Interview de Etienne Gorgeon :  Directeur des investissements fonds ouverts et mandats chez Tikehau Investment Management

Etienne Gorgeon

Directeur des investissements fonds ouverts et mandats chez Tikehau Investment Management

Nous avons pu dernièrement percevoir une accentuation du risque d'illiquidité sur l'ensemble des marchés financiers

Publié le 02 Décembre 2014

Les gérants obligataires sont confrontés aujourd’hui à des risques non négligeables. L’un d’entre eux est le risque d’illiquidité. Quelle vision en avez-vous ?
Il y a lieu de considérer ce risque d’illiquidité dans son ensemble. Il n’intéresse pas seulement la classe d’actifs obligataires mais plusieurs autres classes d’actifs dont les emprunts d’états américains (treasuries) et la classe actions, en particulier les petites et moyennes valeurs.

Nous avons pu dernièrement percevoir des signes importants attestant d’une accentuation de ce risque d’illiquidité. Il y a un mois, les taux à dix ans américains ont baissé de plus de 33 points de base en l’espace de peu de temps. Le cout d’emprunt des titres de dette américaine pour les traders s’est considérablement enrichi passant de quelques point de base à 300 points de base, ce qui est considérable. La correction des marchés actions en octobre, de 10%, s’est produite avec une violence inhabituelle. Ajusté de la volatilité, cela a été le quatrième plus fort mouvement depuis les années 1990.

Le doit-on uniquement à l’amoindrissement du rôle de teneurs de marché qu’avaient les banques du fait du durcissement des normes réglementaires ?

L’accroissement de ce risque d’illiquidité est effectivement dû en premier lieu au fait que les grandes contreparties, autrement dit les banques de dimension internationale, ont décidé de mettre de moins en moins de capital pour assurer la liquidité consécutivement à la mise en application des normes de Bâle III. Celles-ci ne sont en conséquence plus en mesure d’amortir les chocs de marché.
A également contribué à l’assèchement de la liquidité sur le marché, le comportement des principales banques centrales occidentales qui ont racheté abondamment des emprunts d’Etat ce qui affaibli l’offre disponible.

Quels sont les répercussions perceptibles de ce manque de liquidité ?
Tout d’abord une amplification des mouvements à la hausse comme à la baisse.
La probabilité de voir le marché s’arrêter de fonctionner en cas de stress aigu, quoique restant modérée, s’est élevée.

La Réserve fédérale et la Banque centrale européenne ont ce sujet à l’esprit. Que peut-on escompter de la part des superviseurs ?
La constatation que l’on a trop serré l’étau sur les banques et la prise de conscience que des ajustements doivent être apportés.

Pourrait-on envisager un recul au niveau de la réglementation Bâle III ?
Probablement pas à court terme, c’est cependant un sujet prioritaire pour la Fed et la BCE.
Une réponse pourra aussi être apportée du coté des investisseurs. Des pénalités de sortie dans les fonds ouverts pourraient être imposées. Un rythme de sortie autre que journalier pourrait être requis. La taille des fonds pourraient être limitée. De notre coté chez Tikehau nous avons décidé de limité la taille de nos fonds afin de protéger nos clients contre ce phénomène décrit.

L’illiquidité du marché n’est-elle pas amplifiée par l’arrivée d’acteurs non liquides ?
Les initiatives de placements privés ont certes pris plus d’envergure. Certains émetteurs sont venus avec des conditions de financement substantiellement plus attractives que sur le marché du haut rendement. Pour les assureurs, l’appétit pour les fonds de prêts à l’économie a été favorisé par un assouplissement des exigences règlementaires.
Ceci étant jusqu’ici le développement de ces fonds est encore embryonnaire. Le montant euro PP est estimé à 10 000 milliards d’euros.

L’impact sur l’illiquidité du marché est donc assez mince.

L’environnement de taux bas qui a vocation à le rester durablement ne peut-il pas pousser ce segment encore embryonnaire à prendre plus d’ampleur ?
C’est en effet une donnée que l’on peut pressentir. Pour autant la réallocation de l’épargne des investisseurs institutionnels vers ce type de sous-jacent évoluera en fonction des primes de risques, il se trouve qu’en ce moment le segment du high yield offre des primes de risques plus attrayantes a niveau de sécurités équivalentes. Un arbitrage est alors réalisé.

Comment voyez-vous les initiatives de certains acteurs comme le lancement de la plateforme Neptune pour remédier à ce problème d’illiquidité ?
Nous regardons de très près l’évolution de ces initiatives. Pour le moment aucune n’a réellement percé. Les premiers à en avoir parlé ont été State Street.
Le problème est que le comportement des investisseurs dans la sphère du crédit est très moutonnier. Tout le monde est acheteurs ou vendeurs au même moment. Dès lors la liquidité n’est pas vraiment améliorée. Idéalement il faudrait assouplir les règles prudentielles pour que les grandes banques d’affaires réutilisent leurs bilans pour apporter de la liquidité aux investisseurs.

