Interview de Stéphane  Colliac : Economiste Senior pour la France chez Euler Hermès

Stéphane Colliac

Economiste Senior pour la France chez Euler Hermès

L'investissement au beau fixe grâce au programme d'Emmanuel Macron : le plus fort taux de progression attendu pour 2018 depuis 10 ans

Publié le 18 Mai 2017

Vous avez présenté mercredi 17 mai le baromètre Euler Hermes 2017 sur l’investissement et la trésorerie des entreprises. A cet occasion, vous avez amenés à exposer votre vue macroéconomique de la situation. Quels principaux enseignements sont à retenir ?
En premier lieu, afin de mieux appréhender la situation actuelle, nous avons été amenés à calculer un gap d’investissement qui correspond à l’écart du niveau d’investissement des entreprises présentement observé et le niveau d’investissement fondé sur un scénario de poursuite de la croissance moyenne générée entre 2000 et 2006, autour de 2,7% par an. Ce gap atteint 38 milliards d’euros à fin mars 2017 après un pic à 40 milliards d’euros à la mi 2015.
Sur la base de nos estimations de croissance qui incluent les mesures éventuelles du nouveau président Emmanuel Macron, cet écart est destiné à fléchir à seulement 35 milliards d’euros fin 2018.

Ce gap d’investissement est donc durable. Pourquoi ?

A notre sens, la croissance ne sera pas suffisamment soutenue pour permettre une plus importante diminution de ce gap. Nous attendons une hausse du PIB de 1,5% en 2017 et en 2018 en prenant en considération les éventuels impacts des actions prises par l’actuel gouvernement, contre des prévisions initiales de respectivement 1,4% et 1,3%.

Pour autant le trend de l’investissement s’inscrira dans une certaine amélioration…

Absolument. Ce, grâce à trois volets de mesures envisagés dans le programme d’Emmanuel Macron. Un premier volet pro entreprises avec une baisse de l’impôt sur les sociétés probablement étalée sur le quinquennat de 33% à 25%, sachant qu’1% d’impôt représente environ 1 milliard d’euros ; et le remplacement du CICE par une diminution de 6% des cotisations sociales employeur.
La baisse des cotisations sociales employeur a l’avantage d’être un mécanisme plus simple que le CICE qui est un crédit d’impôt. Elle est par ailleurs pérenne alors que le CICE risque d’être annulé une fois la croissance revenue. Enfin, elle constitue une aide plus conséquente puisqu’elle représente une enveloppe annuelle de 29 milliards contre 17,5 milliards.  
Le deuxième volet concerne les ménages avec un amoindrissement des cotisations chômage et maladie remplacées par une hausse de 1,7% de la CSG qui n’est pas uniquement assise sur les salaires ; et une exonération progressive de la taxe d’habitation pour 80% de la population, mise en œuvre à partir de l’année prochaine.
Enfin, dans un troisième chapitre, le programme d’Emmanuel Macron ambitionne de stimuler les investissements publics par la mise en œuvre d’un plan de 50 milliards d’euros, ce qui permettrait de retrouver le niveau qui prévalait en 2012.

Grace à la combinaison de ces trois moteurs, l’investissement global en France devrait évoluer de 3,2% en glissement annuel en 2018...

Effectivement. C’est le plus fort taux de progression depuis 2007.
Si on le décompose, cela devrait donner une progression de l’investissement des entreprises de 2,9% en 2017 et de 3% en 2018. Cela équivaut à une accélération si l’on tient compte du fait que la variation de 2016 (+3,6%) a été biaisée par la mesure très exceptionnelle de suramortissement. Celle-ci a contribué pour moitié à l’expansion observée.
L’investissement des ménages qui renvoie à l’investissement dans l’immobilier devrait croitre en 2017 de 3,6% en 2017 et 4% en 2018. Cela devrait entrainer une contraction supplémentaire du stock des invendus et dynamiser le secteur de la construction.
L’investissement public devrait, quant à lui, décliner cette année de 0,7% en raison de la transition du pouvoir mais s’amplifier de 2% en 2018. Ceci devrait ainsi permettre d’inverser la tendance longue de diminution de l’investissement public.

Une autre constatation sur le front macroéconomique indique une extension des délais de paiement clients dans les entreprises françaises d’une journée.

Nous sommes passés à 73 jours. L’objectif recherché par les autorités dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie est de retomber à 60 jours. En cela il faudra probablement d’autres adaptations pour parvenir à cette cible.
Une certaine disparité est à relever dans l’évolution de ces délais. Dans certains secteurs ils s’allongent comme les biens de consommation et l’automobile. Dans d’autres ils se raccourcissent comme les transports.
La comparaison entre les délais de paiement clients et les délais de paiement fournisseurs-en amélioration de trois jours- ajustée du nombre de jours de stocks permettent de rendre compte d’une diminution besoins de liquidités à mobiliser, autrement dit des besoins en fonds de roulement. Ces besoins ont diminué de deux jours de chiffre d’affaires.
Vous avez été conduits à analyser la trésorerie des entreprises composant le SBF 120 hors entreprises financières. Qu’en ressort-il ?

