Interview de David  Benamou : Associé gérant chez Axiom Alternative Investments

David Benamou

Associé gérant chez Axiom Alternative Investments

BNP, Société Générale, Intesa, Santander, BBVA, Barclays : nous sommes à un vrai moment de vérité pour le secteur bancaire européen

Publié le 05 Février 2016

Quels commentaires vous inspire l’exposition du secteur bancaire américain et européen au secteur pétrolier ?
Il y a lieu de distinguer le secteur bancaire américain et le secteur bancaire européen.
Aux Etats-Unis, le développement de l’importante industrie de pétrole de schiste permettant de produire l’équivalent de 10 millions de barils par jour et de modifier la situation de dépendance énergétique du pays avec l’extérieur a reposé sur deux sources de financement : le crédit bancaire et le compartiment des obligations high yield.

Quelle est l’importance des crédits bancaires octroyés ?

On estime l’exposition des grandes banques américaines-Bank of America Merrill Lynch, JP Morgan, Wells Fargo, Citigroup-au secteur pétrolière à 180 milliards de dollars. Les engagements pris sont relativement longs. Le risque sous jacent est essentiellement un risque crédit.

Ce risque crédit est-il significatif ?

Il est significatif car le secteur a une composante technologique très forte, notamment de fracturation pour l’extraction. Le cout de cette composante est situé entre 60 et 70 dollars le baril.

L’ampleur et la typologie des risques devraient conduire à une hausse considérable des provisions dans les bilans des banques américaines.

A-t-on une idée du montant des provisions jusqu’ici constituées ?

Pour l’instant l’idée est très imprécise. JPMorgan et Wells Fargo ont été les premières banques à communiquer sur le sujet. 830 millions de dollars ont été mis sous réserve chez Wells Fargo. JPMorgan indique pour sa part qu'un cours du Baril à 30$ la conduirait à provisionner 750 millions de dollars en 2016.
Un point important à prendre en compte réside dans le fait que les provisions sont passées à partir du moment où l’impayé va au-delà de 90 jours. Aussi, nous pouvons penser que l’essentiel des provisions sera davantage acté au cours du troisième et quatrième trimestre 2016.

Pourquoi ?

Les entreprises ont été confrontées pendant l’année 2015 à un prix du baril en moyenne au dessus de 50 dollars. Beaucoup ont pu résister face au choc en dépit de pertes d’argent conséquentes.
Avec un cours du baril de 30 dollars, ces mêmes entreprises jusqu’ici résilientes doivent accuser un prix davantage inférieur à leur seuil de leur rentabilité. Il y a fort à croire que nombreuses vont être amenées à jeter l’éponge et à faire défaut.

On ne cesse de marteler que les entreprises du secteur n’ont cessé de faire des efforts en termes d’économie de cout, d’innovation… pour abaisser encore plus leur cout de revient…

Ce coût de revient à déjà énormément diminué puisqu’il était autour de 80 dollars. Pour la majorité des analystes, ce coût demeure pour les entreprises qui doivent faire appelle à la technique de la fracturation autour de 60 dollars.

Quelle est la taille du financement sous forme de dette du secteur et quelle proportion pourrait évoluer vers du crédit non performant ?

La dette actuelle du secteur Oil&Gaz est actuellement de 3100 miliards de dollars, dont 1500 milliards pour l'Amérique du nord, 800 milliards pour les émergents et 700 milliards en Europe. La part portée par les banques n'est que de 520 milliards. C'est donc principalement les autres acteurs (investisseurs finaux, Asset managers,...) qui seront touchés par les difficultés des entreprises du secteur.
Il est difficile à ce stade d'estimer la part de crédit qui deviendra non performant car les types d'expositions et de risques sont très différents selon le type de préteur (banque ou marche) et selon la géographie. Cela nécessite d’analyser et de regrouper celles-ci en types de risque et de faire des hypothèses sur les pertes éventuelles qui peuvent en découler.

Y a-t-il des études qui ont tenté de se pencher sur ce point ?

Les études récentes publiées par les courtiers estiment les pertes moyennes à 10% des expositions. Ces estimations doivent être considérées avec beaucoup de précaution car le risque de perte peut varier selon le type de financement.

Sait-on quelle est la banque la plus impactée par les quatre banques précitées ?

D’après ces études, les deux banques américaines les plus impactées seraient Citi et Bank of America.

Que représente au juste le segment des obligations HY lié au secteur ?

Sur les 3100 milliards de dollars de dette totale, environ 2300 milliards de dollars serait de la dette de marché.

Quid de la sensibilité des banques européennes par rapport à la baisse du cout du pétrole ?

L’exposition des banques européennes au secteur pétrolier concerne surtout des producteurs de pétrole qui ont des coûts d’extraction relativement faibles. Le type de financement est principalement de « l’asset based lending ». Dit autrement, le financement est appuyé sur des stocks de pétrole qui sont couverts. Ce sont des financements de court terme, allant de 18 à 24 mois en moyenne.
Le risque est alors relativement faible.

