Interview de Eric  Bertrand : Directeur des gestions taux et diversifiées d'OFI Asset Management

Eric Bertrand

Directeur des gestions taux et diversifiées d'OFI Asset Management

Les dernières mesures de la BCE font peser des risques sur les marchés financiers

Publié le 24 Mars 2016

Quels commentaires vous inspirent les dernières annonces faites par la BCE et la Fed ces dernières semaines ?
A la suite des dernières annonces, les deux banques centrales semblent avoir quelque peu repris la main. Après la réunion du Conseil des gouverneurs de décembre, des inquiétudes étaient nées dans le marché sur la capacité d’action de la Banque centrale européenne. La réunion du mois de mars est venue calmer ces craintes.
La Réserve fédérale américaine a quant à elle interpellé le marché par le relèvement de ses taux directeurs en décembre en dépit d’une vive dégradation de la conjoncture internationale. Le statu quo de la semaine dernière accompagné d’une vision prudente de l’évolution de la situation à venir ont permis de rassurer momentanément sur le fait que la Fed n’avait pas pour intention de faire abstraction des risques extérieurs auxquels sont confrontés les Etats-Unis dans le processus de resserrement de sa politique monétaire.

Quel regard portez-vous sur l’élargissement du programme de la BCE aux obligations d’entreprises européenne bien notées (dites investment grade) ?

L’extension du champ d’intervention de la BCE dans le cadre de son programme de quantitative easing au segment des obligations d’entreprises bien notées est intéressante. L’inclusion de ces instruments est censée permettre à la BCE d’atteindre son objectif d’achats mensuels de 80 milliards d’euros tous les mois (+20 milliards d’euros par rapport au montant précédent).
Nous évaluons le stock d’obligations IG que l’on suppose être éligibles au programme de la BCE entre 450 et 500 milliards d’euros. La BCE pourrait acquérir autour de 5 milliards d’euros de ces titres tous les mois.

A quelle maturité et notation correspond ce stock ?

Une maturité de plus de deux ans et une notation au-delà de BBB.
Quelle interprétation faites-vous du timing de cette annonce ?
Le risque bancaire étant réapparu au sein de la zone euro, avec en toile de fond la menace d’un stress intense, la BCE a eu besoin de montrer qu’elle était bien à la manœuvre. Les anticipations d’inflation étant revenues sur des plus bas niveaux, en dessous de 1,5% pour le 5 ans dans 5 ans, et à 0,70% pour le 10 ans.

Quelle vision avez-vous de l’abaissement du taux de facilité des dépôts de 10 points de base à -0,40% ?

La baisse des taux en territoire négatif commençait à devenir contreproductif pour les banques. Pour ne pas décevoir les attentes du marché, une nouvelle baisse a été décidée de 0,10%. Cependant pour contrebalancer l’effet défavorable de cette action, a été défini le lancement de quatre opérations de refinancement à des conditions avantageuses et l’extension du programme de QE au crédit d’entreprise.

Quels risques les dernières mesures de la BCE font-elles peser sur les marchés ?

Très clairement le business model des sicav monétaires est affecté. Toutefois, les banques vont devoir refacturer peu ou prou une partie des dépôts effectués en leur sein ce qui pourrait redonner un peu d’air aux sicav monétaires qui apparaitront comme une solution alternative plus avantageuse.

Qui plus est, on distingue dans la trésorerie des entreprises, la trésorerie d’attente et la trésorerie de fonctionnement. Force est de penser que les entreprises chercheront à optimiser l’utilisation de cette dernière catégorie de trésorerie pour éviter qu’elle ne leur coute.

Les taux très bas voire négatifs associée à la réglementation prudentielle endurcie sur les fonds propres et sur l’effet de levier frappent de plein fouet la rentabilité des banques.
L’activité de market making et de gestion du marché secondaire s’en trouvent impactés, ce qui pose une problématique de liquidité de plus en plus importante.

De nombreux business modèles d’épargne- de fonds de pension, de compagnies d’assurance, de caisses de retraite- sont également en souffrance en raison des taux de rendement bas. Cela peut être une source de danger potentiel à moyen terme.

Avec la BCE sur le segment des obligations IG qui a les poches profondes, il sera encore moins facile de trouver du papier. Cela va pousser tout le monde à prendre un peu plus de risque. Cela peut s’avérer hasardeux à terme. La réglementation Solvabilité II fait que le positionnement sur ces actifs risqués coute cher en fonds propres.

A quels ajustements dans votre allocation d’actifs les nouvelles mesures de la BCE vous ont-elles conduit ?