Cette trésorerie se situe à 355 milliards d’euros, en progression de 2,4%. C’est le niveau le plus élevé en Europe. L’embellie concerne la majorité des secteurs, notamment l’agroalimentaire (+145%). Cependant dans d’autres pans d’activité comme les biens de consommation on note une dégradation de 32%.
Cette évolution de la trésorerie devrait permettre aux entreprises de supporter un hypothétique relèvement des taux de la BCE dans les années à venir.

Votre exposé macroéconomique met également en exergue une reprise du chiffre d’affaires et des marges des entreprises ?

Selon les données de l’INSEE, nous devrions faire face à une accélération de la croissance du chiffre d’affaires des entreprises de 2,5% en 2017 et 2018 (contre +1,6% en 2016) lié au rebond des prix de vente sur fond d’une remontée de l’inflation. Néanmoins, parallèlement, le renchérissement du prix du pétrole a impliqué des difficultés à faire gonfler les marges des entreprises qui stagnent depuis début 2016 à 31,4%, en deçà de la moyenne pré crise à 32,5%. A notre sens, un tel niveau ne devrait pouvoir être retrouvé que fin 2018 et à condition que les mesures pro entreprises du programme d’Emmanuel Macron soient adoptées.
La pression sur les prix semble être le principal handicap à la rentabilité des entreprises françaises (51% des répondants, +5 points), y compris dans les industries qui sont en relativement bonne santé comme l’automobile et où on escompte 2,1 millions de nouvelles immatriculations cette année qui est la moyenne pré crise (66% des répondants, +31 points). La concurrence est exacerbée. Les entreprises sont contraintes à se lancer dans une guerre des prix pour attirer de nouveaux clients.

D’après votre baromètre, deux entreprises sur trois (68%, +9 points par rapport à 2015) envisagent soit un maintien (36%) soit un surcroit (32%) du niveau de leurs investissements.

Le développement de la demande constitue le paramètre premier qui influence ces investissements (87% des répondants, +12 points par rapport à 2015). Le niveau d’endettement et les conditions de refinancement (taux d’intérêt, politique de la banque) s’avèrent être de moindres préoccupation (respectivement 17% contre 53% il y a deux ans et 16% contre 47%).
La visibilité sur les carnets de commande est suffisamment bonne aujourd’hui. L’image d’ensemble aboutit à une moyenne de 6,4 mois (contre 5 mois en 2015).
Le taux moyen d’utilisation des capacités de production est à 85% (contre 84% en 2015). C’est un taux très élevé, ce d’autant plus que les 15% résiduels peuvent correspondre à des capacités obsolètes.

Tous ces éléments poussent à un investissement plus offensif (augmentation des capacités, dépenses de R&D, acquisitions : 53%, +3 points) que défensif (renouvellement des capacités, mise aux normes : 47%, -3 points)
Les secteurs étroitement liés à la consommation affichent le plus de dynamisme notamment les biens de consommation, et les services. A l’inverse, le défensif l’emporte dans les transports et l’agriculture.

Comparativement à 2014, les réponses apportées concernant la trésorerie des entreprises donnent lieu à plus de divergence…

Il y a trois ans, nous avions 35% des répondants qui avançaient une amélioration de leurs investissements, 57% une stabilisation et 8% une dégradation. En 2016, les proportions sont de respectivement 41%, 36% et 23%. Le facteur différenciant est le besoin en fonds de roulement. Les secteurs les plus souffrance sont la construction (+12 jours de chiffre d’affaires), les biens d’équipement (+9 jours), l’automobile (+2 jours).

Les perspectives arborées par les entreprises pour 2017 aboutissent au plus important écart positif entre amélioration (39%) et dégradation (7%) de l’histoire du baromètre investissement d’Euler Hermes (dont c’est la 4ème édition). Ce sans prise en compte des éventuelles avancées gouvernementales qui ne devraient pas être actés avant cet automne pour une mise en œuvre uniquement début 2018.
Le rétablissement devrait être particulièrement perceptible dans les biens de consommation (59%) et l’automobile (48%).

Qu’auriez-vous à dire en guise de conclusions ?

L’enquête a été réalisée avant le déroulement des élections présidentielles. Les entreprises n’étaient pas tellement inquiètes de ce qui allait se passer. Le risque politique était perçu comme assez réduit.
Le niveau de confiance est très important. L’indicateur de confiance des ménages de l’INSEE est dernièrement revenu à 100, ce qui correspond à la moyenne historique, plus observé depuis 2007. L’indicateur de confiance des entreprises manufacturières est ressorti à 108, un pic depuis 2011.
L’incertitude levée par l’élection d’Emmanuel Macron à la tête de la France devrait permettre de raccrocher ces indicateurs de confiance à des données dures de consommation et d’investissement, qui avaient un peu tardé à suivre jusqu’alors.

Propos recueillis par Imen Hazgui