Interview de Philippe  Waechter : Responsable des études économiques de Natixis Asset Management

Philippe Waechter

Responsable des études économiques de Natixis Asset Management

Le mouvement de hausse des taux de la Fed en décembre était excessif au regard de l'état de l'économie américaine

Publié le 18 Mars 2016

Que retenez-vous des dernières annonces faites par la Fed ?
La Fed pensait, en décembre, que l’économie américaine s’était notablement redressée autorisant une sequence de remontée de ses taux d'intérêt. Tel n’est pas le cas. Par ailleurs, l’accélération de l’inflation parait une hypothèse de moins en moins plausible en raison de l’absence de pression sur l’appareil productif. Aussi la Fed en a déduit qu’il n’y avait pas d’urgence à procéder à d’autres remontées des taux directeurs. La volonté de la banque centrale semble celle d’attendre des signes d’amélioration plus tangibles, notamment du coté des hausses de salaires, pour de nouveau intervenir.

D’aucuns mettent en évidence les mentions faites par la Banque centrale sur l’affermissement du marché de l’emploi et le redressement de l’inflation pour en déduire que la position de la Fed n’est pas aussi «dovish » qu’il n’y parait…
En dépit du marché du travail qui s’affermit, la dynamique interne de l’économie américaine est faible et vulnérable en conséquence à des chocs provenant de l’extérieur. Plus spécifiquement, cela fait plusieurs mois que les Etats-Unis affichent un taux de chômage inférieur à 5% qui correspond à celui d’une situation de plein emploi. Pour autant, les pressions à la hausse sur les salaires sont quasi inexistantes. Nous sommes donc en présence d’une anomalie. Il y a effectivement de l’inflation si l’on se fie au CPI. Mais en raison du fort biais que comporte cette dernière statistique en raison du poids considérable des prix du logement-qui représentent plus de la moitié du taux de l’inflation sous jacente- la Fed s’attache davantage à la hausse des prix via les dépenses effectives des ménages. Sur ce point, les signes de hausse sont beaucoup moins nets.

Quel regard portez-vous sur la diminution de la médiane des prévisions des membres du FOMC table sur deux remontées des taux en 2016 ?

Un véritable écart s’est opéré entre les prévisions des membres du FOMC ce mois de mars et ceux du mois de décembre. Les attentes pour 2016 ont reculé pour tous les membres. Le gap entre la médiane des prévisions de ce mois ci et celle de fin 2015 est de 0,5%. Nous sommes passés de 1,375% à 0,875%. Le décalage entre l’anticipation la plus extrême de mars 2016 et de décembre 2015 est de 1%, ce qui est considérable.

La réaction du marché, traduite en particulier par un fléchissement du dollar, vous parait-elle adéquate ?

Elle est totalement cohérente. Le marché escomptait soit une hausse des taux soit un signal plus ferme sur le moment où cette remontée aurait lieu. Cela n’a pas du tout été le cas.

Pensez-vous que cet ajustement sur le change devrait se poursuivre ?
Nous ne devrions pas voir spontanément une appréciation du billet vert à l’instar de ce que l’on aurait pu imaginer si la Fed avait eu un ton plus dur sur sa politique.

Quel est votre scénario central sur la suite des évènements pour les taux directeurs de la Fed ?

Je table sur une remontée au maximum de 0,25% au second semestre de l’année. A mon sens, le mouvement de la Fed de décembre était excessif au regard de l’état de l’économie américaine. La Banque centrale a donné à un os à manger aux économistes de Wall Street.

Ce comportement moins agressif de la Fed ne met-elle pas en cause l’efficacité des dernières mesures avancées par la Banque centrale européenne ?

Les banquiers centraux sont aujourd’hui globalement dans une situation compliquée. La BCE a fait feu de tout bois pour tenter d’aider la conjoncture. Un appel explicite a été fait par le président de l’institution Mario Draghi aux gouvernements pour mettre en œuvre les politiques budgétaires et les réformes structurelles appropriées à maintes reprises mais cet appel n’a pas encore été pleinement entendu. Au-delà de la parité euro dollar, il y a lieu de regarder le taux de change effectif de l’euro. Celui-ci est en net hausse depuis plusieurs mois, malgré une forward guidance qui précise que les taux resteront pas durablement. C’est dire que la BCE n’a plus de réelle influence sur la valeur de l’euro. Cette influence est encore plus réduite par l’actuel jeu de la Fed.

Propos recueillis par Imen Hazgui