Interview de Ludovic  Subran : Directeur de la recherche économique d'Euler Hermes

Ludovic Subran

Directeur de la recherche économique d'Euler Hermes

Pourquoi le gouvernement de François Hollande finira par modifier son cap et sa boîte à outil de politique publique

Publié le 03 Juillet 2014

Quelles perspectives économiques envisagez-vous pour la France pour cette année et l’année prochaine ?
Nous avons maintenu une prévision de hausse de PIB de 0,7% en 2014 et de 1,2% en 2015.
Nous avons révisé à la baisse notre perspective s’agissant des exportations additionnelles, à 14 milliards d’euros, contre 18 milliards d’euros.
Les défaillances d’entreprises devraient baisser pour la première fois depuis quatre ans. Cependant en dépit d’une contraction de 1%, ces défaillances devraient être suffisamment nombreuses- environ 62 000 soit 25% de plus que le niveau d’avant crise- pour amputer deux à trois dixième de point au PIB et entrainer la disparition de 180 000 emplois.
L’effet positif du pacte de responsabilité sur la croissance, sera juste nécessaire pour compenser l’effet négatif du pacte de stabilité d’ici à 2017.

Qu’est-ce qui vous amène à cette position ?

Le principal problème de l’Hexagone réside dans le fait que la courroie de transmission de la reprise économique ne fonctionne pas. Aussi, le chiffre d’affaires des entreprises françaises est stable depuis deux ans non pas du fait d’un problème de débouchés mais en raison d’un problème de prix. Les prix de la valeur ajoutée n’ont en effet pas varié depuis quatre ans du fait d’une absence de circulation de l’argent. Les entreprises se concurrencent par les prix et ne parviennent pas à écouler leurs marchandises en refaisant leurs marges.

Ces chiffres d’affaires ont vocation à continuer à connaitre une très faible variation ?
Avec 0,7% de croissance et 0,7% d’inflation, le chiffre d’affaires est destiné à s’élever de 0,4% cette année. Avec 1% d’inflation et 1,2% de croissance, la variation des chiffres d’affaires devrait être 1,3% en 2015.

Que doit faire la France pour stimuler ce chiffre d’affaires ?

Ne pouvant pas compter pour le moment sur une hausse de l’inflation par le biais d’un processus d’assouplissement quantitatif de la BCE, nous devons alors chercher à l’influencer nous-même. Nous nous devons de ne pas baisser les bras et de ne pas attendre passivement que les choses se détériorent. Il faut alors viser la création de valeur en plus de la croissance et l’emploi dans la conduite de la politique publique. Pour cela des mesures de soutien ciblées sont nécessaires.

Que voulez-vous dire ?
40 milliards d’euros vont être octroyés aux entreprises françaises dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité. Cette manne financière est de nature à abaisser le coût du travail dans le pays de 5,3%. Or le différentiel qui existe entre le coût de travail en France et le coût de travail de nos principaux concurrents équivaut à 15% à 20%.
Les 40 milliards ne sont donc manifestement pas suffisants. Il faudrait au moins 120 milliards d’euros. Parce que l’Etat est en incapacité de rajouter un tel montant, il se doit alors trouver des parades notamment sur le ciblage des aides publiques et les priorités. Nous en proposons trois.

Quelles sont-elles ?
Tout d’abord donner la priorité des aides publiques à deux types d’entreprises en particulier. Tout d’abord, les entreprises jeunes et innovantes qui connaissent une progression notable de leur chiffre d’affaires, qui créent beaucoup d’emplois, et qui sont vite globalisées. Ces entreprises sont par exemple celles des services numériques.
Ensuite, les sociétés exportatrices exposées à une rude concurrence internationale.
Ces deux profils d’entreprises doivent être préférés aux aides décidées sur la taille (auto-entrepreneurs, effets de seuil à 9 et 49 salariés) et aux entreprises évoluant dans les secteurs protégés de la concurrence internationale et peu qualifiés comme la construction et les services aux entreprises.

Selon vous le gouvernement se doit de ne pas refaire la même erreur d’inclusion que pour le CICE ?
En deux ans, 16 milliards d’euros auront été consentis dans le cadre du CICE. 8 milliards s’orientent vers des entreprises de secteurs protégés qui ne sont pas confrontées à une forte concurrence internationale.
La même perte en ligne ne doit pas se répéter avec le Pacte de responsabilité et de solidarité.