Connaît-on la mesure de l’exposition du secteur bancaire européen au secteur bancaire pétrolier ?
Les 10 grandes banques européennes ont environ 175 milliards de dollars d'exposition. Nous n’avons pas de chiffre agrégé pour l’ensemble du secteur européen.

Est-ce que les banques françaises sont les plus exposées que leurs homologues européennes ?

Les expositions des banques françaises sont en ligne avec celles des grandes banques européennes.

De quelle manière appréhendez-vous l’accélération de la baisse du cours du pétrole ? Cela vous met-il en alerte sur votre positionnement sur le secteur bancaire, à la fois dans le segment des actions et des obligations ? Peut-on craindre un risque systémique ?

A notre sens, le secteur pétrole et gaz n’est pas du tout porteur d’un risque systémique ni pour les banques européennes ni pour les banques américaines. Même si le risque de crédit auquel sont confrontées ces dernières n’est pas négligeable, il est sans commune mesure avec le risque de crédit sous jacent aux expositions aux actifs mortgage subprimes de la crise de 2008. Nous sommes dans un rapport de gravité entre 10 et 20.

D’aucuns s’alarment de la mise à mal de certains pays émergents massivement producteurs de matières premières, et notamment de pétrole et des répercussions que celle-ci pourrait avoir sur certaines banques de dimension internationale ?

Le risque émergent est déjà matérialisé dans une multitude de bilans bancaires depuis une douzaine de mois et bien appréhendé par le marché. Santander et BBVA sont notablement identifiées comme les deux institutions les plus sujettes à ce risque. Santander, par exemple, a 25% de son PNL qui se fait au Brésil. Nous nous en sommes éloignés assez tôt dans l’anticipation d’une baisse de sa capacité à générer des profits.
Il y a lieu de préciser que ce risque émergent suppose essentiellement un risque de profitabilité. Ce sera un sujet de préoccupation pour l’actionnaire dès lors que certains groupes pourraient se retrouver contraints à couper les dividendes ou à effectuer des augmentations de capital.

De prime abord, le risque de solvabilité ne sera pas soulevé.

Vous ne redoutez donc pas un effet domino qui pourrait entrainer un dérapage au sein de certaines banques d’envergure ?

Encore une fois, la majeure partie du risque est porté par le marché obligataire.
Les banques, sous contrainte réglementaire ont généralement les expositions les moins risquées.

Comment expliquez-vous les turbulences vécues sur le segment bancaire en Bourse concomitamment à la poursuite de la chute du cours du baril ?

Les investisseurs continuent de considérer que les banques constituent un nœud de transmission économique et que le ralentissement de la conjoncture aura pour aboutissement un ébranlement du secteur bancaire davantage que les autres secteurs d’activité.
Cela est sans intégrer tout le travail d’assainissement auquel les banques se sont livrées à la suite de la crise de 2008, à l’instar de ce que nous démontre la saison des résultats qui a débuté.
La baisse des valorisations s’est faite en parallèle d’une remontée du rendement des dividendes à un niveau très élevé. Alors que les rendements se situaient à un niveau de 4% en moyenne avant l’été, ils tournent à présent autour de 5%-6%.

Quelle évolution envisagez-vous pour le secteur ?

Nous sommes, je pense, à un vrai moment de vérité pour le secteur. Une fois que l’accalmie sera au rendez vous sur le marché, il est fort probable que de nombreux investisseurs prennent conscience que le secteur n’est plus ce qu’il était grâce à la multiplication des normes réglementaires.
Il est intéressant de relever à ce sujet que la répartition des prêts douteux en dehors et à l’intérieur du secteur bancaire a énormément changé. En 2005, les prêts douteux étaient à hauteur de 67% dans le bilan du système bancaire. Cette proportion est descendue à 26%. En cela le risque a été profondément désintermédié. Cela n’est pas pricé par le marché.
Même si les banques sont également très présentes dans le secteur obligataire, l’impact négatif qui pourrait en émaner s’inscrit davantage dans une dimension de profitabilité que dans une dimension de solvabilité. Les pertes ne sont pas prises directement dans les bilans.

Iriez-vous jusqu’à dire que la volatilité exacerbée découlant de la pression mise sur le secteur bancaire et l’absence de discrimination qui s’ensuit dans le mouvement de correction du marché est source d’opportunités pour les valeurs bancaires ?

Incontestablement la correction des actions bancaires depuis le début de l’année n’est pas du tout justifiée par une détérioration de leurs fondamentaux. Acheter des banques européennes valorisées 60% de leurs fonds propres en moyenne, voire en dessous, est une aubaine. Le marché pense aujourd’hui que le secteur ne va pas gagner d’argent. Or il est profitable. Une petite illustration : Intesa qui est actuellement valorisée 0.8 ses fonds propres vient de publier ses résultats 2015. La banque termine l’année avec un produit net bancaire de 3 milliards d'euros au même niveau qu'en 2007 ! Elle augmente de 100% son dividende en 2015 pour le porter à 2,4 milliards de dollars tout en affichant un ratio de fonds propres de 13%...

Propos recueillis par Imen Hazgui