David Ganozzi
Gérant Allocation d'actifs chez Fidelity International
Les banques centrales ne devraient pas avoir un effet majeur positif ou négatif sur les marchés financiers la fin de l'année
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Publié le 31 Mars 2016
Quels commentaires vous inspirent les dernières annonces de la Réserve fédérale américaine ?
Nous avons été quelque peu surpris par le ton particulièrement accommodant de la Fed et de sa présidente Janet Yellen. L’économie américaine continue à afficher une certaine robustesse. Le marché du travail se porte bien. Une accélération de la hausse des salaires a même été constatée. Par ailleurs, les derniers chiffres concernant le secteur industriel sont plutôt rassurants et laissent penser que le ralentissement constaté ces derniers mois n’est que passager.
Comment expliquez-vous la prudence affichée par la Fed ?
En premier lieu, par la prise en compte de la situation internationale préoccupante. De fortes incertitudes pèsent sur la dynamique de croissance dans les pays émergents. Par ailleurs la Fed n’a pas voulu être une source supplémentaire de volatilité sur les marchés. Il est frappant de relever que la Fed fait face à une économie domestique très en avance dans le cycle économique. En cela elle est quelque peu isolée par rapport aux autres grandes banques centrales. C’est la seule à avoir commencé à durcir sa politique monétaire en décembre. La position dans laquelle elle se trouve est en cela d’autant plus délicate.
En quoi consiste votre scénario central pour la suite des évènements ?
En ligne avec les prévisions des membres du FOMC, nous tablons sur deux remontées des taux cette année. Cependant nous avons également à l’esprit un scénario alternatif dans lequel la Fed pourrait procéder à davantage de hausses des taux dans le cas où le rythme d’augmentation des salaires viendrait à s’accélérer poussant l’inflation à croitre significativement.
Quel regard portez-vous sur les dernières annonces faites par la Banque centrale européenne ?
Contrairement à la Fed, la BCE était très en retard. Face à la modeste reprise qui a gagné la zone euro, en présence d’un taux de chômage élevé et en l’absence de toute pression inflationniste, la BCE a eu suffisamment de marge de manœuvre pour agir plus agressivement ce mois-ci. De nouvelles mesures ont donc été annoncées en vue de soutenir l’activité économique.
Ces nouvelles mesures vous ont-elles étonné ?
La BCE s’est montrée plus interventionniste qu’attendu. Nous ne nous attendions pas, par exemple, à une extension du programme de quantitative easing aux obligations d’entreprises investment grade dès à présent. D’ailleurs cette décision n’est pas allée sans contestation, surtout en Allemagne.
Il est intéressant de relever que depuis l’arrivée de Mario Draghi à la tête de la BCE, l’institution monétaire tend à suivre un modèle plus semblable à celui de la Fed. Les virulentes critiques en rapport avec la rigidité dont faisait preuve la Banque centrale, émises lors des précédentes présidences, se sont énormément atténuées.
Tablez-vous sur de nouvelles annonces de la BCE d’ici la fin de l’année ?
Compte tenu de la vision globale que nous avons de l’environnement macroéconomique, nous avons du mal à imaginer que la BCE adoptera des mesures supplémentaires à celles évoquées cette année.
Nous ne sommes cependant pas à l’abri d’une intervention renforcée si nous avions de nouveaux signes de faiblesse de la croissance au sein de la zone euro. Dans un tel cas, la BCE n’hésitera pas à aller plus loin.
Deux principales préoccupations ont incité la BCE à prendre ces nouvelles mesures à ce stade de l’année : la faiblesse de la distribution du crédit et la dégradation des anticipations d’inflation. Etes-vous d’avis que les nouvelles mesures permettront de remédier à ces deux problématiques ?
Le redémarrage du marché du crédit semble bien enclenché. Si des inquiétudes sont encore perceptibles a propos de l’état de santé du secteur bancaire dans certains pays périphériques, en agrégé, le volume de prêts consentis aux agents privés est bien en augmentation. A présent, les nouvelles mesures de la BCE sont de nature à éviter une exacerbation du stress financier qui viendrait mettre à mal la capacité des banques à refinancer l’économie. Dans ces conditions, le trend de croissance du crédit devrait persister.
Hormis la Fed et la BCE, deux autres grandes banques centrales sont étroitement surveillées par les marchés : la BoJ et la PBoC. Quelles sont vos perspectives pour ces deux institutions cette année ?