Quel regard portez-vous à présent sur le risque de formation de bulles sur la sphère dans laquelle vous évoluez ?

Les primes de risque crédit sont encore larges sur certains segments du haut rendement. Nous ne sommes pas éloignés des moyennes de long terme. Les rendements ont baissé à cause des taux sur lesquels nous sommes d’avis qu’il n’y a pas de bulle.
Les anticipations d’inflation sont très faibles. Un processus de désinflation est constaté. Les prix des matières premières sont en repli. On ne peut pas imaginer être dans une bulle obligataire lorsqu’il n’y a pas de pression inflationniste.

Le bund à dix ans, qui est le taux de référence le plus couramment utilisé pour les obligations d’entreprises européennes, est à 0,7% ?

En considérant des statistiques historiques japonaises, pendant la période de désinflation, on peut dire que le bund à 10 ans à 0,7% intègre déjà énormément de mauvaises nouvelles notamment de la déflation.
Au plus fort du premier assouplissement quantitatif au Japon en 2001 qui a duré environ 6 ans, le taux à dix ans japonais est tombé à 0,4%.
Même s’il y a encore un potentiel de repli, il est ténu. Ce d’autant plus que l’on ne pense pas que le parallèle avec l’économie japonaise soit parfait : il est possible que l’inflation européenne passe momentanément en dessous de 0% mais nous ne devrions pas nous retrouver structurellement en déflation.

Y a-t-il aujourd’hui une concordance entre taux actuariels et fondamentaux des émetteurs ?
Dans certains segments comme BBB et BB, si les taux de défaut devaient remonter au niveau historique, les taux actuariels ne rémunèreraient sans doute plus suffisamment.
Le coussin de sécurité est en cela moins confortable. Tel n’est pas le cas en revanche sur le simple B qui offre un rendement important.

Le segment du single B a donc votre préférence. Quelles sont les principales questions que vous vous posez avant d’investir ?
C’est effectivement le segment qui nous semble le plus attrayant. Les principales questions que nous nous posons sont : les taux actuariels compensent-ils pour le risque pris ? A-t-on suffisamment de marge de manœuvre pour pouvoir nous exprimer en gestion, autrement dit pour pouvoir sortir des sentiers battus et apporter de la valeur ajoutée à nos clients ?

La recherche de papier de qualité est-elle un problème ?

Pas du tout. Nous n’avons pas besoin d’un marché primaire très vibrant car nous avons beaucoup d’émetteurs sur le marché secondaire. Le fait qu’il y ait un volume d’émission en forte baisse depuis septembre a permis au marché de se purger naturellement. Le marché a beaucoup attiré d’investisseurs ces cinq dernières années. Le récent essoufflement a donc été une bonne chose.

Un autre enjeu auquel sont confrontés les gérants obligataires a trait à l’évolution de la réglementation concernant les créanciers des titres de dette émis par les banques…
Je pense que le marché a pleinement intégré que dans une certaine mesure tous les créanciers des banques pourraient être impactés en cas de problème rencontré par l’établissement.
Ceci étant, il est crucial de mettre en parallèle le durcissement de cette réglementation avec les efforts effectués ces dernières années pour améliorer la santé du système bancaire. Le système bancaire s’est substantiellement assaini grâce à une élévation des ratios de solvabilité. Les fonds propres ont été augmentés. Les risques dans les bilans ont été réduits. Un superviseur unique a été instauré, appuyé par les banques centrales locales.
Les actifs du secteur bancaire sont à certains égards devenus similaires au actifs du secteur des services aux collectivités locales : des actifs ultra régulés et sûrs.

Avant que les créanciers ne soient mis à contribution, il y a une multitude de gardes fous.
A partir de 2016, pour payer les dividendes, les coupons des papiers subordonnés et les bonus des dirigeants, une lettre devra être envoyée à la Banque centrale locale et à la BCE pour demander une autorisation. Dans le même esprit, si les fonds propres ne sont pas suffisants, le régulateur pourra imposer le non paiement de coupons ou de dividendes.

L’appétit pour les obligations des banques est plutôt de nature à s’accentuer en dépit du bail-in bancaire ?

Nous pensons que les titres de dette des banques sont totalement adaptés aux fonds obligataires. Les titres subordonnés de Crédit Agricole, une banque très bien capitalisée, offrent des taux actuariels de 6,5%.

Propos recueillis par Imen Hazgui