Interview de Patrick Moonen : Stratégiste au sein d'ING Investment Management

Patrick Moonen

Stratégiste au sein d'ING Investment Management

Nous pouvons distinguer quatre principales menaces pour les marchés actions au second semestre 2014

Publié le 19 Juin 2014

Quels commentaires vous inspire l’évolution des marchés actions ces six premiers mois de l’année ?
Les marchés actions ont bien performé depuis le début de l’année. Plusieurs facteurs l’expliquent. Tout d’abord le retour d’une croissance bénéficiaire. A fin mai, si l’on considère le marché des actions internationales, les bénéfices par action-tirés majoritairement par les entreprises américaines et japonaises- ont monté de 7%. Par ailleurs, nous avons observé un retour des dividendes. Ces derniers ont progressé de 9% sur la même période.
Enfin, la poursuite de politique monétaire très accommodante de la part des grandes banques centrales, notamment de la Banque centrale européenne, a alimenté l’appétit des investisseurs à la recherche de rendements pour des actifs risqués face à des taux excessivement bas.

Ce premier semestre a été marqué par quelques surprises ?
Contrairement à ce que nous attendions conformément au retour de signes positifs sur la toile de fond macroéconomique, ce ne sont pas les secteurs cycliques-liés aux biens de consommation durable, aux industries, aux matières premières- qui ont le plus performé ce premier semestre mais davantage les secteurs sensibles aux taux : les entreprise du secteur de l’immobilier ou encore du secteur des services aux collectivités.
Par ailleurs, les actions japonaises ont connu une période difficile et n’ont commencé à regagner du terrain que depuis 1,5 mois. Les investisseurs ont beaucoup craint les implications du relèvement de la TVA de 5% à 8% en avril sur l’économie du pays. En outre, les attentes d’une plus grande intervention de la Banque centrale du Japon ou de l’implémentation de plus de réformes structurelles par le gouvernement de Shinzo Abe avaient considérablement diminué. Les dernières données macroéconomiques et les récentes annonces faites par les autorités monétaires et budgétaires ont redonné quelque peu confiance.

Quelles sont vos perspectives pour le reste de l’année ?
Les facteurs influents de ce début d’année demeurent valables et devraient se renforcer. Au sein de la zone euro, la croissance des bénéfices un peu à la traine devrait s’intensifier. Nous avons réévalué notre estimation de hausse des BPA à 8%, contre 12% auparavant particulièrement en raison d’un abaissement de notre perspective sur la croissance nominale au niveau mondial. Cette estimation est supérieure à celle des Etats-Unis, qui est de 7%.
Il faut ajouter à cela que la prime de risque est encore élevée et les valorisations ne sont pas exagérées. Le ratio cours sur bénéfice est 10% à 15% supérieur à la moyenne de long terme mais étant donné le cycle des bénéfices, ce gap n’est pas injustifié.
De plus, les dernières mesures de la BCE-abaissement des taux et opération de refinancement ciblée des banques européennes à hauteur de 400 milliards d’euros-devraient aider les secteurs financiers des pays périphériques.
Ensuite, l’optimisme des investisseurs perceptible au début d’année s’est atténué. Nombre d’entre eux sont aujourd’hui neutres et pourraient chercher à revenir plus massivement.
Enfin, de plus en plus de sociétés se lancent dans des opérations de fusion-acquisition guidées par une logique industrielle et non par une logique purement financière à l’instar des années 1980.
Pour toutes ces raisons, malgré un bon comportement ces 18 derniers mois, les actions de la zone euro devraient continuer à s’inscrire dans un trend haussier.

Il existe cependant des nuages susceptibles de remettre en cause ce trend ?
Nous pouvons distinguer quatre zones d’ombre. En premier lieu, de vives tensions géopolitiques dans des régions importantes sur le plan de l’approvisionnement énergétique, à savoir l’Ukraine et l’Irak.
Ensuite, la situation dans certaines grandes économies émergentes reste difficile du fait d’un excès d’endettement, d’un affaiblissement de la croissance, de signes de surchauffe dans la sphère immobilière. C’est le cas typique de la Chine qui continue à soulever de sérieuses interrogations.
Par ailleurs, même si des mesures significatives ont été prises par la BCE, le risque de déflation n’est pas complètement écarté au sein de la zone euro. Il l’est d’autant moins que les actions prises par la Banque centrale ne sont pas du tout destinées à combattre cette déflation. Nous ne sommes pas à l’abri de mauvaises données sur l’inflation qui pourrait conduire à une rupture dans les anticipations du marché.
Enfin, le risque de surchauffe aux Etats-Unis persiste. L’amélioration du marché du travail pourrait avoir pour effet des hausses de salaires et de fortes pressions inflationnistes. La Réserve fédérale américaine serait alors contrainte à intervenir plus vite et avec une de vigueur que prévu.