A un horizon visible, nous présumons sur un statu quo de la part de la BoJ. Celle-ci mène déjà une politique monétaire extrêmement accommodante. Au global, la reprise de l’activité au Japon parait être en place bien qu’elle soit encore chaotique. La problématique phare à laquelle doit faire face la BoJ est celle d’un maintien des anticipations d’inflation à la hausse. Là-dessus, les réformes mises en place par le gouvernement devraient permettre d’aboutir à une hausse des salaires et d’alimenter ces-dites anticipations.
Pour ce qui est de la PBoC, celle-ci est confrontée à un enjeu très compliqué dès lors qu’elle doit composer avec des objectifs antagonistes. D’un coté, pour éviter que le ralentissement conjoncturel que connait la Chine ne se transforme en atterrissage brutal de l’économie, la PBoC doit assouplir sa politique monétaire de manière progressive et ciblée. C’est ce qu’elle fait en abaissant les taux de réserves obligatoires pour les banques. Cependant d’un autre coté, la PBoC se doit d’œuvrer à la réduction de la dette privée colossale qui a été contractée ces dernières années afin d’atténuer le risque d’instabilité financière dans le pays.
Pensez-vous que les agissements de la PBoC pourraient être à l’origine de nouvelles tensions cette année à l’instar de ce que nous avons traversé à l’été 2015 ?
Les perturbations de cet été ont été le résultat d’importantes erreurs de communication de la part de la PBoC sur la gestion du change. Suite au changement des modalités de fixation du taux de change, des craintes avaient été nourries a propos d’une dépréciation agressive de la devise. Nous pensons que la PBoC n’est pas du tout dans cette optique. Les modifications apportées ont été principalement motivées par le processus d’internationalisation dans lequel s’inscrit la monnaie. Il y a donc eu un malentendu et nous supposons que les autorités ont appris de ce qui s’est produit.
A quelle déduction, en termes d’impacts sur les marchés financiers, votre vue d’ensemble sur les grandes banques centrales de ce monde vous amène-t-elle ?
A mon sens, les banques centrales ne devraient pas avoir un effet majeur positif ou négatif sur les marchés financiers cette année. Ce qui sera beaucoup plus influent, c’est l’évolution du cycle économique. Ainsi, si de prime abord nous pouvons supposer que la normalisation de la politique monétaire de la Fed ne constitue pas une bonne nouvelle pour les marchés, celle-ci sera opérée avec une telle prudence pour justement ne pas traumatiser les marchés, qu’elle ne devrait pas avoir un effet défavorable outre mesure.De même si la BCE et la BoJ sont destinées à conserver une politique monétaire ultra accommodante, a priori favorable pour les marchés, la prise en compte des décisions prises et l’absence de nouvelles annonces majeures supposent un effet positif relativement marginal.
D’aucuns n’hésitent pas à pointer du doigt les risques qu’impliquent les politiques monétaires ultra accommodantes jadis déployée par la Fed et aujourd’hui mises en œuvre par la BCE et la BoJ. Que répondez-vous à cela ?
Il me semble insensé de présumer que les banques centrales sont inconscientes des risques qu’elles engendrent sur les marchés. Si les taux sont aussi bas, ce n’est pas sans raison. L’atonie de l’inflation le justifie amplement.
Certes des répercussions négatives en découlent pour tous les épargnants. Ces derniers doivent faire un choix entre rester sur des placements sécuritaires mais renoncer à un avoir un rendement conséquent ou aller chercher un rendement attractif en consentant à aller sur des placements à risque. Un tel choix est de la responsabilité des investisseurs et non des banques centrales.
A présent, il est vrai que les politiques ultra accommodantes menées depuis plusieurs années soulèvent des interrogations.
Quelles conséquences précisément la forte expansion des bilans des banques centrales du fait de l’injection massive de liquidité va-t-elle avoir ? Comment ces différentes banques centrales parviendront elles à normaliser leur politique sans entrainer des à-coups d’envergure sur les marchés?
Pour l’heure, la Fed semble réussir ce pari. Cela fait deux ans que la Banque centrale a débuté son processus, d’abord en communiquant sur le sujet, puis en arrêtant son programme de quantitative easing et en procédant à une première hausse des taux en décembre.Nous pouvons néanmoins nous demander ce qu’il en sera de la suite des évènements et ce qui se passera lorsque la BCE et la BoJ voudront, elles aussi, agir semblablement.
