Interview de Florent Delorme  : Analyste macro chez M&G Investments

Florent Delorme

Analyste macro chez M&G Investments

Actions de la zone euro : une performance comprise entre 10% et 15% en 2016 ne nous parait pas déraisonnable

Publié le 16 Décembre 2015

Quel bilan faites-vous de l’évolution de la macroéconomie au sein de la zone euro cette année ?
2015 a été une année de renouveau pour la zone euro. Nous avons pu observer une franche amélioration des fondamentaux économiques au sein de la région. La croissance modeste, mais réelle, a essentiellement reposé sur la consommation intérieure. En témoigne les bons chiffres sur les ventes au détail. Le moteur des exportations a également été puissant du fait de la dépréciation de l’euro. En revanche, la composante investissement a quelque peu tardé à redémarrer.

A la fin de l’année 2014, les prévisions des économistes étaient notablement plus enthousiastes pour la croissance de la zone euro. Que s’est-il passé ?

La révision à la baisse des estimations faites en fin d’année dernière s’explique principalement par l’insuffisance de l’investissement de la part des entreprises européennes. Un déficit de confiance dans l’avenir a clairement fait hésiter les dirigeants à accroitre leurs dépenses pour rénover ou étoffer leurs appareils de production.

Qu’envisagez-vous pour la conjoncture de la zone euro l’année prochaine ?

Nous sommes relativement optimistes sur le fait que la reprise devrait non seulement se maintenir, mais aussi se raffermir en 2016. Les indicateurs avancés sont bien orientés, singulièrement l’indice composite PMI réalisé par le cabinet Markit. A fin novembre, cet indice s’établissait à 54,2, soit un niveau qui s’inscrit clairement dans la zone d’expansion et qui se trouve être plus élevé qu’en septembre (53,6) et octobre (53,9). Nous escomptons une hausse du PIB pour la zone euro autour de 1,5%.

Vous êtes d’avis que la donne sur l’investissement devrait changer l’année prochaine ?

Nous tablons effectivement sur un redémarrage plus net de l’investissement en 2016. La visibilité sur le redressement de la conjoncture au sein de la zone euro devrait être meilleure. De plus, la BCE s’est efforcée d’agir afin de conserver des conditions de financement favorables pour les entreprises qui ont une certaine velléité à investir. Par ailleurs, une grande partie de l’appareil productif a gagné en obsolescence.

Que voyez-vous du coté des profits des sociétés de la zone euro l’année prochaine ?

La dynamique économique bien enclenchée devrait permettre un prolongement de la progression des profits des sociétés de la zone euro l’année prochaine. Il y a encore beaucoup de chemin à rattraper. Le niveau des profits au sein de la zone euro est encore fortement inférieur à celui qui prévalait en 2007 contrairement à ce que l’on peut relever aux Etats-Unis.

Que pressentez-vous à propos des principaux facteurs soutenant cette perspective bénéficiaire : dépréciation de l’euro, repli du cours du pétrole et faiblesse des taux de refinancement ?

Nous ne pensons pas que le cours du baril de pétrole descendra bien plus bas que le niveau actuel contrairement à ce que prédisent certains observateurs. D’aucuns évoquent un cours de 20 dollars l’année prochaine.
La stratégie de l’Arabie Saoudite consistant à laisser filer le prix de la matière première devrait assez rapidement trouver ses limites. Le déficit budgétaire du royaume avoisine dorénavant les 20%.
Nous admettons qu’une grande partie de la baisse de la valeur de l’euro et des taux de refinancement des entreprises est derrière nous. Cependant nous anticipons le fait que les niveaux désormais atteints devraient se stabiliser. Autrement dit nous ne tablons pas sur une remontée violente ni de l’euro, ni des taux, ni même du prix du pétrole.

Vous espérez un impact plus positif de l’effondrement du pétrole en 2016 qu’en 2015 ?

Des études approfondies montrent qu’il doit s’écouler environ 12 à 18 mois avant de voir un impact réellement positif déduit de l’amoindrissement du cout de l’énergie. Ce n’est que lorsque les acteurs économiques prennent conscience que le niveau bas des prix a vocation à s’inscrire dans la durée qu’ils commencent à réallouer une partie de l’épargne (pour les ménages) ou de la trésorerie (pour les entreprises) mise de coté pour consommer ou investir.
Est-ce à dire que l’alignement des trois facteurs favorables aux résultats des entreprises de la zone euro devrait ainsi se voir plus nettement l’année prochaine ?

C’est ce que nous prévoyons.

Avez-vous une estimation chiffrée au sujet de la hausse de ces bénéfices ?

Nous n’avons pas de chiffre précis. Cependant l’analyse bottom up nous laisse penser qu’une variation positive d’une dizaine de pourcents est tout à fait plausible.

Ce faisant, vous considérez que les actions de la zone euro sont encore à préférer dans une allocation d’actifs l’année prochaine ?

La tendance haussière des bénéfices, associée au rendement procuré comparativement aux taux en vigueur dans la région militent pour continuer à mettre l’accent sur les actions de la zone euro dans les allocations d’actifs en 2016. Pour notre part, la classe d’actifs constitue présentement la moitié de l’exposition en actions de nos fonds diversifiés.

Peut-on s’attendre à une expansion des multiples ?

La persistance du rallye du marché reposera avant toute chose sur la génération d’un surplus substantiel de profits. C’est là un pré requis. Il n’est pas exclu que la politique monétaire déployée par la BCE entraine un fléchissement supplémentaire des taux d’intérêt qui alimente par effet de ricochet une expansion additionnelle des multiples.

Si l’on combine hausse des profits, expansion des multiples et dividende, quelle performance du marché des actions de la zone euro peut-on augurer en 2016 ?

Il est difficile de répondre précisément à cette question. Une performance comprise entre 10% et 15% ne nous parait pas déraisonnable.

Quels sont à votre sens les principaux risques à surveiller sur le marché des actions de la zone euro l’année prochaine ?

Le risque de liquidité sur le marché du crédit. C’est un élément que nous surveillons tout particulièrement. Nous ne sommes pas à l’abri d’une grande nervosité des investisseurs dans ce compartiment. De là pourrait découler des tensions et un sursaut de volatilité sur le marché des actions de la zone euro.

Avez-vous des biais de style dans votre allocation d’actifs sur le marché des actions de la zone euro ?

Notre allocation repose avant tout sur la sélectivité. Nous nous efforçons de nous positionner sur les entreprises qui offrent le potentiel de valeur ajoutée le plus élevé. Notre exposition se veut flexible. Nous n’hésitons pas à alléger et à renforcer nos positions dès que cela nous semble opportun de le faire.

Ces dernières années, 2015 compris, ont été singulièrement néfastes pour la gestion value. Si bien que le gap de performance entre la gestion value et la gestion growth a touché un niveau historique. Pensez-vous que 2016 marquera une inflexion pour la gestion value ?

Un retour en force de la gestion value en 2016 est, selon nous, concevable. La gestion value a été très pénalisée par la recherche par les investisseurs de titres de qualité. L’écart de performance avec les valeurs de croissance a atteint un tel niveau, qu’il nous parait compliqué à admettre que cet écart se creuse sensiblement l’année prochaine. Le prolongement de la reprise de la zone euro devrait pousser les investisseurs à se rabattre davantage sur les valeurs cycliques, qui sont aujourd’hui les plus décotées.

Propos recueillis par Imen Hazgui