Interview de William de Vijlder : Directeur des investissements chez BNP Paribas Investment Partners

William de Vijlder

Directeur des investissements chez BNP Paribas Investment Partners

Quelle interprétation donner aux excès observés sur le marché des obligations d'entreprises européennes risquées ?

Publié le 03 Juin 2014

Quel regard portez-vous sur la très bonne performance du marché des obligations d’entreprises européennes depuis le début de l’année ?
Cette performance est assez étonnante. Elle s’explique par deux considérations. Tout d’abord, face à l’amélioration de la conjoncture, nous avons assisté à une contraction supplémentaire de la prime de risque. Ensuite, nous avons eu depuis le début de l’année un fort repli inattendu des taux d’Etat de référence.

Pensez-vous que nous faisons face aujourd’hui à la création d’une bulle sur ce marché ?
Il y a une distinction à faire entre une bulle et une bulle conditionnelle.

Que voulez vous dire ?

La bulle pourra être avérée et donner lieu à des perturbations si l’environnement change fondamentalement : c'est le changement de l'environnement qui conditionne l'interprétation qu'il y a une bulle donc en l'absence de changement il n'y a pas de bulle. Actuellement les taux de référence sont très bas des deux cotés de l’Atlantique, autrement dit aussi bien aux Etats-Unis qu’en Allemagne. Face à cela, le segment des obligations HY paraît encore intéressants dans la mesure où les spreads sont encore relativement larges par rapport au faible nombre de défauts de paiement qu'on peut attendre dans les 12 prochains mois.

Si à cause de l’accentuation d’une perspective de resserrement monétaire ou d’une montée des craintes inflationnistes, le taux américain passe de 2,50% à 4,50% (une hypothèse agressive et peu
réaliste actuellement), et amène dans sa lancée le taux allemand, le segment des obligations d’entreprises qui semblait relativement peu onéreux, s’avèrera cher.

Parallèlement à une hausse brutale des taux, il y aura une chute de l’appétit pour le risque. Les investisseurs se retireront massivement de cet univers, de même que celui des actions. Des corrections significatives pourront être relevées.

Après les faits on parlerait qu'il y avait une bulle mais la correction s'explique par le nouvel environnement dans lequel on est entré: c'est ce changement qui explique la correction et non pas la valorisation en tant que telle.

Ceci étant, cette hypothèse ne pourra être constatée qu’a posteriori.

Ex ante, les conditions demeurent suffisamment acceptables pour ne pas qualifier ce qui se passe dans la classe d’actifs de bulle notamment si l’on fait la comparaison avec ce qui se passe actuellement sur le marché immobilier de Londres ou encore ce qui s’est déroulée au début des années 2000 dans la sphère de la haute technologie.

Quel regard portez-vous sur le déséquilibre entre offre et demande et sur le rapport de force qui en découle en faveur des émetteurs ?
Il y a manifestement une demande excédentaire pour du papier. Celle-ci a vocation à persister. En premier lieu, les incertitudes économiques s’amoindrissent. En second lieu, nous sommes destinés à demeurer avec des politiques monétaires très souples encore un moment. Les investisseurs sont donc confortables avec l’idée de continuer à prendre des risques pour récupérer un minimum de rendement attractif.
Dans une telle configuration, les émetteurs utilisent leur pouvoir de négociation pour obtenir de meilleures conditions de financement.
C’est à l’investisseur d’être vigilant et de faire preuve d’une minutieuse sélectivité.
Dans le cas contraire, les opérateurs qui acceptent d’aller davantage dans des terrains hasardeux devront se doter d’une politique de gestion dynamique et avoir un horizon d’investissement plus court terme.