Nous avons été quelque peu surpris par le ton particulièrement accommodant de la Fed et de sa présidente Janet Yellen. L’économie américaine continue à afficher une certaine robustesse. Le marché du travail se porte bien. Une accélération de la hausse des salaires a même été constatée. Par ailleurs, les derniers chiffres concernant le secteur industriel sont plutôt rassurants et laissent penser que le ralentissement constaté ces derniers mois n’est que passager.
Comment expliquez-vous la prudence affichée par la Fed ?
En premier lieu, par la prise en compte de la situation internationale préoccupante. De fortes incertitudes pèsent sur la dynamique de croissance dans les pays émergents. Par ailleurs la Fed n’a pas voulu être une source supplémentaire de volatilité sur les marchés. Il est frappant de relever que la Fed fait face à une économie domestique très en avance dans le cycle économique. En cela elle est quelque peu isolée par rapport aux autres grandes banques centrales. C’est la seule à avoir commencé à durcir sa politique monétaire en décembre. La position dans laquelle elle se trouve est en cela d’autant plus délicate.
En quoi consiste votre scénario central pour la suite des évènements ?
En ligne avec les prévisions des membres du FOMC, nous tablons sur deux remontées des taux cette année. Cependant nous avons également à l’esprit un scénario alternatif dans lequel la Fed pourrait procéder à davantage de hausses des taux dans le cas où le rythme d’augmentation des salaires viendrait à s’accélérer poussant l’inflation à croitre significativement.
Quel regard portez-vous sur les dernières annonces faites par la Banque centrale européenne ?
Contrairement à la Fed, la BCE était très en retard. Face à la modeste reprise qui a gagné la zone euro, en présence d’un taux de chômage élevé et en l’absence de toute pression inflationniste, la BCE a eu suffisamment de marge de manœuvre pour agir plus agressivement ce mois-ci. De nouvelles mesures ont donc été annoncées en vue de soutenir l’activité économique.
Ces nouvelles mesures vous ont-elles étonné ?
La BCE s’est montrée plus interventionniste qu’attendu. Nous ne nous attendions pas, par exemple, à une extension du programme de quantitative easing aux obligations d’entreprises investment grade dès à présent. D’ailleurs cette décision n’est pas allée sans contestation, surtout en Allemagne.
Il est intéressant de relever que depuis l’arrivée de Mario Draghi à la tête de la BCE, l’institution monétaire tend à suivre un modèle plus semblable à celui de la Fed. Les virulentes critiques en rapport avec la rigidité dont faisait preuve la Banque centrale, émises lors des précédentes présidences, se sont énormément atténuées.
Tablez-vous sur de nouvelles annonces de la BCE d’ici la fin de l’année ?
Compte tenu de la vision globale que nous avons de l’environnement macroéconomique, nous avons du mal à imaginer que la BCE adoptera des mesures supplémentaires à celles évoquées cette année.
Nous ne sommes cependant pas à l’abri d’une intervention renforcée si nous avions de nouveaux signes de faiblesse de la croissance au sein de la zone euro. Dans un tel cas, la BCE n’hésitera pas à aller plus loin.
Deux principales préoccupations ont incité la BCE à prendre ces nouvelles mesures à ce stade de l’année : la faiblesse de la distribution du crédit et la dégradation des anticipations d’inflation. Etes-vous d’avis que les nouvelles mesures permettront de remédier à ces deux problématiques ?
Le redémarrage du marché du crédit semble bien enclenché. Si des inquiétudes sont encore perceptibles a propos de l’état de santé du secteur bancaire dans certains pays périphériques, en agrégé, le volume de prêts consentis aux agents privés est bien en augmentation. A présent, les nouvelles mesures de la BCE sont de nature à éviter une exacerbation du stress financier qui viendrait mettre à mal la capacité des banques à refinancer l’économie. Dans ces conditions, le trend de croissance du crédit devrait persister.
Hormis la Fed et la BCE, deux autres grandes banques centrales sont étroitement surveillées par les marchés : la BoJ et la PBoC. Quelles sont vos perspectives pour ces deux institutions cette année ?
