Interview de Marie-Anne Allier  : Responsable de la gestion taux aggregate chez Amundi

Marie-Anne Allier

Responsable de la gestion taux aggregate chez Amundi

Quelles retombées pourrait avoir la politique monétaire de la Fed en 2016 ?

Publié le 18 Décembre 2015

Quels principaux enseignements tirez-vous du dernier communiqué de la Fed publié mercredi soir et des propos tenus par la présidente de la Banque centrale américaine Janet Yellen en appui à ce communiqué ?
A l’instar de ce qui était très largement attendu par le marché, la Fed a annoncé sa décision de procéder pour la première fois depuis neuf ans à une remontée de ses taux directeurs de 0,25 points de base. La Banque centrale a fait savoir, par ailleurs, que la suite de son processus de hausse de taux sera étroitement conditionnée par les données économiques qui seront à sa disposition.

D’aucuns ont interprété les termes « gradual pace of hike » contenus dans le communiqué comme la signification que la Fed s’attachera à déployer un processus de hausse de taux très lent et très graduel ?

Il apparait avéré qu’étant donné la configuration actuelle de la macroéconomie américaine, la Fed n’a pas de raison de remonter rapidement ses taux. En ce sens, « gradual pace » est probablement plus important que « hike » dans les termes employés. Pour autant, cette configuration peut très bien évoluer et la Fed aura à cœur d’ajuster son comportement en fonction de cette évolution.

Peut-on craindre selon vous une forte augmentation du cours du baril qui pousserait la Fed à accélérer son rythme d’augmentation de ses taux directeurs ?

Il est difficile de répondre avec fermeté à cette question. Le cours du baril de pétrole dépend de très nombreux facteurs qui ne sont pas maitrisables. Ceci étant, si l’on se fie uniquement aux considérations fondamentales, il ne faudrait pas s’attendre à une vive appréciation du cours du baril. Tout d’abord, parce que l’affaiblissement du prix du pétrole est avant tout dû à un problème d’excès d’offre par rapport à la demande. Ensuite, parce que l’Arabie Saoudite, leader incontesté dans la production de la matière première a sans ambigüité affiché son intention de ne pas intervenir pour soutenir le prix du baril dans une optique d’évincement de la concurrence et de récupération de parts de marché.
Ceci étant, le cours du baril étant amené à se stabiliser, nous ne prévoyons pas dans notre scénario central des pressions à la hausse sur l’inflation qui pousserait la Fed à se montrer plus agressive dans la normalisation de sa politique monétaire.
A cela s’ajoute le fait que nous sommes d’avis que la croissance américaine, qui se situe en haut de cycle, devrait s’établir l’année prochaine autour de son potentiel, vers les 2%, guère plus, ce qui est relativement faible et ce qui devrait également contribuer à l’absence de tensions inflationnistes dans le pays.

Comment expliquez-vous que la Fed ait fait le choix de remonter ses taux directeurs en dépit de l’absence de pressions inflationnistes et considérant que la croissance est susceptible de perdre de l’élan dans les trimestres à venir ?

C’est justement l’éventualité d’une perte de vitesse de la croissance qui a incité la Fed a vouloir entamer une normalisation de sa politique monétaire dès à présent afin de se doter d’une autre cartouche que celle du quantitative pour soutenir la croissance et l’inflation.
A présent, il y a lieu de relativiser le geste de la Fed. Les taux directeurs n’ont été rehaussés que de 25 points de base, ce qui est relativement insignifiant et surtout très insuffisant pour menacer l’économie américaine d’une rechute en récession.

Quels commentaires vous inspire l’abaissement de la trajectoire de remontée des Fed funds à moyen terme. Le Fed Funds moyen attendu à fin 2016 est passé de 1.50% à 1.30%, et à fin 2017, de 2.65% à 2.40% ?

La dispersion de points de vue entre les différents membres du comité de pilotage de la politique monétaire (FOMC) de la Fed s’est réduite. Les modifications apportées aux prévisions à moyen terme ne sont que marginales. L’histoire nous montre que la réalité ne s’est quasiment jamais calée à ces prévisions.

Quelle suite des évènements attendez-vous désormais sur le plan de la politique monétaire américaine ?

