est sa passivité face à la force de l’euro qui met à mal les exportations et pèse lourdement sur la croissance.

Cette passivité est justifiée par certains par le fait que l’euro n’est pas suffisamment fort pour ébranler l’économie de l’Allemagne ?

Je suis également de cet avis. La force de l’euro ne gêne pas le décideur principal. L’Allemagne peut se complaire avec une parité à 1.38.

Peut-on imaginer que l’appréciation de l’euro finisse par entraîner une dégradation de l’économie allemande cette année ?
Pour notre part, nous sommes d’avis que la parité se retrouvera au niveau actuel en fin d’année.

A présent, l’Allemagne a su faire preuve d’un grand pragmatisme depuis l’apparition de la crise des dettes dans la zone euro en 2010. Elle a démontré que lorsque l’union monétaire était au bord de l’éclatement, elle était en mesure de renoncer à certains de ses principes de base. Nous avons pu le constater avec le programme SMP et le programme OMT qui sous entendent l’achat de titres de dette des pays les plus en difficulté.
Ainsi même si la première puissance de la zone euro patiente jusqu’à ce que les perturbations soient exacerbées, elle est susceptible de faire des concessions.

En conséquence, si l’euro monte à 1,60 et que la situation devient insupportable pour de nombreux pays de la zone euro qui ont fait des efforts considérables pour restaurer leur compétitivité au prix d’un énorme coût social et impacte négativement l’Allemagne, il est très certain que la BCE aura les mains libres pour avoir une action bien plus énergique sur le marché des changes.

Nous n’en sommes pas encore là.

Est-ce que ce risque de déflation pourrait vous amener à ajuster votre allocation d’actifs ?
J’évalue plutôt les risques inhérents aux actifs achetés par rapport à leur rendement potentiel. Ce qui m’intéresse c’est que le risque soit bien rémunéré.

Il est à noter au passage que ce risque de déflation milite pour le maintient de taux bas durablement, incitant les investisseurs à rechercher du rendement en allant dans les actifs risqués : actions, obligations d’entreprises risquées, obligations souveraines des pays périphériques.

Propos recueillis par Imen Hazgui