Interview de Nicolas  Franck : Directeur investissement et solutions clients de Natixis Asset Management

Nicolas Franck

Directeur investissement et solutions clients de Natixis Asset Management

Si le quantitative easing n'est pas lancé par la BCE, le marché pourrait estimer qu'il a été trompé

Publié le 28 Novembre 2014

Quelle vision avez-vous de la toile de fond macroéconomique dans laquelle évoluent les marchés financiers ?
La croissance mondiale est plutôt atone même si la locomotive américaine montre une reprise robuste. Selon un indicateur agrégé qui reprend les indices PMI, ainsi que des données de marché comme le différentiel de parcours valeurs cycliques/valeurs défensives ou l’évolution des matières premières cycliques/l’or, un ralentissement de la dynamique pourrait encore se dessiner dans les mois à venir. Les principales zones d’inquiétude se situent dans la zone euro et au Japon.
Dans un contexte de croissance morose où les valorisations ne sont plus bon marché, la liquidité des banques centrales demeure le seul moteur éventuel des marchés pour l’année prochaine. Cette thématique est toujours porteuse.

Que tablez-vous dans votre scénario central s’agissant de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine ?

La Fed a communiqué sur le maintien d’une politique de taux bas extrêmement longue. Nous pourrions avoir un premier relèvement dans le courant de l’année 2015 de 50 points de base, plutôt à partir du deuxième semestre. Toutefois le rythme retenu devrait par la suite être très lent sauf si une considération non attendue force la Banque centrale à agir autrement.

Que voulez-vous dire ?
Une vive remontée de l’inflation aux Etats-Unis pourrait mettre la Fed dans une position très délicate. Dans le cas où cette dernière restait passive, elle pourrait mettre en jeu sa crédibilité. Si elle venait à réagir, le marché pourrait présager d’un cycle de remontée des taux plus rapide. Pour l’heure les derniers chiffres témoignent d’une inflation modérée.

Alimentez-vous une quelconque appréhension au regard d’un blocage budgétaire qui ferait suite à la victoire des Républicains au sein du Congrès américains ?
La configuration parait être moins crispante qu’elle ne l’avait été par le passé. Le risque d’un blocage budgétaire important est limité car l’Etat n’a pas beaucoup de marge de manœuvre. Le marché ne semble pas se préoccuper de ce sujet outre mesure pour l’instant.

Quels commentaires vous inspire la situation dans la zone euro ?
Alors que les Etats-Unis se rapprochent doucement du plein emploi, la zone euro continue de flirter avec la déflation. L’essoufflement observé en Allemagne ces derniers mois en raison du mauvais état des clients de l’Europe du sud et de la crise ukrainienne n’est pas de nature à rassurer.

Tablez-vous dans vos perspectives sur un quantitative easing de la BCE ?
Les déclarations se multiplient de la part des responsables de la BCE en faveur du lancement de ce quantitative easing en début d’année prochaine. Cependant nous avons du mal à percevoir avec précision les modalités de mise en œuvre d’un tel programme. De fortes rigidités se posent notamment de la part de l’Allemagne.
A notre sens, l’efficacité de ce programme dépendra beaucoup de la faisabilité opérationnelle. Si les titres d’Etat sont rachetés au prorata de la contribution des Etats membres dans le capital de la BCE, on peut légitimement se poser la question de la pertinence d’un achat massif des obligations souveraines allemandes dans l’environnement de taux actuel. Si au contraire certains titres d’Etat sont favorisés, cela supposera un biais discriminatoire et pourrait ne pas être bien perçu par certaines populations.
Ce qui est certain c’est que nous avons dans notre scénario central une poursuite de la politique monétaire très accommodante de la BCE. Ceci étant on peut penser que si le QE n’était pas lancé, le marché pourrait estimer qu’il a été trompé à moins qu’entre temps l’évolution de la croissance mondiale soit suffisamment positive pour pouvoir tirer la zone euro vers le haut.

Qu’escomptez-vous du plan Juncker ?
La BCE considère à raison qu’elle ne peut pas améliorer seule la situation au sein de la zone euro. Les marges budgétaires étant contraintes dans une période d’assainissement nécessaire des finances publiques, ce qui peut venir d’un plan d’amélioration des infrastructures en Allemagne ou d’un plan d’investissement de la part de la Banque européenne d’investissement est bienvenu pour stimuler la compétitivité de la région.
Pour l’instant ce qui a été annoncé par la Commission européenne n’est pas de nature à permettre des lendemains très enthousiasmants. Toutefois cela participe de l’effort collectif.

Quel regard portez-vous sur la Chine ?
Les créances douteuses ne cessent de progresser dans le pays. Le système de finance parallèle continue à se développer. Il y a de la part des autorités chinoises une volonté de refroidir la bulle de crédit qui s’est créée afin d’éviter un endommagement trop sévère du système financier. Cependant ces derniers ont également à cœur de ne pas mettre excessivement sous pression la croissance même si un certain ralentissement est toléré. La route est très étroite pour opérer le rééquilibrage souhaité.
La tâche est rendu plus difficile par l’intensification de la concurrence des pays voisins, comme le Vietnam ou le Cambodge, pour les produits manufacturiers bas de gamme et des Etats-Unis pour les produits industriels à plus grande valeur ajoutée.
La situation macroéconomique et financière de la Chine est clairement un point à surveiller étroitement l’année prochaine. Ce d’autant plus que la visibilité n’est pas très bonne en raison du manque de fiabilité des statistiques.

Quel est votre appétit pour les actifs risqués à ce stade de l’année ?
Pour le moment nous demeurons pleinement investis dans les actifs risqués. Nous voyons de multiples facteurs positifs entretenir la revalorisation de ces actifs en dépit de la perte de leur caractère bon marché : le repli du cours du pétrole, le renforcement du secteur bancaire avec les différentes mesures pour affermir la solvabilité et la liquidité, la dépréciation de l’euro qui permet de redistribuer la croissance américaine.

Quelles inflexions avez-vous décidé d’apporter à votre portefeuille ?
Nous privilégions le crédit HY par rapport au crédit IG. Nous mettons aussi l’accent sur les obligations des pays émergents car les spreads restent attractifs.
Dans le compartiment des actions nous sommes d’avis que les actions de la zone euro pourraient surperformer les actions américaines par le jeu d’un mécanisme de rattrapage.
Nous avons un biais sur les cycliques par rapport aux défensives, notamment aux Etats-Unis. Il nous parait que les valeurs défensives américaines ont été surachetées pour palier à la baisse des taux du fait de la forte génération des dividendes.
Sur le front des matières premières, un retour sur les matières premières cycliques, métaux industriels et pétrole n’est pas d’actualité car la demande mondiale est insuffisante.
Dans la sphère des devises, nous jouons la hausse du dollar en raison de la robustesse de la reprise et de la stratégie de normalisation de la politique monétaire dans laquelle est inscrite la Fed.

Quels commentaires vous inspirent la performance des actions de la zone euro cette année ? Nous sommes loin des prévisions très favorables faites par beaucoup d’opérateurs en janvier ?

Le marché s’est aperçu au fil de l’année à quel point le problème de la compétitivité au sein de la zone euro n’était pas résolu et à quel point il fallait s’attendre encore quelques temps à une croissance si ce n’est négative ou nulle, au moins très morose.
La dépréciation de l’euro, associée au recul du prix du pétrole, devraient aider à doper la marge des entreprises européennes.

Le consensus table sur une progression des bénéfices de 13% l’année prochaine ?
Ce consensus nous semble encore ambitieux.

Propos recueillis par Imen Hazgui