Interview de Frédéric  Rollin : Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet Asset Management

Frédéric Rollin

Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet Asset Management

Fortes perturbations en Chine : que peut-on attendre pour la suite des évènements ?

Publié le 07 Janvier 2016

Quel regard portez-vous sur les perturbations apparues sur les marchés financiers de ce début d’année ?
Il était largement attendu que 2016 serait une année très volatile sur les marchés financiers. Les récents événements semblent donner raison à cette hypothèse. Nous avions nous même identifié trois grands risques susceptible d’alimenter de brusques variations. Deux d’entre eux semblent s’être matérialisés.

Quels sont ces risques ?

Le premier risque est lié au resserrement de la politique monétaire par la Réserve fédérale américaine. Celle-ci a entamé sa hausse de taux au mois de décembre, de 25bp. Une divergence d’opinion est observée entre les anticipations du marché et la vision des membres du comité de pilotage (FOMC) de la Fed au sujet du rythme de remontée des taux. Alors que le marché table sur deux à trois hausses additionnelles, le FOMC entrevoit quatre hausses. Le risque serait alors que la croissance accélère et que les hausses de salaire s'emballent, qui donneraient raison à la banque centrale ou même la presseraient d'agir encore plus vite qu'elle ne le prévoit. Les marchés réagiraient alors négativement.
De l'autre côté du spectre, nous ne sommes pas à l’abri d’un ralentissement plus prononcé que prévu de l’activité économique américaine. Les derniers indices PMI/ISM du secteur manufacturier ont été décevants. Une atonie de la croissance bénéficiaire des entreprises américaines s'est déjà manifestée. Notre scénario central mise sur le fait que la tendance négative relevée est temporaire et qu’une meilleure dynamique devrait prendre le relai avec l’appui d’une robuste consommation intérieure, mais le risque d'une récession aux Etats-Unis est souvent évoqué.
En somme, lors d'un resserrement monétaire, le marché est inquiet de perdre le support de la banque centrale et devient très exigeant en ce qui concerne les fondamentaux : de la croissance, mais pas trop.

En quoi consiste le deuxième risque ?
Il a trait à l’essoufflement de la croissance qui est palpable en Chine. La deuxième puissance économique mondiale cherche à résoudre son problème de crédit: ces dernières années se sont caractérisées par une vive expansion de la distribution des prêts, au point que la dette privée représente désormais près de 200% du PIB. Les autorités ont décidé de dégonfler cette bulle dès 2014, par la restriction de l’octroi du crédit aux ménages et aux entreprises. Il s’en est suivi une décélération notable de la croissance de l’activité dans le pays.
De plus, dès 2014, les autorités ont souhaité rendre variable le niveau du yuan, afin de préparer son internationalisation. Cette décision a déclenché des ventes de yuan : les nombreux investisseurs qui avaient acheté la devise chinoise pour son appréciation régulière n'avaient plus de raison de le garder. Presque deux ans après, les ventes de yuan restent massives. La PBOC s’efforce de juguler le fort mouvement baissier de la devise par des achats abondants de yuans contre les devises internationales qu'elle possède. Les réserves de change ont ainsi diminué de 4000 milliards de dollars courant 2015 à moins de 3400 milliards de dollars.

L'importance de ces sommes impressionne, et les marchés mettent en doute la capacité de la banque centrale à stabiliser sa monnaie. Une baisse drastique du yuan aurait deux conséquences négatives : certaines entreprises chinoises ayant emprunté en dollars US pourraient avoir du mal à rembourser leurs dettes et la faiblesse de la croissance chinoise serait exportée vers les pays développés par le biais du commerce extérieur.

De quelle manière expliquez-vous la nervosité des marchés survenue spécifiquement ce début de semaine ?

Par la publication de l’indice PMI par Markit, plus négatif que prévu. Le deuxième semestre 2015 avait laissé place à une relative amélioration de la toile de fond macroéconomique en Chine. De nombreux investisseurs pressentaient un prolongement de cet éclaircissement. Or, tel ne fut pas le cas.

D’aucuns objectent le fait que l’écart entre le consensus et la statistique avancée n’a été que de 0,2 point ?

