Interview de Eric Turjeman : Directeur des gestions actions et convertibles au sein d'OFI Asset Management

Eric Turjeman

Directeur des gestions actions et convertibles au sein d'OFI Asset Management

Cac 40 : on a réussi en 2015 à effacer toute la crise de 2008 qui a été envenimée par la faillite de Lehman Brothers

Publié le 16 Décembre 2015

Quel regard portez-vous sur le parcours du marché des actions de la zone euro cette année 2015 ?
2015 s’est caractérisée par une volatilité exacerbée. Quatre grandes phases peuvent être distinguées au cours de cette année. Tout d’abord, une vive performance du marché tout au long du premier trimestre. C’est ainsi que le Cac 40 s’est retrouvé à la fin du mois de mars en hausse de près de 30%. La deuxième phase a été observée en aout. Les craintes nourries autour du ralentissement prononcé de la dynamique économique chinoise a conduit à une forte correction du marché. L’indice phare de la place parisienne a ainsi perdu 20% en l’espace de 15 jours. Puis, de fin septembre au début du mois de novembre, nous avons pu assister une nouvelle période de rallye du marché. Le Cac 40 a ainsi pu récupérer plus de 15% en un peu plus d’un mois. Enfin, depuis deux semaines, la déception provoquée par les déclarations du président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, après la dernière réunion du Conseil des gouverneurs, ont conduit à un nouvel intervalle de contre performance. Le marché parisien a par exemple lâché plus de 10% depuis le 3 décembre, date de la conférence de presse de Mario Draghi.

De quelle manière expliquez-vous ces brusques changements de configuration ?

Le déplacement très rapide des flux de liquidité a plusieurs origines, deux en particulier : la prolifération des programmes automatisés avec la fixation de seuils de vente et d’achat pour sécuriser les positions, et le tarissement de la liquidité sur le marché notamment en raison du moindre rôle joué par les investisseurs de long terme.

De quelle manière voyez-vous évoluer cette volatilité ?

Cette volatilité exacerbée devrait se poursuivre en 2016. Il faudra faire preuve de sang froid, s’attribuer un horizon de placement de moyen terme et rester calme jusqu’à l’atteinte de cet horizon.

Sur quelle tonalité nous devrions terminer 2015 ?

Malgré l’épisode de consolidation qui a dernièrement eu lieu, 2015 devrait être un bon cru pour le marché des actions de la zone euro. Les indices phares de la région devraient finir l’année avec une performance comprise entre 10% et 15%, ce qui est très notable lorsqu’on compare cela au marché des actions américaines qui est resté quasi stable.
Le problème du Cac 40, est que son affichage ne prend pas en compte les coupons versés, contrairement au Dax. Si nous réintroduisons les dividendes rémunérés, le Cac 40 s’est établi en cours d’année à plus de 11 000 points, un plus haut historique. En cela on a effacé toute la crise de 2008 qui a été envenimée par la faillite de Lehman Brothers.

Quelle vision avez-vous de l’alignement des trois facteurs favorables à la progression des résultats des sociétés européennes cette année ?

L’euro devrait continuer à être fortement déprécié vis-à-vis du dollar, probablement entre 1,05 et 1,15 et stimuler ainsi l’activité des sociétés exportatrices européennes. Les taux devraient demeurer faibles. Le cours du baril de pétrole qui s’est repli de 50% en l’espace d’un an devrait se maintenir à un niveau bas et contribuer à la réduction de la facture à la fois pour les ménages et les sociétés hautement consommatrices d’énergie.

Qu’escomptez-vous sur le plan des résultats des entreprises de la zone euro en 2016 ?

Les profits des entreprises devraient s’établir en hausse d’environ 10% cette année. Ce sera la première fois depuis cinq ans que les estimations faites par les analystes en début d’année n’auront pas été nettement démenties.
Nous pourrions nous retrouver avec un ordre de grandeur de 6-7% l’année prochaine.
Cependant, bien que les facteurs favorables précédemment cités aideront à stimuler les profits de l’année prochaine, il sera nécessaire de garder à l’esprit que la croissance mondiale devrait rester modérée pour trois raisons au moins : démographique (atonie du taux de natalité qui engendre une diminution du nombre de consommateurs) ; sociologique (changement des modes de consommation, montée en puissance d’Internet, suppression des intermédiaires qui génèrent des pressions déflationnistes) ; technologique (innovations en tout genre qui permettent des gains de productivité et enclenchent des suppressions d’emplois et donc un moindre pouvoir d’achat). De ce fait, nous envisageons une hausse du chiffre d’affaires des entreprises de la zone euro relativement similaire  à celle de cette année.

Pour beaucoup, les marges des entreprises européennes étant très modérées, même une hausse limitée du chiffre d’affaires pourrait vivifier davantage les résultats des entreprises ?
Effectivement. Toutefois, dans un environnement macroéconomique plus faible avec une Chine qui tourne au ralenti, une croissance américaine de 2%, une croissance européenne de 1,5%, une franche augmentation des chiffres d’affaires s’annonce compliquée.