Si vous deviez hiérarchiser ces risques en fonction de leur degré de probabilité…
Le risque le plus visible et le plus imminent est le risque géopolitique. Des conséquences négatives pourraient se révéler dans les factures des pays importateurs et au niveau des revenus disponibles des consommateurs.
Le second risque est lié à la Chine bien qu’aujourd’hui ce risque se soit amoindri par rapport à quelques semaines plus tôt. Les dernières statistiques semblent témoigner d’une stabilisation de l’économie notamment grâce aux mesures de soutien du gouvernement.
Le troisième risque est celui de la déflation dans la zone euro.
Enfin, le dernier risque, qui a donc le moins de chance de se concrétiser, est celui d’une surchauffe de l’économie américaine.

Quels vous semblent les pays les plus prometteurs ?

Les pays périphériques à la zone euro, spécialement l’Espagne et l’Italie qui sont les marchés les plus liquides et les plus diversifiés et qui jouissent d’un retour des bénéfices des entreprises, de valorisations relativement attractives et d’un recul des taux longs.

Que pensez-vous du Royaume-Uni ?
Le marché britannique est un marché sur lequel nous sommes le moins positifs. Aussi, nous avons été amenés à financer la surpondération sur les pays périphériques à la zone euro avec une sous pondération sur le marché des actions anglaises. Nous avons accentué ce mouvement après les derniers commentaires du gouverneur de la Banque centrale d’Angleterre, Mark Carney, selon lesquels le resserrement de la politique monétaire pourrait se faire plus rapidement que prévu.

Vous être plus optimiste sur les actions de la zone euro que sur les actions américaines ?
Les valorisations des actions américaines sont supérieures à celles des actions de la zone euro, le PE est de 19,5 de l’autre coté de l’Atlantique, contre 15,5 de ce coté-ci.
Les Etats-Unis se situent dans un cycle monétaire plus avancé que dans la zone euro. Alors que la Fed est entrée dans un processus de normalisation de sa politique monétaire, la BCE est toujours dans une phase d’assouplissement. La hausse du marché des actions américaines sera intégralement guidée par la croissance des bénéfices alors que celle des actions de la zone euro pourra également être portée par une expansion des multiples sous l’impulsion de l’intervention de la BCE.
Le rendement des dividendes des actions de la zone euro est, qui plus est, supérieur à celui des actions américaines, soit de 3%.

Ne pensez-vous pas que les opérations de rachat d’action pourraient aider à la performance des actions américaines ?
Le rythme de ces rachats a notablement ralenti. Le volume de rachats en 2012 et 2013 a été très important. Entre 600 et 700 milliards de dollars d’actions ont été rachetées rien que l’année dernière.
De plus, les cours de bourse ayant beaucoup monté et la confiance des entreprises étant de retour, les sociétés préfèrent utiliser leur liquidité pour financer des acquisitions.

Quels sont vos principaux paris sectoriels ?
Le secteur bancaire en Europe à la suite des dernières annonces de la BCE et de l’audit de qualité des actifs dans les bilans qui est en cours. Ces éléments devraient avoir un impact favorable sur la confiance des investisseurs et permettre des valorisations plus élevées.
Nous avons également une préférence pour les valeurs cycliques qui devrait s’accentuer au fur et à mesure de l’amélioration des chiffes économiques et parallèlement à l’observation par les investisseurs que les taux obligataires ont bel et bien touché leur point bas et que la croissance des bénéfices au sein des secteurs cycliques est bien meilleure que dans les secteurs défensifs.

Quelle vision avez-vous de la faiblesse de la volatilité ?
Cette faiblesse s’explique par la politique monétaire des banques centrales. Il y a une grande confiance dans le marché que cette politique monétaire permettra à l’économie mondiale de croitre avec une plus grande ampleur et durablement.

Comprenez-vous que certains experts aient décidé de prendre des positions de couverture face à cette faible volatilité ?
Il est historiquement constaté que chaque fois que la volatilité est faible sur une période longue, les fluctuations sur les marchés sont bien plus vives en cas de choc. Les investisseurs se complaisent dans un certain confort qui les incite à prendre plus de risque dans les portefeuilles.
Il y a alors une fausse sécurité qui règne sur les marchés.
Par conséquent, avoir une politique de couverture dans cette configuration de marché n’est pas une mauvaise idée. Nous l’avons-nous même adoptée contre le risque lié à la Chine dans certains de nos portefeuilles.

Si l’on considère un portefeuille multi actifs, quels sont les caractéristiques majeures de votre allocation ?

Une forte surpondération pour les actions.
Nous avons allégé notre exposition aux actifs immobiliers en raison de la faible performance notée depuis le début de l’année et du risque de taux d’intérêt.
Nous sommes neutres sur les obligations par rapport à la duration. Nous escomptons des taux longs supérieurs à leur niveau actuel mais il nous parait compliqué d’avancer un triming s’agissant du redemarrage de la remontée de ces taux.
Nous sommes neutres sur les obligations d’Etat allemands en raison du niveau faible de l’inflation et des risques géopolitiques.
Nous avons une position plus vaste sur les obligations gouvernementales des pays périphériques et sur les obligations des entreprises à haut rendement.


Propos recueillis par Imen Hazgui