Pensez-vous que nous ayons suffisamment d’entreprises jeunes et innovantes et d’entreprises exportatrices pour parvenir à une issue positive ?

L’angoisse d’avoir trop de liquidité à distribuer et pas assez de demandeurs n’a certainement pas lieu d’être. De nombreuses entreprises existantes souhaiteraient se développer pour aller à l’international et entreprendre. Cependant il y a une désincitation forte à le faire par l’inexistence d’un package argent/accompagnement efficace. Le financement manque, les formalités administratives sont compliquées. L’environnement n’est donc pas propice à avoir plus d’entreprises exportatrices ou plus d’entreprises innovantes. Il faut changer cet environnement afin de mettre fin à l’autocensure.

Qu’en est-il de votre troisième proposition ?
Elle consiste à mieux aligner les besoins de financement d’investissement des entreprises et l’offre de financement. La distribution de crédit est actuellement atone pour ce qui est de l’investissement. Pour certains c’est un problème d’offre, pour d’autres un problème de demande. Nous pensons s’interroger sur la source de cette faiblesse est une erreur. Ce qui est important c’est d’y remédier.

Comment ?
En faisant appel et en favorisant d’autres sources de financement que les banques, telles que les bourses régionales en Allemagne, les « business angels » au Royaume-Uni. Les compagnies d’assurances françaises ont un potentiel de financement extrêmement significatif. Leur capacité de financement est jaugée à 100 milliards d’euros. Or seulement 1 milliard a été libéré du fait de l’absence d’un véhicule d’investissement adéquat et d’une régulation conservatrice.

Pensez-vous que ces différents axes pourront être pris en compte à présent que la feuille de route du gouvernement est toute tracée ?
Une feuille de route se doit de ne pas être figée et d’être réajustée en fonction de ce qui se passe ailleurs dans le monde. Je suis d’avis que le gouvernement finira par modifier, par itération, son cap et sa boîte à outil de politique publique au regard des principaux agrégats économiques de la France-notamment la croissance et le chômage-qui peinent à s’améliorer. .
Aujourd’hui les entreprises françaises résistent car elles ont énormément réduit leurs coûts et procédé à de nombreux licenciements. Elles ne pourront cependant pas résister bien longtemps si elles ne retrouvent pas le chemin d’une progression de leur chiffre d’affaires.
L’approche des échéances électorales aidera certainement à dresser ce bilan en 2015.

Il est fort probable que cette modification si elle a lieu suscitera de farouches oppositions ?
C’est la une retombée naturelle d’une politique économique qui se veut ciblée. Ceux qui ne sont pas dans la cible auront toujours à cœur d’afficher leur mécontentement. Le tout est de rester fidèle à la « fonction objectif » que l’on s’est assignée. Si celle-ci est de croitre le chiffre d’affaires des entreprises en France, alors les trois axes précités devront être scrupuleusement suivis. L’idée étant que tout euro supplémentaire dépensé soit optimisé.

Quand bien même le gouvernement finissait par opter pour cet objectif de création de valeur ajoutée et de prendre les mesures adéquates, vous pensez que cela ne suffira vraisemblablement pas. Une intervention plus massive de la Banque centrale européenne sera indispensable ?

Tel est mon avis. Il n’est d’une part pas évident que les mesures qui seront prises tardivement déploient leur effet sur l’économie rapidement.
Ensuite, au sein de la zone euro, la désinflation grève la capacité des entreprises à diminuer leur dette, à accéder au crédit, à être véritablement compétitives. L’euro fort coute à toutes les entreprises y compris les entreprises allemandes devenues moins compétitives comparativement aux entreprises américaines et japonaises. Il manque 2000 milliards d’euros dans le système pour insuffler à la zone euro une vrai énergie. En cela l’utilité d’un programme de quantitative easing de la BCE finira par s’imposer. Un programme de rachat d’ABS ne suffira pas.

Avec quel timing ?
L’urgence devrait se faire sentir dès l’année prochaine lorsqu’on aura vu que malgré des cures d’austérité difficiles, le résultat sera toujours en demi-teinte.

Propos recueillis par Imen Hazgui