Interview de Myriam Durand  : Directrice générale de Moody's France et responsable du groupe Corporate Finance (CFG) pour la zone Europe/Moyen-Orient/Afrique

Myriam Durand

Directrice générale de Moody's France et responsable du groupe Corporate Finance (CFG) pour la zone Europe/Moyen-Orient/Afrique

Que retenir de la dernière conférence de Moody's sur les principales tendances qui affecteront le crédit au cours des prochains mois ?

Publié le 24 Mars 2016

Vous avez organisé la semaine dernière la conférence annuelle de Moody’s en France en vue de rendre compte des principales tendances qui affecteront le crédit au cours des prochains mois. Qu’est ce qui a dicté le programme de votre conférence de cette année ? On a pu notamment relever toute une partie de la matinée réservée aux critères ESG. Comment justifiez-vous ce choix ?
Nous nous sommes efforcés de passer en revue les thèmes sur lesquels nous avions eu le plus de questions de la part des investisseurs.
Le sujet ESG n’est pas du tout nouveau chez Moody’s. Notre agence a été particulièrement active sur la question l’année dernière, pour faire écho à l’organisation de la Cop 21, avec notamment l’élaboration d’une cartographie des risques environnementaux dans 86 secteurs représentant 68 000 milliards de dollars de dette.
Nous sommes d’avis que la prise en compte de ces critères dans la capacité d’un emprunteur à rembourser est une tendance extrêmement structurelle qui a non seulement vocation à perdurer mais aussi à s’amplifier. Dit autrement, entre les risques financier, opérationnel, politique et environnemental, nous nous attendons à ce que ce dernier risque soit de plus en plus apprécié par les divers acteurs des marchés de capitaux.

Quels enseignements phares doit on retenir de ce rendez-vous ? Quelles seront les grandes tendances sur le marché du crédit qui devront être étroitement surveillées par les investisseurs ?

Nous sommes face aujourd’hui à de nombreux facteurs d’incertitude : la quantitative easing de la BCE et son corollaire le niveau très bas des taux d’intérêt, le prix du baril, le taux de change, le ralentissement de l’économie globale et dans les pays émergents, Chine en tête, les tensions géopolitiques, le retard des réformes structurelles, le Brexit, la déflation… Chacun de ces facteurs est susceptible d’avoir des impacts variés sur les rendements des actifs ou sur la capacité d’investissement des émetteurs.

Ainsi la matérialisation du Brexit pourrait s’avérer très négative pour des acteurs du secteur de la finance, et neutre voire positive pour des acteurs du secteur du tabac ou du gaming. De la même manière le quantitative easing de la BCE a des effets vertueux sur les covered bonds et les obligations high yield mais des effets défavorables sur les fonds monétaires. La même illustration peut être faite avec le repli du cours du baril qui a des retombées négatives pour le secteur du pétrole et du gaz mais une incidence positive pour les secteurs qui utilisent le pétrole comme matière première dans la fabrication de produits.

Toujours est-il que le contrecoup de ces différents facteurs d’incertitude est considérable pour la dynamique économique. Sans l’effet favorable de ces facteurs, la croissance dans la zone euro aurait seulement été de 0,8% en 2015.

Vous avez décidé de changer quelque peu le format de votre conférence cette année en posant un certain nombre de questions à choix multiples. Paris s’est notablement distingué dans les réponses apportées par rapport aux onze autres grandes villes que vous avez visitez… Pourriez-vous nous donner des exemples ?

Effectivement. A la question de savoir quel était le plus important risque macro perçu pour le marché du crédit en Europe, alors que la plupart des autres villes européennes ont répondu avec une grande majorité le ralentissement de la dynamique économique chinoise, à Paris a été également mentionnée la déflation au sein de la zone euro. Parallèlement, le Brexit a été considéré comme étant un risque palpable à Paris autant qu’ailleurs en Europe (24% contre 22% en moyenne), hormis Dublin et Londres qui lui confère davantage de poids (respectivement 41% et 34%).

En ce qui concerne le sujet ESG, à la question de savoir quel était le plus grand risque environnemental pour les portefeuilles obligataires, Paris a fait état de la réglementation sur le carbone (37%) alors qu’ailleurs en Europe on a indiqué les catastrophes naturelles (34% en moyenne). De même à la question de savoir quelle est la probabilité que l’UE réduise ses émissions de carbone, Paris est apparu quelque peu plus pessimiste que ses voisines européennes.

Comment expliquez-vous ces décalages ?

J’ai le sentiment que les investisseurs français sont à la pointe des débats autour du sujet ESG.

Vous avez depuis peu été nommée à la direction générale de Moody’s France. A cette occasion vous maintenez un dialogue régulier avec les émetteurs, investisseurs et intermédiaires sur les marchés de crédit internationaux ? Quelles sont actuellement les principales préoccupations de ces derniers ? De quelle manière vous efforcez vous d’y répondre ?

Nous n’avons pas affaires à une population homogène. Tous les investisseurs ne sont pas positionnés sur la même classe d’actifs. Les investisseurs spécialisés sur les obligations à haut rendement attachent beaucoup d’importance aux taux de défaut. Ces derniers sont pour l’instant assez faibles mais ont vocation à remonter dans les douze mois à venir.
Les émetteurs font davantage attention au prix du pétrole et aux pôles de croissance qu’ils souhaitent viser à travers des opérations de fusion-acquisition, ou une extension organique. Je ne sens pas encore d’inquiétude liée à la liquidité dans la mesure où il y a eu ces dernières années une grande capacité de refinancement à des conditions très avantageuses.
Investisseurs comme émetteurs regardent également de près l’aptitude des pays à effectuer les réformes nécessaires.

Propos recueillis par Imen Hazgui