Interview de Philippe Scelin : Directeur général du groupe IRFA Ouest

Philippe Scelin

Directeur général du groupe IRFA Ouest

La formation délivre de la valeur sur l'ensemble d'une chaîne de services

Publié le 10 Juin 2014

Quelle définition du capital humain d’une personne/d’une société ? Doit-on appréhender le capital humain par secteur/métiers, par territoire ? Ce capital humain est-il un facteur majeur de compétitivité de l’entreprise et donc un levier de croissance?
Au sein d’une organisation, le capital humain correspond à la combinaison des compétences des individus qui la composent. La compétence collective ne se résume pas à la simple somme des compétences individuelles, elle la dépasse par un processus d’agrégation facteur de synergie.
Au niveau individuel, le capital humain d’une personne désigne sa capacité à faire et à être, à mettre en œuvre, transmettre et agir au-delà de sa sphère économique, comme la sphère associative voire familiale. Je souhaite souligner que l’expression du capital humain ne saurait se résumer à la sphère économique, elle l’intègre et la dépasse.
Pour répondre à votre question, oui le capital humain est un facteur déterminant de la compétitivité. Dans mon cas, je suis dirigeant d’une entreprise dans le secteur de la formation, le capital humain est un élément déterminant de la compétitivité de mon entreprise. Nous sommes dans une ère de services avec une part contributive plus importante de l’humain. L’intérêt de l’entreprise est donc d’investir pour obtenir un avantage concurrentiel sur les marchés. La formation est un investissement dans le capital humain qui peut se mesurer et s’évaluer par des indicateurs. Des travaux conduits par la FFP pour Bercy ont permis d’identifier des indicateurs communs à toutes les entreprises pour mesurer et comparer les investissements formations et mettre en lumière la valorisation de l’investissement immatériel. La mesure du capital humain et de l’investissement formation permettra je l’espère dans un délai court de pouvoir valoriser dans le haut de bilan des entreprises cet actif immatériel nécessaire a la valorisation réelle des entreprises.

Quelles sont les grandes lignes stratégiques d’actions de la FFP pour la valorisation du capital humain à ces différents niveaux ? Comment contribuez-vous à transformer les hommes en générateurs de valeur durable ?

La loi du 5 mars 2014 entérine le concept de formation comme investissement. Certes, elle supprime l’obligation fiscale des entreprises, pour en faire une obligation sociale de former si bien qu’à court terme, on pourrait craindre un risque de diminution, « le fameux trou d’air » post loi. Mais je crois qu’il n’y aura pas d’impact à moyen terme. Il ne faut pas oublier que les entreprises investissent déjà au-delà de leurs obligations légales puisqu’elles consacrent à la formation 3,2% de leur masse salariale au lieu des 1,6% obligatoires à ce jour.
Il faut comprendre qu’une compétence non entretenue peut être obsolète rapidement. La formation professionnelle est un formidable outil de lutte contre l’obsolescence des compétences .Il ne faut pas considérer que les compétences sont acquises ad vitam aeternam. Par ailleurs, la formation, ne se limite plus au stage traditionnel, elle se développe selon différentes modalités, grâce aux nouvelles technologies, ou les unités de temps, d’espace et de lieux sont totalement réinterrogées. Envoyer un salarié en formation n’est pas forcément le sortir longuement de l’entreprise, premier lieu de maintien de ses compétences!
Les organismes de formation accompagnent les entreprises dans ce processus. Elles les aident à organiser la formation selon des dispositifs multimodaux mixant les lieux et les situations pédagogiques en accompagnant les apprenants et en contextualisant leur apprentissage. Les organismes sont aussi capables de fournir des dispositifs d’évaluation permettant aux entreprises de mesurer le retour sur investissement. Ainsi les entreprises seront en capacité d’intégrer ce concept d’investissement immatériel dans le capital humain et le développer.
La valeur ajoutée des organismes est bien de jouer le rôle d’ensemblier de services partant de l’analyse de la demande et du besoin pour une meilleure contextualisation de la formation, une capacité à individualiser et à personnaliser et à évaluer in fine les acquis de la formation en situation de travail.

Quelles seraient les lignes d’évolution de la formation professionnelle pour mieux valoriser le capital humain national?
J’aimerais insister sur ce message, la formation, au-delà de son caractère multimodal, constitue une chaîne de services. On doit appréhender le contexte économique dans lequel évolue l’entreprise, son organisation interne et la stratégie dans laquelle elle s’inscrit. La valeur ajoutée de la formation est aussi bien en amont qu’en aval de l’acte formatif.

