Interview de Bertrand Puiffe : Gérant du fonds actions France chez Fidelity

Bertrand Puiffe

Gérant du fonds actions France chez Fidelity

Solocal, Technicolor, Vallourec, Korian : cap sur les valeurs décotées et cycliques en France pour les 12 prochains mois

Publié le 10 Octobre 2017

Vous avez depuis peu repris les rênes du fonds FF France. Comment expliquer le changement de la stratégie d’investissement sur ce fonds ?
Dans un contexte ou la gestion active doit de plus en plus faire des preuves, une des façons d’ajouter de la valeur à long-terme est d’avoir une gestion beaucoup plus active et sans contrainte. Cela implique un « active money » (somme des paris positifs par rapport à l’indice) et une tracking error plus élevées. Ainsi, la nouvelle philosophie de gestion appliquée au fonds FF France Fund, au-delà des points cites ci-dessus, est en outre une approche contrariante qui, dans l’environnement actuel, est surpondérée sur les valeurs cycliques et value.

Ces prochains mois vont-ils être propices pour ces valeurs moyennes décotées et cycliques ?

A un horizon de 12-18 mois, le contexte de hausse des taux graduelle mais certaine devrait rester porteur pour ces valeurs.
Par ailleurs, sur le terrain des valorisations, les valeurs de croissance ont clairement atteint un pic historique par rapport au reste du marché fin 2015. Même s’il y a eu une petite correction dans ce compartiment en 2016, les valeurs de croissance conservent en moyenne des multiples deux fois plus élevés que le reste du marché. Le gap sur longue période est en moyenne de 1,2 fois.

Pourquoi tablez-vous avec assurance sur une hausse graduelle des taux ?

Au-delà du relèvement des taux par la Fed qui aura indubitablement une influence en Europe, nous pensons que la BCE devrait agir sur ses taux courant 2018 sous l’impulsion d’une hausse du cours du pétrole dans les 18-24 mois..
Les fondamentaux hors pays de l’OPEP et Etats-Unis, qui représentent les deux tiers du marché, militent pour un rééquilibrage de l’offre et de la demande. Les grandes sociétés pétrolières privées qui animent cette partie du marché ont massivement sous investi ces cinq dernières années face à la faiblesse du prix du pétrole et en vue de maintenir une distribution de dividendes soutenue.
Le taux de renouvellement des réserves a atteint un plus bas historique. Certaines sociétés ont vocation à être confrontées à un amoindrissement de leur production. L’équilibre journalier offre demande est à ce jour de 94 millions de barils par jour. Les estimations tablent sur un déclin de la production de ce volume de 5 millions de barils par an à compter de 2018 alors que la demande devrait croitre de près de 1 million de barils par an. Dans le même temps la hausse de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis ne serait que de 1.5 à 2 millions de barils soit pas assez pour compenser ce déclin.

L’essentiel du travail sur le repositionnement du fonds a-t-il été fait ?

Le repositionnement est effectué à hauteur de 80%. Nous avons été en mesure de constituer des lignes à des prix intéressants.
Le turnover dans le cadre de la période de transition est plus élevé qu’à la normale et devrait, dans les prochains mois, retourner autour de 30-40%.

Avez-vous des biais à l’heure actuelle ?

Nous n’avons pas de biais structurels sur les secteurs. Cependant à partir de notre stratégie de stock picking nous nous retrouvons avec peu de valeurs financières et de valeurs de santé et avec un poids conséquent de valeurs sur la consommation cyclique.
Les valeurs financières ont connu un très beau parcours ces trois dernières années et ne présentent plus un potentiel de hausse intéressant. Par ailleurs ces valeurs sont largement plébiscitées par le marché actuellement.
Les grandes sociétés pharmaceutiques comme Sanofi pâtissent d’une réappréciation de leur multiple ces derniers mois, de leur forte exposition au marché américain où ils vendent leur molécule plus chère en raison de l’étendue du système de remboursement privé. Des pressions sont palpables outre Atlantique pour enrayer le mouvement de hausse du prix des médicaments.
Cela ne nous empêche pas d’être exposé à des sociétés d’équipements médicaux ou paramédicales sur des niches comme Korian ou Virbac.

Quid des valeurs pétrolières sur fond d’une perspective du renchérissement du prix du pétrole ?

Nous nous sommes renforcées sur les valeurs pétrolières. Au-delà de Total, nous avons intégré Technip FMC et Vallourec, pour lesquels les problématiques de bilan ont été résolues.

Une thématique phare de votre fonds actuellement est celle de la restructuration ?

Nous aimons bien les sociétés qui sont en phase de transition à l’instar de Solocal (anciennement les Pages Jaunes). La société avait jusqu’à juin dernier un bilan extrêmement tendu. Les banques ont accepté de convertir leurs titres dette en actions. 80% de l’activité de l’entité a été déplacée sur le digital. 20% de ce pôle enregistre une croissance de 10% à 15%, notamment le métier design des sites Internet des commerçants. Une nouvelle équipe dirigeante est arrivée et a montré sa volonté d’assainir la structure de couts fixes du groupe qui s’avère très lourde comparativement à des sociétés comparables au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis.

Avez-vous un autre exemple à citer ?

Dans la même lignée que Solocal, nous trouvons Technicolor. La société est assise sur deux business historiques, la publication de DVD qui parvient à maintenir un cash-flow récurrent grâce à l’effet prix rendu possible par une importante part de marché et le dépôt de brevets même si structurellement moins rentable. Ces deux activités en perte de vitesse occultent deux autres activités pivots en accélération, la production d’effets spéciaux pour jeux video et pour films et la fabrication de décodeurs pour les cablo opérateurs aux Etats-Unis. Ce dernier métier a pâti en 2017 de la hausse fulgurante du prix des mémoires du fait de l’annonce faite par Apple de tripler le contenu mémoires dans ses téléphones. Cette hausse devrait être répercutée aux clients de Technicolor en début d’année 2018.

Quels principaux risques voyez-vous pour le positionnement de votre fonds à l’heure actuelle ?

Une hausse de l’inflation avec une certaine stagnation de la croissance économique. Une telle configuration pourrait conduire les investisseurs à douter du mouvement de hausse des taux de la BCE. Les investisseurs seraient poussés à conserver leurs valeurs de croissance en portefeuille. Nous n’assisterions alors pas à une rotation marquée au profit des valeurs cycliques décotées.

Propos recueillis par Imen Hazgui