La performance du marché dépendra de la hausse des profits des entreprises, d’une éventuelle expansion des multiples et du rendement servi. Que pressentez-vous pour les deux derniers points ?

Le dividende versé par le marché des actions de la zone euro s’élève en moyenne à 3,5%. Nous tablons pour un maintien d’un tel niveau qui devrait encore jouer en faveur d’un ferme positionnement des investisseurs sur ces actifs risqués dans un contexte où les taux avoisinent les 0, voire pour certains sont tombés en territoire négatif.
S’agissant des multiples de valorisation, nous pourrions encore avoir une légère expansion. Les PER sont actuellement à environ 13/14 fois les bénéfices. Compte tenu de la persistance des taux bas, ils pourraient croitre à 15/16 fois les bénéfices.

Ne peut-on pas craindre une diminution du dividende moyen versé sur le marché des actions de la zone euro étant donné l’effondrement du cours des matières premières et la situation délicate des sociétés parties prenantes à ce secteur ?

Il est avéré que certaines sociétés impliquées dans la commercialisation de matières premières auront énormément de mal à ne pas réduire leur dividende. Tel est par exemple le cas d’une société comme ArcelorMittal. Cependant toutes les sociétés appartenant à ce secteur ne sont pas logées à la même enseigne. Ainsi, nous sommes d’avis que les majors pétrolières devraient pour la plupart être en mesure de tenir leur dividende.

En outre, d’autres secteurs sont pressentis pour une hausse de leur dividende dans les années à venir. Nous tablons sur le fait que 80% des entreprises composant le Cac 40 devraient prendre la décision d’accroitre leur dividende en 2016. Notamment, de nombreuses banques européennes qui ont procédé à un énorme assainissement de leur bilan, devraient être en mesure de distribuer l’équivalant de 50 % de leurs résultats bénéficiaires.

Concevez vous un puissant appui du coté des opérations de fusion-acquisition ?

Absolument. Face à la difficulté d’agir sur la croissance organique, étant donné la disponibilité d’un matelas de trésorerie considérable, l’absence d’une large gamme de sources d’investissement intéressantes, la possibilité de s’endetter à des conditions très avantageuses avec des taux extrêmement faibles, les sociétés devraient continuer à être abondamment tentées de racheter des concurrents pour gagner en synergies et en économies d’échelle. L’appréciation du dollar contre l’euro devrait également inciter des entreprises américaines à mettre la main sur des entités européennes.

Quel potentiel de performance pour le marché peut-on envisager l’année prochaine ?

Il est vraisemblable que l’on revoit les points hauts touchés en avril de cette année. Très clairement la parenthèse de consolidation qui s’est récemment ouverte ne remet aucunement en cause la tendance haussière qui s’est entamée en 2012, consécutivement à la prise de parole de Mario Draghi allant dans le sens d’un soutien inébranlable de la BCE à la zone euro.

Quels principaux risques identifiez-vous sur le marché des actions de la zone euro pour l’année prochaine ?

Une rechute en récession de l’économie mondiale en raison d’un essoufflement de la croissance en Chine bien plus grave que prévu. Dans un tel cas de figure, il est certain que les banques centrales n’hésiteront pas à intervenir davantage. La BCE pourrait se montrer bien plus agressive. La Fed pourrait même faire le choix de retourner en arrière et de se lancer dans un nouveau programme de quantitative easing.
Nous ne croyons pas qu’une violente hausse des taux à la suite d’une erreur de communication d’une grande banque centrale, en premier lieu desquelles la Fed, soit une véritable menace.

Ces dernières années, 2015 compris, ont été très néfastes pour la gestion value. Si bien que le gap de performance entre la gestion value et la gestion growth a touché un niveau historique. Pensez-vous que 2016 marquera une inflexion pour la gestion value ?

C’est ce que nous espérons. Eu égard aux inquiétudes portant sur l’état de la croissance mondiale sur fond d’une vulnérabilité accrue des pays émergents, les valeurs cycliques ont été massivement désavouées. La plus grande résistance a été perçue du côté des valeurs défensives telles que les valeurs immobilière ou cosmétiques. L’écart de performance entre les valeurs dites value et les valeurs défensives a atteint un plus haut historique.
Il apparait désormais que trop de retard a été pris par les valeurs value. Une correction des excès devrait se matérialiser. Les segments d’activité qui devraient connaitre le plus significatif retournement de flux devraient être les banques, les industrielles, les sociétés automobiles, les cimentiers (comme Lafarge Holcim). Aussi même si les valeurs de ces secteurs ont pour beaucoup subi un immense déficit de popularité, nous avons fait le choix de ne pas les abandonner.

Propos recueillis par Imen Hazgui