Certes l’écart est très faible. Cependant, le poids de cette statistique a été exagéré pour trois raisons. Le dégonflement de bulle de crédit est un exercice difficile, et une décélération de la croissance peut avoir des effets d'entrainement dommageable. Les esprits sont encore très impactés par les incidences apparues sur le marché du crédit américain en 2007-2008 qui ont fini par affecter des entreprises saines et plongé les grandes institutions financières américaines dans le désarroi. Toute statistique négative en Chine a donc un fort écho. De plus, cette statistique est produite par un cabinet privé indépendant de l’Etat chinois et est en conséquence considérée comme plus crédible. Enfin, certains analystes spéculent sur le fait que la baisse de la monnaie équivaut à une réaction panique du gouvernement : ce dernier anticiperait ou constaterait une baisse brutale de l'économie notamment liée à une perte de compétitivité du pays et entrerait dans une guerre des changes. Ceci ne nous semble pas cohérent, ni avec les données économiques, ni avec notre analyse des entreprises, ni avec l'amélioration constatée du commerce extérieur chinois.

Autre problème, les actions chinoises locales ont brutalement corrigé. Il s'agit là d'un signe de la faible maturité du marché chinois: peu de liquidité, investisseurs privés peu avertis. L'effet sur la consommation devrait être minimal car ces actions représentent une très faible part de la richesse des ménages. Toutefois, cela réduit le sentiment de confiance dans l’aptitude des autorités chinoises à agir un moment où l'on compte sur elles pour effectuer une tâche délicate.
En somme, peu de changement dans les fondamentaux mais beaucoup de spéculation.

Il a été avancé que la perspective de la levée d’une interdiction de vente d’actifs par des investisseurs institutionnels importants le 8 janvier aurait contribué également à accélérer les opérations vendeuses sur le marché des actions locales ?
Il a effectivement été fait mention de cette levée d’interdiction et cela a effectivement pu jouer. Il ne serait néanmoins pas insensé que celle-ci soit prorogée compte tenu des récents évènements.
Quelle analyse faite-vous de l’attitude de la PBOC pour tenter de calmer le jeu ?
La PBOC se trouve dans une situation inconfortable. Devant la baisse de ses marchés actions et le ralentissement économique, elle peut à l'instar des autres banques centrales montrer des signes d'assouplissement monétaire et atténuer ainsi la volatilité. Mais elle risque alors d'aggraver deux phénomènes nuisibles. En premier lieu, celui des sorties de flux de la devise: une diminution supplémentaire des taux directeurs aurait pour répercussion de réduire l'attractivité du yuan et de précipiter ainsi de nouvelles ventes. En second lieu, la PBOC doit s’efforcer de ne pas provoquer une relance intempestive du crédit qu'elle cherchait à l'origine à contrôler. Le chemin est étroit.

Que pressentez-vous pour la suite des évènements ?

Les mesures significatives adoptées par les autorités budgétaires et monétaires devraient finir par permettre un redressement de la conjoncture dans le pays. Des statistiques plus rassurantes sur l’état des fondamentaux économiques de la Chine auront vraisemblablement pour conséquence d’amoindrir la volatilité. Les actions locales pourraient continuer de baisser mais ce mouvement est sain : la bulle qu'elles ont connue précédemment a été de grande ampleur et malgré les baisses récentes elles sont encore surévaluées par rapport aux actions chinoises cotées à l’international.
La confirmation d’un processus de remontée des taux lent et graduel par la Fed sera également de nature à tranquilliser davantage le marché. En cela les prochaines statistiques sur l’emploi, et notamment le rapport mensuel à paraitre ce vendredi, seront clé dans le sentiment des investisseurs à court terme.

Quid du troisième risque identifié ?

Ce troisième risque est le plus difficile à anticiper: c’est le risque géopolitique. Il se matérialise aujourd'hui par la chute des prix du pétrole. L'aggravation des tensions entre l’Arabie Saoudite et l’Iran rend plus improbable une entente entre membres de l’OPEP sur une réduction de la production et fait ainsi baisser les prix de l'or noir. Or si l’affaiblissement progressif du prix du pétrole est une bonne chose pour le pouvoir d’achat d’une large proportion des ménages et pour le cout de production de multiples sociétés, une baisse trop rapide et trop forte du prix entraine à court terme des baisses violentes de l'investissement et peut par ailleurs déboucher sur des faillites d’entreprises du secteur. A ce titre, des signes inquiétants ont été constatés sur le compartiment des obligations à haut rendement américain en fin d'année. La baisse des prix du pétrole a donc en premier lieu un impact négatif, mais devrait à moyen terme montrer ses bénéfices.

Propos recueillis par Imen Hazgui