A un horizon visible, nous présumons sur un statu quo de la part de la BoJ. Celle-ci mène déjà une politique monétaire extrêmement accommodante. Au global, la reprise de l’activité au Japon parait être en place bien qu’elle soit encore chaotique. La problématique phare à laquelle doit faire face la BoJ est celle d’un maintien des anticipations d’inflation à la hausse. Là-dessus, les réformes mises en place par le gouvernement devraient permettre d’aboutir à une hausse des salaires et d’alimenter ces-dites anticipations.
Pour ce qui est de la PBoC, celle-ci est confrontée à un enjeu très compliqué dès lors qu’elle doit composer avec des objectifs antagonistes. D’un coté, pour éviter que le ralentissement conjoncturel que connait la Chine ne se transforme en atterrissage brutal de l’économie, la PBoC doit assouplir sa politique monétaire de manière progressive et ciblée. C’est ce qu’elle fait en abaissant les taux de réserves obligatoires pour les banques. Cependant d’un autre coté, la PBoC se doit d’œuvrer à la réduction de la dette privée colossale qui a été contractée ces dernières années afin d’atténuer le risque d’instabilité financière dans le pays.
Pensez-vous que les agissements de la PBoC pourraient être à l’origine de nouvelles tensions cette année à l’instar de ce que nous avons traversé à l’été 2015 ?
Les perturbations de cet été ont été le résultat d’importantes erreurs de communication de la part de la PBoC sur la gestion du change. Suite au changement des modalités de fixation du taux de change, des craintes avaient été nourries a propos d’une dépréciation agressive de la devise. Nous pensons que la PBoC n’est pas du tout dans cette optique. Les modifications apportées ont été principalement motivées par le processus d’internationalisation dans lequel s’inscrit la monnaie. Il y a donc eu un malentendu et nous supposons que les autorités ont appris de ce qui s’est produit.
A quelle déduction, en termes d’impacts sur les marchés financiers, votre vue d’ensemble sur les grandes banques centrales de ce monde vous amène-t-elle ?
A mon sens, les banques centrales ne devraient pas avoir un effet majeur positif ou négatif sur les marchés financiers cette année. Ce qui sera beaucoup plus influent, c’est l’évolution du cycle économique. Ainsi, si de prime abord nous pouvons supposer que la normalisation de la politique monétaire de la Fed ne constitue pas une bonne nouvelle pour les marchés, celle-ci sera opérée avec une telle prudence pour justement ne pas traumatiser les marchés, qu’elle ne devrait pas avoir un effet défavorable outre mesure.De même si la BCE et la BoJ sont destinées à conserver une politique monétaire ultra accommodante, a priori favorable pour les marchés, la prise en compte des décisions prises et l’absence de nouvelles annonces majeures supposent un effet positif relativement marginal.
D’aucuns n’hésitent pas à pointer du doigt les risques qu’impliquent les politiques monétaires ultra accommodantes jadis déployée par la Fed et aujourd’hui mises en œuvre par la BCE et la BoJ. Que répondez-vous à cela ?
Il me semble insensé de présumer que les banques centrales sont inconscientes des risques qu’elles engendrent sur les marchés. Si les taux sont aussi bas, ce n’est pas sans raison. L’atonie de l’inflation le justifie amplement.
Certes des répercussions négatives en découlent pour tous les épargnants. Ces derniers doivent faire un choix entre rester sur des placements sécuritaires mais renoncer à un avoir un rendement conséquent ou aller chercher un rendement attractif en consentant à aller sur des placements à risque. Un tel choix est de la responsabilité des investisseurs et non des banques centrales.
A présent, il est vrai que les politiques ultra accommodantes menées depuis plusieurs années soulèvent des interrogations.
Quelles conséquences précisément la forte expansion des bilans des banques centrales du fait de l’injection massive de liquidité va-t-elle avoir ? Comment ces différentes banques centrales parviendront elles à normaliser leur politique sans entrainer des à-coups d’envergure sur les marchés?
Pour l’heure, la Fed semble réussir ce pari. Cela fait deux ans que la Banque centrale a débuté son processus, d’abord en communiquant sur le sujet, puis en arrêtant son programme de quantitative easing et en procédant à une première hausse des taux en décembre.Nous pouvons néanmoins nous demander ce qu’il en sera de la suite des évènements et ce qui se passera lorsque la BCE et la BoJ voudront, elles aussi, agir semblablement.
Propos recueillis par Imen Hazgui