Comment l’enseignement supérieur et la formation professionnelle doivent-ils se positionner l’un par rapport à l’autre?
La dichotomie entre l’enseignement supérieur et la formation professionnelle n’est pas un paradigme pertinent. Il y a de l’enseignement supérieur dans la formation professionnelle. Il faut décloisonner la formation initiale professionnelle et la formation continue : il s’agit d’une distinction purement juridique. La formation initiale supérieure peut être professionnalisante et elle l’est de plus en plus par la délivrance de diplôme universitaire professionnel (licence prof. ou master prof.) ou de titres de niveau II ou I inscrits au RCNP où les compétences professionnelles sont recherchées.
Il ne faut pas séparer la théorie et les modalités de sa mise en œuvre. Il faut donc que la formation professionnelle et l’enseignement supérieur continuent de converger en respectant les spécificités de chacun.

Faut-il avoir une politique de formation dédiée aux PME-ETI, compte tenu de leurs spécificités et de leur contribution importante à la croissance et à la création d’emploi ?
Il ne faut pas de formations particulières consacrées aux PME et ETI mais des dispositifs particuliers de formation. En effet, le départ en formation d’un salarié est plus impactant dans les PME que dans les grands groupes qui peuvent plus facilement le remplacer par une réorganisation des activités au sein des équipes. Le développement des formations multimodales peuvent constituer une réponse à cette attente des PME, puisqu’elles permettent à la formation d’être plus flexible et plus adaptée aux contraintes temps des PME.

Quelles sont les bonnes pratiques de valorisation du capital humain de l’entreprise que vous identifiez ? Comment se situent les entreprises françaises ? Existe des modèles au niveau européen ou à l’international ?
Le poids accordé aux certifications en France est trop important. On ne peut pas valoriser le capital humain sur le seul diplôme. Dans les pays anglo-saxons, l’accent est davantage mis sur les compétences, leurs mises en œuvre et leur évaluation.

Quels sont les freins à l’investissement dans le capital humain et la formation ? Quelles pourraient en être les incitations ? Quelles propositions (de nature sociale, juridique, économique, financière...) ou quelles mesures attendriez-vous des pouvoirs publics pour un environnement favorable à ces bonnes pratiques
Le rôle des pouvoirs publics est de créer un environnement favorable pour le développement des compétences et de l’employabilité des citoyens. Par exemple, la loi du 5 mars fait référence au socle de connaissances et des savoirs de bases, or celui-ci n’est pas toujours acquis une fois sorti de l’obligation scolaire. Il ne faut pas oublier que chaque année, cent-vingt-mille jeunes sortent sans diplômes de formation initiale. Le compte personnel de formation, introduit par la loi, crée un droit à la formation opposable à l’employeur sur ce socle de connaissance de base. Il peut être utilisé sur le temps de travail pour acquérir ce socle minimum de connaissance. Ce socle n’est pas encore précisément défini, mais on peut prendre appui sur les 8 compétences clés européennes parmi lesquelles on trouve la compétence « maîtrise d’une langue étrangère » ou la « compétence numérique ». Force est de constater que de nombreux actifs, voire même des cadres, ne disposent pas de la totalité de ce socle alors qu’il constitue les fondations sur lesquelles peut être construit un parcours de développement professionnel et personnel.

Par ailleurs, les pouvoirs publics pourraient créer une incitation fiscale à la formation pour favoriser tout investissement à titre personnel, d’un citoyen dans la formation. L’Etat inciterait ces investissements en installant par exemple un « crédit d’impôt formation ». La somme ainsi investie pour la formation améliorerait la compétence des actifs et valoriserait le capital humain à l’échelle du pays.

Enfin, je pense qu’il faut réhabiliter l’entreprise comme lieu de formation en développant un droit à l’alternance qui consacrerait l’entreprise comme lieu formateur au sein d’un dispositif multimodal ou les organismes de formation ont toute leur place au niveau de l’ingénierie.

Toutes ces pistes de réflexion sont importantes pour pallier la baisse potentielle du volume de formation suite à la suppression de l’obligation fiscale dans une période économique difficile mais qui consacre la formation comme un investissement immatériel essentiel à la compétitivité des entreprises.

Philippe SCELIN est vice-président de la Fédération de la Formation Professionnelle (FFP) où il préside la commission Marchés et Partenaires publics. Il préside également la fédération de Basse Normandie de la FFP. Il est membre de la commission nationale formation éducation de la CGPME. Il est directeur général du groupe IRFA Ouest, entreprise de formation présente dans l’Ouest de la France.

Pour la Tribune Sciences Po de l’immatériel, dirigée par Marie-Ange Andrieux/ Interview conduite avec l’étudiant Sciences Po Etienne Fumagalli



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