Interview de Antonin Amado : Rédacteur en chef de Novethic*

Antonin Amado

Rédacteur en chef de Novethic*

L'impact du changement climatique est déjà là pour certaines entreprises

Publié le 11 Décembre 2015

Les grandes entreprises françaises et étrangères ont multiplié les annonces pendant la COP21. Certaines se sont fixées des objectifs chiffrés de réduction de leurs émissions.  Le secteur privé montre-t-il l’exemple aux États?
L’engagement du secteur privé dépasse ce à quoi l’on pouvait s’attendre. Certaines initiatives liées notamment au désinvestissement des énergies fossiles étaient impensables il y a deux ans.  Or, la mobilisation des entreprises est essentielle dans la lutte contre le changement climatique. Quel que soit l’engagement des Etats, si les modèles de production des grandes multinationales restent très émetteurs de gaz à effet de serre on ne pourra pas rester en dessous de 2 degrés de réchauffement climatique. Ces engagements des entreprises ont d’autant plus de chances d’être tenus qu’ils sont poussés par leurs actionnaires qui eux aussi prennent des engagements. Les investisseurs institutionnels c’est à dire des banques, des assureurs, des fonds de pension, commencent à mesurer leur empreinte carbone c'est-à-dire les émissions qu’ils contribuent à émettre à travers les différents modes de financement. Eux aussi prennent des engagements de réduction chiffrés de ces émissions indirectes. Quel que soit le résultat des négociations au niveau des Etats, il y aura un « avant » et un « après » Paris, en raison de cette accélération des initiatives du secteur privé.

Nous ne sommes donc pas dans le « greenwashing » selon vous ?

Le greenwashing consiste à faire passer pour vert ce qui ne l’est pas. Les entreprises profitent de la COP21 pour communiquer sur l’environnement mais elles sont encore peu nombreuses à avoir compris qu’il s’agissait d’une transformation en profondeur de leurs modèles économiques. L’impact du réchauffement climatique est déjà là pour certaines d’entre elles. H&M anticipe par exemple une baisse des récoltes de coton, autrement une raréfaction de la matière première de ses vêtements. C’est pourquoi le groupe  travaille sur des solutions d’économie circulaire et essaie de mettre au point une fibre qui serait recyclable à l’infini. Les entreprises qui sont le plus exposées sont forcées de s’adapter au changement climatique, comme les pays les plus vulnérables certaines seront même menacées de disparition.

Vous avez évoqué le rôle des investisseurs dans la transition vers une économie décarbonée. Comment cela se traduit-il concrètement ?
Le secteur financier privé est indispensable pour pouvoir financer la transition énergétique indispensable pour ne pas dépasser les 2 degrés. Il a déjà commencé à bouger en jouant sur deux leviers : le désinvestissement d’activités très nocives pour le climat comme le charbon et les financements verts pour lesquels les annonces s’élèvent à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Le centre de recherches de Novethic évalue à 1000 le nombre de fonds de pension, assureurs, fondations et autres institution financières qui dans le monde ont intégré le paramètre climat à leur gestion financières. Ils gèrent 30 000 milliards de dollars et sont donc des poids lourds du secteur financier. Ce n’est plus un mouvement marginal, ou militant. En effet, l’investissement dans les énergies fossiles rapporte de moins en moins et les risque de pertes financières colossales sont plus importants. C’est aussi vrai pour le modèle économique du nucléaire devenue une énergie aux coûts exorbitants. Sur une ferme éolienne ou un parc solaire, vous n’avez pas ces risques et les performances financières sont d’ores et déjà très satisfaisantes. De nombreux investisseurs l’ont compris, c’est pourquoi ils sont de plus en plus nombreux à vouloir financer l’économie bas-carbone.

Les entreprises du CAC40 font-elles partie des « bons élèves »?

Certaines entreprises du CAC 40 ont pris des engagements importants.  Kering a par exemple mis en place un système de comptabilité interne qui consiste à donner un prix à tous les impacts environnementaux (carbone, particules fines, etc). L’objectif étant bien sûr de réduire l’impact global des activités du groupe. Les acteurs financiers, Axa, BNP Paribas, Crédit Agricole ou Société Générale affichent tous les quatre des stratégies climat crédibles. Dans les secteurs les plus « intensifs » en carbone, en revanche, il y a encore beaucoup de chemin à faire. Total, Engie ou EDF ont pris des engagements mais restent très attaqués par les ONG environnementales sur l’ensemble de leurs activités. Le CAC 40 n’est pas un indice plus « vert » que les autres. Il faut des méthodologies spécifiques pour en construire un. On peut citer l’indice Low Carbon 100 que vient de lancer Euronext. C’est un comité scientifique associant financiers et ONG qui établit la liste des entreprises sélectionnées dans laquelle on ne trouve ni Total, ni Engie.


*Novethic, filiale de la Caisse des Dépôts, est un média dédié au développement durable, ainsi qu’un centre de recherche sur l’Investissement Socialement Responsable (ISR) et la Responsabilité Sociale des Entreprises
(RSE). Pour plus d'informations rdv sur le site.

Propos recueillis par François Schott