Eu égard aux niveaux de spread, nous étions déjà long sur les taux en zone euro. Nous pensons qu’il y a encore un peu de potentiel de resserrement en anticipation de tout ce qui va être fait par la BCE. Mais l’idée est plutôt de procéder à des prises de profits dans ce resserrement.

Escomptez-vous d’autres annonces phares de la part de la BCE d’ici la fin de cette année ?

La BCE ne devrait plus toucher aux taux courts cette année pour éviter de fragiliser plus les banques et de risquer de casser la distribution de crédit et de dégrader l’économie. Au cours des six prochains mois elle devrait plutôt s’efforcer à dérouler ce qu’elle a annoncé sur le programme et les TLTRO.

Enfin, estimez vous, à ce stade que les nouvelles mesures suffiront à résoudre les deux problèmes phares auxquels étaient confrontés la BCE en ce début d’année : une distribution de crédits atone en particulier dans les pays périphériques et un recul des anticipations d’inflation ?
Ca n’est pas certain.
Ce qui est avéré c’est que les mesures ont eu le mérite de raviver l’appétit des investisseurs pour les obligations d’entreprises, de déclencher un nouveau resserrement des spreads, et de rouvrir le marché primaire qui était un peu gelé depuis deux mois.
Les spreads de crédit avaient jusqu’il y a peu fait l’objet d’un écartement quasi ininterrompu depuis mars 2015. Son action est donc positive sur ce point.
Cependant, accroitre la capacité des banques à octroyer du crédit est une chose, faire en sorte que cette capacité rencontre un réel besoin en est une autre. Pour ce faire, il est nécessaire de voir une hausse des projets d’investissement et des dépenses de capex. Or ces derniers dépendent étroitement de l’état de la croissance mondiale qui tutoie les 3%, une frontière délicate.

Que retenez-vous du dernier communiqué de la Fed et du discours de sa présidente Janet Yellen mercredi 16 mars ?

Le fait que la Fed mène sa politique à la lumière de l’éventuelle répercussion du contexte international sur la vigueur du redémarrage de la croissance américaine n’est pas une surprise. Cela avait notamment justifié la non intervention de la banque centrale en septembre 2015, à la suite des perturbations vécues sur les marchés pendant l’été consécutivement à la décision de la Chine de changer les modalités de fixation de son taux de change.
Ce qui est intéressant à relever c’est que l’appréciation du dollar a influencé la position de la Fed.

On a d’ailleurs vu à la suite de l’intervention de Madame Yellen, une baisse du cours du dollar. Qu’en pensez-vous ?

Une relative baisse du dollar est un bon signal pour le marché en ce qu’il redonne de l’oxygène à la Chine et au reste des pays émergents, et incite les prix des matières premières à persister sur le chemin de la hausse.

Les membres du FOMC tablent désormais sur deux hausses des taux cette année, contre une hausse pour le marché et deux pour les économistes. Quel est votre scénario central à ce sujet ?
Nous voyons une hausse des taux quasi certaine en fin d’année et peut-être une autre hausse en milieu d’année si la reprise économique américaine reste ferme et que la croissance mondiale se maintient.

Selon vous, un risque concerne le décalage entre les prévisions des membres du FOMC et celle du marché pour 2017 ?

D’un coté, la Fed prévoit 4 hausses, de l’autre coté le marché price une hausse et demi. Si tout n’est pas rose sur le front macroéconomique américain, nous avons de véritables moteurs en puissance comme le marché de l’emploi. Les salaires sont en augmentation d’environ 2,5%. Si cette tendance se poursuit, et que l’on voit par ailleurs un rebond modéré du baril de pétrole qui pousse davantage à la hausse l’inflation, le marché pourrait se réajuster avec les anticipations de la Fed d'ici à l’année prochaine.

Les nouveaux éléments divulgué par la Fed vous-ont elle poussé à faire des ajustements dans votre allocation ?

Ayant prévu ce que la Fed allait faire, nous n’avons pas été amenés à faire des ajustements à la suite de ses annonces.

Un dernier mot sur les principaux risques qu’il vous parait essentiel à surveiller aujourd’hui pour les marchés financiers au cours des prochains mois ?

Les risques sont multiples. J’en mentionnerai deux en particulier : le Brexit et une appréciation trop vive dollar ainsi que tout ce qui tourne autour : la croissance de la Chine et des émergents, le prix du baril, les défauts dans le secteur du pétrole de schiste. Ce dernier risque me parait à ce stade relativement limité, si l’on se fie au discours de la Fed.

Propos recueillis par Imen Hazgui