Interview de Antonio  Ruggeri : Gérant chez Syz Asset Management

Antonio Ruggeri

Gérant chez Syz Asset Management

Les banques européennes pourraient encore gagner 10% d'ici la fin de l'année

Publié le 26 Mai 2017

Quel regard portez-vous sur l’état de santé du secteur bancaire européen ?
Cela dépend de quelle maladie nous considérons. Avant la crise, nous pensions faire face à des banques européennes en très bonne santé. Nous avons cependant découvert par la suite que le secteur bancaire européen souffrait de sérieuses maladies en particulier parce trop de risques avait été pris avec trop peu de capital en face. Nous nous sommes alors retrouvés proche d’un effondrement du système financier en 2008-2009.

Aujourd’hui, nous pouvons admettre que ce risque d’effondrement du système financier à brève échéance s’est beaucoup atténué. De ce point de vue, nous pouvons adhérer à l’idée que le secteur bancaire européen est en meilleur santé. La principale cause de cette maladie a été traitée par les institutions bancaires européennes, dès lors que toutes ont diminué le niveau de risque dans leurs actifs et que la plupart ont massivement injecté du capital dans leur bilan.
Le niveau de fonds propres a finalement doublé en l’espace de dix ans sous l’impulsion du durcissement des normes les régulateurs. Ainsi, les ratios de fonds propres se sont notablement améliorés et semblent à présent suffisants pour supporter les risques pris.

Pour autant, le secteur bancaire n’est pas dans sa plus grande forme en raison d’un manque de profitabilité ?

Le problème est que le cout du capital en moyenne est en encore plus élevé que le retour sur capital. A moyen terme, cette situation pourrait encore accroitre le risque d’avoir un choc à brève échéance dans le secteur bancaire. Nous sommes d’avis, toutefois, que ce problème peut être résolu même si, l’environnement actuel caractérisé par une faible croissance et des taux d’intérêt bas a vocation à persister.
Tout d’abord les banques sont en mesure de modifier le mix de leurs revenus en faisant évoluer leur business model vers moins d’activités basées sur les taux d’intérêt et davantage d’activités basées sur les commissions. Par ailleurs, plus significativement, elles ont une réelle marge de manœuvre pour agir sur leurs dépenses. Au mois de juin 2016, il était avancé que le retour sur fonds propres moyen du secteur bancaire européen, de 5,7%, était impacté négativement à hauteur de 21% par les dépenses opérationnelles contre seulement 4% par les dépréciations. Nous pensons en conséquence que la diminution des charges opérationnelles reste le plus grand levier à actionner par les banques européennes pour leur permettre d’accroitre leur rendement sur capitaux propres et de faire progresser la profitabilité du secteur.

A quel niveau pourrait remonter ce ROE ?

Le ROE pourrait monter de 5,5% à 9% ou 10%. Le secteur bancaire européen retrouverait son efficience. De nombreuses institutions se trouvent être actuellement dans une très bonne position pour commencer à accroitre à nouveau leur ROE.

Les créances non performantes demeurent-elles selon vous un obstacle de poids pour le secteur ? Le nettoyage du bilan des banques est-il selon vous terminé ?

Une bonne partie du travail est derrière nous même s’il n’est pas terminé pour toutes les banques européennes. Par exemple, le secteur bancaire italien n’a pas fini son opération de nettoyage. D’autres noms d’envergure comme RBS au Royaume-Uni ou Banco Popular en Espagne continuent à afficher des profits négatifs en dépit de leurs efforts.
Il est de ce fait nécessaire que le processus de recapitalisation observé juste après la crise financière se poursuive. C’est exactement ce à quoi nous avons assisté ces derniers mois. Trois grandes institutions européennes- Unicredit, Deutsche Bank et Credit Suisse -se sont lancées dans une augmentation de capital. Le fait que toutes ont rencontré un succès de leur opération auprès du marché, chose qui n’était pas acquise l’année dernière, est la preuve que même s’il reste des zones d’ombre à éclaircir sur ce terrain, l’anxiété des investisseurs sur ce sujet est bien moindre.

Quelle vision avez-vous de la performance de l’indice Stoxx 600 depuis le début de l’année ?

Cet indice de référence a été très volatile depuis le début de l’année. Cela peut être expliqué à la fois par des raisons d’ordre fondamental et par des motifs de nature politique.
Au-delà du risque politique grandissant de ce début de l’année, les anticipations concernant les politiques monétaires conduites de part et d’autre de l’Atlantique ont beaucoup changé depuis la fin 2016. Nous sommes entrés au mois de mars avec des attentes d’annonces de la part de la Fed et de la BCE d’un resserrement de leur politique monétaire. Toutefois, le marché a été déçu par les deux grandes banques centrales et a réduit ses expectatives de voir des hausses de taux, en particulier du côté de la BCE.
Ce changement de sentiment a affecté négativement les perspectives de croissance bénéficiaire des banques et mis à mal leurs valorisations.
Qui plus est, si nous nous attachons à la forte performance de l’indice ces derniers mois, nous pouvons supposer que la contreperformance des titres bancaires a été renforcée par des prises de profits durant la première moitié d’avril.
Depuis la survenance des élections françaises, la configuration a de nouveau changé, avec un risque politique décroissant et des cours de bourse en progression.
Pour la suite, afin d’assister à une amélioration durable de la valorisation des actions bancaires, il y aura besoin de voir une baisse soutenue dans le marché du cout du capital implicite dans le segment de marché, qui est encore trop élevé en raison d’une plus forte volatilité et d’une plus forte prime de risque par rapport à d’autres secteurs.

De quelle manière pourrait évoluer l’indice au cours du second semestre de l’année ?

Il pourrait revenir à ses niveaux du premier semestre 2015. Il pourrait ainsi performer de 10% supplémentaires par rapport à maintenant.

De quelle manière êtes-vous investis dans le secteur présentement ?

De notre point de vue de gérants obligataires, les risques existants dans le secteur bancaire européen se sont affaiblis et c’est la raison pour laquelle nous sommes surpondérés sur les banques européennes dans notre fonds.
Nous sommes d’avis, surtout pour les investisseurs sur le marché obligataire que le secteur bancaire européen est le segment de marché où se situer au cours des 12 mois à venir.
Nous sommes exposés aux titres de dette subordonnée qui ont souffert d’une erreur d’évaluation en raison de la volatilité qui prévalait dans le secteur en 2016.
Sur un plan géographique, nous sommes structurellement sous pondérés sur les banques françaises bien qu’elles soient très solides et parce qu’elles sont bien valorisées. Elles offrent peu de champ à exploiter en guise de décote.
D’un autre côté, nous sommes surexposés sur les banques espagnoles car nous voyons d’un bon œil l’amélioration de la toile de fond macroéconomique dans le pays, l’atténuation du risque politique et le portage attractif qu’offrent les titres bancaires espagnols.

N’êtes-vous pas inquiet par le cas de Banco Popolare en Espagne ?

Les problèmes rencontrés par Banco Popolare, comme ceux qu’ont du surmonter Monte Paschi ou Deutsche Bank l’année dernière sont spécifiques. Nous n’escomptons pas un risque de contagion à l’ensemble du secteur ni sur un plan pays ni sur un plan région.

Propos recueillis par Imen Hazgui