Nous sommes d’avis, à l’instar de ce que pense le marché, que la Fed fera une pause avant de relever à nouveau ses taux directeurs. Nous ne voyons rien se passer avant avril/ mai. Sur l’ensemble de l’année 2016, nous tablons sur deux hausses de 25 points de base.

Deux risques sont souvent avancés en rapport avec la conduite de la politique monétaire américaine. Le premier a trait à l’encouragement de la formation de bulles sur certains segments d’actifs, notamment le marché des obligations d’entreprises à haut rendement. Qu’en pensez-vous ?

Il est assez étrange d’évoquer une menace de bulle sur ce segment spécifique. Alors que la politique monétaire de la Fed a demeuré très accommodante tout au long de l’année 2015, les spreads sur le marché du high yield américain se sont plutôt élargis en raison de la répercussion négative du fort repli du cours du pétrole sur les producteurs de pétrole de schiste américains.
Par ailleurs, le durcissement de la réglementation qui s’impose aux banques, notamment sur les fonds propres laisse penser que nous ne sommes pas prêts de retrouver un niveau moyen de levier excessivement élevé.
Aussi même s’il est question de la génération d’excès dans certains compartiments de marché, il n’y a pas de risque systémique qui y est associé, et donc pas de motivation pour les banques centrales de s’en préoccuper.

Un deuxième risque a trait aux conséquences fâcheuses que peut avoir le resserrement de la politique monétaire de la Fed sur les pays émergents ?

Une large partie de la sphère émergente dont le Brésil, la Russie, l’Afrique du sud, le Venezuela, souffre actuellement en raison de l’effondrement des prix des matières premières. Dernièrement l’Argentine a levé son contrôle de change qui a provoqué une lourde dépréciation de sa devise domestique, de plus de 30%, affectant au passage les entreprises argentines abondamment endettées en dollar.
Il est très clair que la Fed a à l’esprit de veiller à ne pas dégrader exagérément la situation économique et financière des pays émergents déjà très fragilisés. Celle-ci avait expressément évoqué cette préoccupation au mois de septembre. Même s’il n’en a pas été fait mention cette fois ci, cela ne signifie pas que cette problématique est occultée. Pour l’heure la remontée des taux directeurs de 25 points de base a été positivement saluée dans les pays émergents car correspondait à la levée d’une incertitude notable.

Quelles ont été les premiers retentissements sur le marché de l’annonce de la hausse des taux directeurs mercredi soir ?

Des effets se sont surtout fait ressentir sur les obligations d’entreprises. Nous avons vu un rétrécissement des spreads.

Quelles retombées pourraient avoir à l’avenir la politique monétaire américaine sur les actifs de la sphère obligataire ?

Nous ne voyons pas une hausse significative des taux longs ni européens ni américains. Le quantitative easing de la BCE devrait maintenir les taux longs européens, y compris allemands, à un niveau extrêmement bas. L’émission de dette nette en agrégat devrait être en 2016 moindre que les achats de la BCE. Nous pouvons imaginer qu’il y aura des vendeurs de titres souverains émanant des pays émergents mais cela ne sera pas suffisant pour rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande. Ainsi, nous tablons sur un taux à dix ans allemand qui oscille entre 0,40% et 0,80% l’année prochaine.

Pour ce qui est des taux longs américains, celles-ci devraient avoir l’engouement des investisseurs eu égard au rendement qu’elles procureront comparativement aux taux européens et aux taux japonais. Les positions acheteuses devraient permettre de contenir la hausse des taux.

Qu’en sera-t-il des obligations d’entreprises ?

La variation des prix des obligations d’entreprises sera davantage fonction du niveau de volatilité et du risque de liquidité que de l’évolution de la politique monétaire de la Fed.
Il est très probable que le risque de liquidité revienne sur le devant de la scène l’année prochaine. De nombreux fonds high yield américains ont été mis sous pression et ont du fermer la semaine dernière. Un manque de visibilité manifeste existe autour du cheminement du cours du pétrole. Ce facteur d’incertitude sera source d’une persistance de volatilité exacerbée sur le marché, qui sera peu favorable à l’appétit pour les actifs risqués.
A priori, les secousses devraient être plus palpables sur obligations investment grade que sur les obligations high yield, car les spreads sont moins élevés sur la première classe d’actifs que sur la seconde. Le matelas d’amortissement est donc plus mince dans les obligations les mieux notées.



Propos recueillis par Imen Hazgui