Interview de Bernard Aybran : Directeur de la multigestion chez Invesco Asset Management

Bernard Aybran

Directeur de la multigestion chez Invesco Asset Management

Actions de la zone euro : nous attendons la révision baissière des prévisions de bénéfices avant de passer à l'offensive

Publié le 14 Octobre 2015

Dans ce contexte de taux directeurs historiquement bas des pays développés, des rendements très significatifs peuvent être décelés dans certains segments ?
Si l’on observe étroitement certaines classes d’actifs, nous pouvons effectivement dénoter l’existence de rendements très significatifs, supérieurs à ce qu’ils étaient il y a dix ans, en nominal (donc sans prendre en compte l’affaiblissement de l’inflation), que ce soit sous forme de coupons pour les obligations ou de dividendes pour les actions.

Dans quels compartiments en particulier ?

Nous pouvons apercevoir ces rendements attractifs dans des compartiments quelque peu exotiques comme la dette émergente de sociétés privées, les emprunts d’Etats émergents en devise locale (en rouble ou en réal) mais aussi dans des compartiments un peu plus traditionnels comme les obligations des sociétés risquées européennes et américaines (dites obligations « high yield ») ou encore les actions de la zone euro. Concrètement le rendement de l’indice Eurostoxx aujourd’hui est plus élevé qu’en 2005, à 3,5%.

Ainsi une source très intéressante de rendements, en particulier en terme réel, s’est reconstituée sur le marché des actions de la zone euro. Pour autant il vous semble encore trop tôt pour s’exposer massivement à ce marché. Pourquoi ?

Alors que le premier trimestre a été singulièrement porteur pour le marché, l’été a été bien moins favorable. Le troisième trimestre a été le pire trimestre depuis 2011. Ceci étant malgré des pertes significatives, les flux sur le marché des actions de la zone euro ne se sont pas réellement inversés. Tout au long du mois de septembre, les ETF investis dans les actions de la zone euro ont continué à collecter de manière générale.
Les corrections importantes dans leur ampleur ont été ponctuelles. Les investisseurs sont restés très surpondérés sur la région. Ainsi la performance du segment n’est à aucun moment descendue en territoire négatif depuis le début de l’année.
Or, les dernières statistiques témoignent d’une notable dégradation de la situation macroéconomique.

Mais le consensus des bénéfices européens n’a toujours pas été revu à la baisse ?

C’est justement ce qui pose problème.
Les analystes sont encore dans le paradigme de l’alignement des planètes : fort repli des cours des matières premières, dépréciation de l’euro contre les autres devises, taux de refinancement sur le marché très amoindri, poursuite d’une politique monétaire accommodante par la Banque centrale européenne.
Or, la croissance économique est indispensable pour la génération d’un surplus de bénéfices. Si l’on admet que la prévision de celle-ci pour cette année a été revue de 1,8 à 1,3, cela nous semble compliqué d’imaginer un statu quo dans les estimations de hausse de profits.
Un ajustement des anticipations des bénéfices nous parait nécessaire. Celui-ci devrait pousser à une nouvelle tendance baissière sur les actions européennes. Ce risque est loin d’être négligeable.

Comment expliquez-vous la récente hausse sur ce segment ?

Ce sont surtout les secteurs cycliques qui ont tiré le marché ces derniers jours (matières premières, énergie, industrie lourde). Les autres secteurs ont été à la traine.
Nous pensons que nous avons assisté à un « short covering ». Des positions défensives voire vendeuses à découvert sur ces secteurs ont été prises puis débouclées brutalement.
Nous n’avons pas eu, en revanche, de débouclage de positions longues dans le compartiment.

Pour quand escomptez-vous cette révision à la baisse des estimations de bénéfices ?

Le timing est compliqué. C’est souvent à l’occasion de la publication des résultats des entreprises américaines que les analystes revoient leur copie. Généralement les conclusions tirées des résultats des entreprises américaines sont alignées avec celles avancées pour les entreprises européennes.

Qu’en est-il de votre allocation d’actifs dans cette sphère ?

Nous avons attaqué l’été avec un allégement de notre exposition aux actifs risqués. Nous avons davantage réduit la voilure pendant la période estivale. Nous sommes actuellement sous pondérés. Notre poche de liquidité s’est agrandie.
Nous attendons la révision baissière des prévisions de bénéfices avant de passer à l’offensive. Nous nous repositionnerions alors certainement sur les secteurs qui affichent une bonne visibilité de leur croissance.

Qu’en est-il des autres sources de rendements précitées : les obligations high yield ou encore les actifs émergents ?

Nous sommes d’avis que dans la sphère de la dette émergente ainsi que dans celle des obligations des entreprises risquées, un accroissement du taux de défaut est à attendre. Le niveau de levier n’a cessé de progresser ces dernières années pour les sociétés évoluant dans le secteur des matières premières, plus notoirement de l’énergie. L’essoufflement de la croissance au niveau mondial et le fort repli des cours des matières premières tendent à laisser supposer que l’aptitude de ces sociétés à honorer leurs engagements sera plus difficile.
Nous avons vu des flux sortants massifs des actifs des pays émergents, actions et obligations. Même si nous pouvons considérer que la majeure partie du nettoyage des positions spéculatives a été fait sur ces actifs, du chemin reste probablement à parcourir.


Propos recueillis par Imen Hazgui