Deux paramètres sont de nature à rendre les chocs sur le marché plus puissants en cas de retournement : le fait que beaucoup d’investisseurs ne sont pas des investisseurs naturels de la classe d’actifs et le fait que les markets makers sont beaucoup moins présents pour assurer la liquidité sur le marché ?
La diminution du rôle des markets makers est une réalité consécutive à la contraction des bilans des banques. Il est évident que l’affaiblissement de la présence de ces contreparties accentuera les tensions dans les phases de correction en cas de stress. C’est la raison majeure pour laquelle nous préconisons à nos clients qui veulent allouer de manière optimale une partie de leur fonds sur ce compartiment de bien s’interroger sur le fait de savoir s’ils auront besoin de liquidité dans les cinq ans à venir.

Qu’entendez-vous par là?
Considérons un investisseur particulier qui a un patrimoine de 100 euros et qui souhaite s’orienter vers ces instruments. Dans le cas où celui-ci veut conserver une liquidité de 20 euros d’ici 5 ans, la recommandation sera de veiller à ce que ces 20 euros ne soient pas coincés dans une classe d’actifs qui pourrait faire l’objet d’une correction importante ou d’un effondrement de la liquidité en cas de dégradation de la toile du contexte macroéconomique, comme typiquement la classe des obligations d’entreprises à haut rendement.
L’idée étant de ne pas être contraint de vendre au pire moment.

La question cruciale à déterminer dans la stratégie d’investissement est celle de savoir s’il y a un besoin de liquidité ?
Effectivement. S’il n’y a pas besoin de liquidité, il n’y a pas lieu de s’interdire à aller dans cette classe d’actifs sachant que les placements alternatifs offrent des rendements nettement moins intéressants.
Tenant compte du rendement actuel de 4,5%, dans le doute qu’un incident se déroule, chaque année à attendre que la correction ait lieu équivaut à autant de manque à gagner, et coute donc cher.

Pour autant, les excès observés n’éveillent-ils pas en vous une préoccupation ?
Ces excès sont le signe que l’appétit pour le risque a fortement augmenté.
Ce qui est important c’est de deviner quel déclic pourrait changer la donne et conduire au grand retournement et quand est ce que déclic pourrait survenir.
En 2005-2006, les commentaires des analystes et spécialistes du marché étaient qu’il y avait des exagérations sur le marché. La phase de correction a débuté en 2008 pour atteindre son apogée en 2009 après l’apparition des premiers problèmes dans le segment des crédits subprimes.

Il y a une différence à opérer entre corrélation et causalité.
Nous pouvons en cela faire l’analogie avec le lien que certains établissent entre l’évolution du « margin buying »- autrement dit l’effet de levier des investisseurs à Wall Street et la progression des indices américains.
Il est dit par certains que c’est la réduction du « margin buying » qui provoque le recul des indices et vice versa.
La réalité est autre. Le fléchissement des indices trouve son origine dans d’autres facteurs externes qui pris isolément ou dans leur ensemble créent un environnement assombri : des bénéfices qui ne sont pas au rendez-vous, le défaut d’une grande société, la tonalité plus agressive du discours d’une banque centrale, la perception d’un décalage entre la politique menée et l’état des fondamentaux économiques.

Y a t-il un facteur prévisible qui pourrait engendrer une vive nervosité et changer la donner sur le marché du HY ?
A priori pas à ce stade si l’on considère la conjoncture dans les pays développés, ou la conduite des politiques monétaires dans ces pays.

Quels seraient les paramètres à surveiller de près ?
Les principales statistiques économiques, notamment l’inflation aux Etats-Unis et dans la zone euro, dans le cas où celles ci dépassaient largement à la hausse ou à la baisse le consensus sur plusieurs mois consécutifs. Le discours des grandes banques centrales.

Quels principaux ajustements avez-vous apporté à votre propre stratégie d’investissement ?

Face à une situation où tout parait se vendre comme des petits pains, nous sommes beaucoup plus judicieux dans la sélection des émissions : au niveau de la qualité des bilans, du business model, du cash flow. Nous avons structurellement un biais défensif sur le plan des notations.

Propos recueillis par Imen Hazgui