Interview de Marc  Renaud : Président de Mandarine Gestion

Marc Renaud

Président de Mandarine Gestion

2015 a été une année cauchemardesque pour la gestion value. Qu'en sera-t-il de 2016 ?

Publié le 15 Décembre 2015

Cela fait cinq années consécutives que la gestion value notamment sur le marché des actions de la zone euro n’a pas performé. Quelle interprétation en faites-vous ?
La sous performance de la gestion value depuis huit ans est historiquement incroyable. Elle s’élève à 40%. Trois grandes phases ont pu être observées depuis l’apparition de la crise de 2008. En premier lieu, une très forte correction de 45% avec un rejet quasi unanime des banques d’automne 2008 jusqu’en mars 2009. Un vif rebond s’en est suivi grâce à une significative contraction de la prime de risque jusqu’en 2011. Depuis lors une nouvelle période de sous performance drastique s’est ouverte.

Le désaveu de la gestion value s’est prolongé cette année 2015 ?

Nous pouvons admettre que 2015 a été une année cauchemardesque pour la gestion value stricto sensu.

Comment expliquez-vous que la gestion value n’ait pas connu la fête qu’ont connue les indices boursiers européens cette année ?

En premier lieu, par la peur du contexte macroéconomique. Egalement par la puissante intervention des grandes banques centrales sur les marchés.

Y a-t-il un secteur considéré comme "value" qui a tout de même su tirer son épingle du jeu ?

Quasiment tous les secteurs value ont été négativement impactés. Il est intéressant de noter que pratiquement aucune discrimination n’a été faite à l’intérieur de ces secteurs. Au contraire mêmes, les sociétés les plus saines, ayant un gros bilan ont eu tendance à être revendues les premières en raison de leur liquidité.
Les seuls secteurs qui ont su afficher une plus grande résilience que les autres sont celui des télécoms et dans une moindre mesure celui de la construction automobile.

Un important processus de rattrapage s’impose. Croyez-vous à un retour en grâce de la gestion value en Europe l’année prochaine ?

Cela n’est pas à exclure. L’inflexion en cours de préparation dans la politique monétaire américaine pourrait permettre une inversion de tendance dans les styles value et growth. Le retail, l’immobililier, l’alimentaire, la santé pourraient être délaissés au profit de l’industrie et des métaux.

Qu’est ce qui pourrait précipiter une surperformance de la gestion value ?

Une accélération du processus de remontée des taux par la Fed qui aurait indubitablement une conséquence sur les taux américains et par effet de ricochet sur les taux européens.
Une amélioration de la conjoncture en zone euro plus forte qu’anticipé qui conduirait la BCE à lever le pied sur sa politique monétaire ultra accommodante. Pour la première fois depuis longtemps, les bénéfices des sociétés de la zone euro sont escomptés en hausse de 5-6%, essentiellement grâce à l’effet devise (contre une variation de -8% au Royaume-Uni du fait des matières premières).
Si l’euro reste faible, ainsi que les prix des matières premières, pétrole en tête, nous pourrions avoir une expansion des bénéfices encore plus remarquable en 2016 compte tenu du fort assainissement des entreprises. Une légère hausse des prix et des volumes suffirait, en l’état, à accroitre les marges qui sont très faibles, et à avoir ainsi une meilleure rentabilité des fonds propres qui se trouve aujourd’hui inférieure à la moyenne historique. 

La réglementation et les opérations de fusion-acquisition pourraient également être des soutiens ?

Des mesures antidumping sont en préparation, singulièrement dans un secteur comme l’acier. Leur mise en œuvre pourrait être salutaire pour les valeurs cycliques et donc les valeurs décotées.
Les opérations de fusion-acquisition peuvent clairement être un catalyseur. Nous avons pour notre part, de nombreuses valeurs dans nos portefeuilles qui font l’objet ou qui sont susceptibles de faire l’objet d’une opération de fusion-acquisition.

Il est admis que le rallye des valeurs « value » pourrait se faire violemment. Qu’en pensez-vous ?

Cela me parait tout à fait plausible. C’est ainsi que nous avons pu constater récemment certaines valeurs cycliques sensiblement monter à la suite de bonnes nouvelles, ou de nouvelles moins mauvaises que prévu. Cela a été le cas de plusieurs valeurs bancaires, ou encore de valeurs automobiles. Ainsi l’équipementier finlandais Outotec a été en mesure de récupérer 17% de sa valeur en l’espace de deux séances.

Comment expliquez-vous cette aptitude pour les titres « value» à se ressaisir violemment ?

Plusieurs facteurs l’expliquent : le poids colossal qu’ont pris les ETF sectoriels, le massif positionnement vendeur des investisseurs courtermistes, comme les hedge funds, ou encore l’exposition de gérants non naturels, comme les gérants obligataires sur des titres value pour obtenir plus de rendement

De quelle manière étiez-vous positionnés sur la gestion value tout au long de cette année ?

Nous étions entièrement investis dans notre portefeuille. Nous avons le choix de ne pas détenir une poche exclusivement faite de liquidité. Nous avons eu un important biais sur les banques valorisées globalement 0,5 fois la book value. La majeure partie des mauvaises nouvelles intégrées nous parait avoir été intégrée par le marché. Un simple retour à 0,9 fois la book value justifie une position constructive sur les banques.

Peut-on s’attendre à ce que la volatilité exacerbée qui caractérise actuellement les marchés et qui a vocation à persister pourrait amener des valeurs défensives ou de croissance à devenir des valeurs décotées ?

C’est concevable. Ce fut le cas cette année avec Beiersdorf, Allianz, Smith & Nephew, Pernod Ricard.

Dans le cas d’un déclenchement d’un mouvement haussier sur les valeurs décotées. Quelles seront celles qui renferment le potentiel le plus élevé de performance ?

Le secteur des matières premières constitue un bon gisement : le cas d’Arcelor est un bon exemple. Malgré le grand chahut sur le titre, nous avons décidé de le conserver en portefeuille, estimant qu’Arcelor jouissait d’un certain leadership, d’un marché mature, d’actifs rentables et d’économies de coûts conséquentes. Quand bien même nous avons pu commettre, de prime abord, une erreur de timing, nous avons gardé la valeur pour ne pas risquer de prendre une porte de saloon.

D’aucuns craignent que la gestion value ne puisse pas retrouver ses couleurs en raison du nouveau monde dans lequel on serait rentré, emprunt d’une déflation et d’une stagnation séculaire. Qu’en pensez-vous ?

Il est vrai que la thèse du retour à la valeur moyenne ne fonctionne pas en période de déflation et de récession. Néanmoins, tel ne constitue pas du tout notre scénario central.

Pourriez-vous nous citer des noms de titres « value » qui méritent leur décote et qui ont vocation à rester durablement décotées ?

Alstom, CGG, Philipps, Thyssenkrupp, EDF.

Propos recueillis par Imen Hazgui