Interview de Daniel Tondu : Président directeur général de Gestion 21

Daniel Tondu

Président directeur général de Gestion 21

Nous sommes sortis de Lafarge car nous sommes relativement méfiants par rapport à la fusion avec Holcim

Publié le 23 Avril 2014

Quel regard portez-vous sur l’évolution du marché des actions françaises depuis le début de l’année ?
Nous tablons sur une performance du marché de 10% cette année. 5% ont déjà été engrangés depuis janvier. Il reste encore 5% supplémentaires. Pour autant, notre démarche est principalement fondée sur la sélection de valeurs. En cela nous avons pour objectif de délivrer 4% de surperformance par rapport à l’indice.

En quoi consiste votre stratégie d’investissement ?
Notre stratégie d’investissement est axée sur les valeurs décotées par rapport à leurs fondamentaux économiques. Nous mettons l’accent sur la capacité de génération de cash flow des sociétés. Nous détenons en moyenne entre 25 et 30 valeurs dans le portefeuille.

Avez-vous beaucoup modifié votre portefeuille depuis le début de l’année ?

Nous sommes sortis de Lafarge. Nous sommes relativement méfiants par rapport à la fusion avec Holcim. Je suis perplexe sur l’ampleur des retombées positives de l’alliance. Surtout que les deux sociétés étaient déjà dans un rapport de force avec les fournisseurs.

Selon les analystes, cette opération pourrait conduire à une croissance de 20% de l’Ebitda de l’ensemble combiné. S’en est suivi une révision de l’objectif de cours de 20% et un rallye du cours de Lafarge. Cependant, parallèlement à la synergie éventuelle découlant de ce rapprochement, des problèmes de concurrence sur certains segments devraient conduire à la vente de plusieurs usines et à une réduction du périmètre d’activité d’environ 15%.

Lafarge aurait pu améliorer son bilan tout seul dès lors que le groupe a vocation à se financer à moindre coût au fur et à mesure de la réduction de sa dette. Il aurait pu accélérer la baisse de ce coût en procédant à la cession de certaines activités non stratégiques qui lui sont propres.

Par ailleurs, l’union entre ces deux mastodontes n’est pas évidente. Des conflits peuvent apparaitre entre les membres des équipes dirigeantes.

Nous avons pris nos bénéfices de plus de 25% et nous sommes sortis.

Vous attendiez-vous à cette opération ?
Non.
Depuis quand aviez vous l’action en portefeuille ?
Un an. Nous avions été convaincus par l’histoire de restructuration de la société très endettée dans un marché cyclique en souffrance. Nous avions espoir de voir le management optimiser les coûts et réduire la dette progressivement.

Avez-vous un autre exemple de titre que vous avez allégé ou que vous avez retiré du portefeuille ?
Nous nous sommes également retirés de SBM offshore, une société de services pétroliers. La valeur représentait environ 6% des encours du portefeuille.
La société fabrique et exploite des unités de traitement et de stockage de pétrole transportés par des tankers pétroliers. Ces unités stationnent à coté des puits offshore profonds. Une unité vaut entre 1 et 2 milliards de dollars. La société possède une vingtaine d’unités et en construit pour des clients. Elle a l’avantage de signer des contrats de très long terme avec de grandes sociétés pétrolières comme Total ou Petrobras. Ainsi, le métier est très capitalistique, nécessite de lourds investissements, suppsoe une dette abondante mais procure des revenus réguliers durablement.

SBM offshore a connu des problèmes de management, de résultats, de corruption. Le cours s’est effondré en 2011-2012. L’équipe dirigeante a été remplacée. Un actionnaire de référence a été trouvé, détenteur du capital à hauteur de 10% avec une option à 20%. Cela a permis au titre de connaitre un parcours spectaculaire l’année dernière qui ont été en partie compensée par les déceptions liées aux perspectives données pour 2014.

Pourquoi ?
Le dossier peut encore doubler mais pour l’instant les comptes sont illisibles. En outre, l’année dernière, la publication des résultats montrait l’absence de cash flow à la fois pour 2013 et probablement pour 2014 malgré la bonne tenue de l’activité. La société a eu trois nouvelles commandes. Elle s’est retrouvée alors confrontée à un besoin de financement important.

Vous n’écartez pas de revenir plus tard sur le titre ?
Nous reviendrons forcément, une fois que la visibilité sur les comptes et sur le cash flow sera meilleure.

Qu’est ce que vous avez renforcé ou ajouté dans le portefeuille ?
Nous avons renforcé notre ligne sur LVMH, de 4% à 6,5%. Des doutes ont été alimentés sur la solidité de la société depuis 18 mois pour deux principales raisons : le métier et l’exposition aux économies émergentes. Nous ne sommes pas excessivement inquiet sur des deux points.
Sur le métier, LVMH a commencé à souffrir des trop grandes ventes de ses produits Louis Vuitton. Ce qui est luxueux doit en principe être rare. Or la marque Louis Vuitton est devenue un trop répandue, donc un peu banalisée. Elle a par ailleurs été affectée par une contrefaçon manifeste.
LVMH a décidé d’agir en réintroduisant le cuir de manière significative. C’est ainsi que le sac de base à 1000 euros a été complété par une offre plus qualitative à 3000 euros. Le public semble être au rendez-vous de ce nouveau pari.
Concernant les économies émergentes, il est acquis que l’effet de change devrait impacter négativement le chiffre d’affaires de 4% à 5%.

Quel est le potentiel de revalorisation de l’action ?
Pour l’ensemble des valeurs que nous avons en portefeuille nous avons un potentiel de 20%. Difficile d’indiquer à quel horizon de temps.

Quel devrait être le catalyseur ?
D’abord la réussite des ventes de cette nouvelle gamme en cuire et la poursuite de la stratégie de montée en gamme.

La capacité de croissance organique de l’entreprise l’emporte sur l’effet de change ?
Nous sommes d’avis que ce qui est crucial pour une entreprise c’est son aptitude à dégager de la croissance organique, autrement dit une croissance de ses ventes. Cette croissance peut être perturbée par la croissance externe et l’effet de change.
Toutefois, nous préférons une société qui a une croissance organique positive affectée temporairement par ces considérations extérieures plutôt qu’une entreprise qui a une croissance organique nulle qui n’est pas affectée.
Nous tablons sur le fait qu’une fois l’effet de change négatif disparu, la croissance organique de LVMH pourra jouer pleinement son effet sur la valorisation du titre.

Depuis quelques mois, vous avez décidé d’amplifier votre exposition sur le champagne avec Lanson ?

Nous avons initié une ligne sur le titre en décembre à 0,20%. Il représente 1% du portefeuille et nous pourrions monter à 2%. Le titre est décoté. La société se situe dans un cycle bas et est bien gérée.

Etes-vous positionnés sur les IPO et les opérations de M&A ?

Pour des raisons de liquidité nous ne sommes pas sur les IPO.
Les opérations de M&A sont secondaires dans notre sélection de titres par rapport aux valorisations et au cash flow.
Nous par exemple avons dans le portefeuille IPSOS qui pourrait être la cible d’une offre potentielle.

Propos recueillis par Imen Hazgui