Interview de Philippe Crevel : Economiste indépendant, spécialiste de la question de l'épargne en France

Philippe Crevel

Economiste indépendant, spécialiste de la question de l'épargne en France

En raison de la crainte des Français, le pari de la reprise économique dans l'Hexagone n'est pas gagné

Publié le 24 Avril 2014

Les Français ont retrouvé le chemin du Livret A et du Livret de Développement Durable au mois de mars avec une collecte positive de 1,18 milliard d’euros contre une décollecte de 140 millions au mois de février. La collecte du Livret A a été de 720 millions et celle du LDD de 450 millions d’euros.
Malgré la stagnation du pouvoir d’achat et les incitations du gouvernement pour la consommation avec le déblocage de l’épargne salariale, les ménages français restent très prudents et veulent maintenir un niveau assez élevé d’épargne de précaution.
Cette épargne est essentiellement constituée à partir du remboursement du capital des emprunts immobiliers et des intérêts gagnés sur des produits d’épargne financière.

Y a-t-il un lien à faire avec les récentes annonces faites par le gouvernement de Manuel Valls ?
Ces annonces sont arrivées tardivement par rapport aux chiffres. Pour autant nous avions déjà eu des déclarations auparavant allant dans le sens de l’austérité. Il y a donc un lien direct à faire entre la politique économique menée au sein du pays et le comportement des Français qui craignent de devoir se serrer la ceinture.

Nous pouvons craindre que cette tendance se poursuive avec les dernières mesures avancées ?

La tendance pourrait persister pendant encore près de six mois.
D’une part, la hausse du pouvoir d’achat pour les personnes gagnant un bas salaire devrait être utilisée pour placer davantage de liquidité sur les produits d’épargne à court terme.
D’autre part, le gel des prestations sociales peut aussi avoir comme première conséquence une augmentation de l’épargne de proximité, les ménages craignant d'avoir à terme des difficultés financières.

Le souhait du gouvernement de voir le taux d’épargne diminuer devrait se faire attendre ?

Le taux d’épargne devrait rester aux alentours de son niveau élevé actuel, à 15,7%.
Il est peu probable qu’il descende en dessous de 15,4% comme le souhaite le gouvernement depuis deux ans pour relancer la consommation. Les Français, en période de crise, ont tendance à jouer la sécurité et à reporter les dépenses importantes

L’effort d’épargne devrait être réduit par la contrainte financière ?
Les ménages doivent faire face à la stagnation de leur pouvoir d'achat. Depuis plusieurs années, ils ont du faire face à des relèvements d'impôt. Pour le moment, ils ont su conserver leur volant d'épargne même si les flux d'épargne financière ont tendance à baisser.

Qu’est-ce que cela suppose pour la consommation et la croissance de la France ?

La consommation devrait continuer à manquer de carburant pour repartir et donc rester étale encore un moment du fait que les ménages ne sont pas prêts faute d'une confiance suffisante dans l'avenir pour puiser dans leur bas de laine. Nous pourrions avoir une croissance toujours proche de zéro pour cette composante du PIB. Le gouvernement espère que la demande extérieure adressée à la France compensera l'atonie de la consommation. Le pari de la reprise économique pour le deuxième semestre n’est pas gagné.

Propos recueillis par Imen Hazgui