Interview de Hervé Brailly et Stéphane Boissel : président du directoire et directeur financier d'Innate Pharma

Hervé Brailly et Stéphane Boissel

président du directoire et directeur financier d'Innate Pharma

Nous avons subi, comme tout le secteur, la défiance des investisseurs vis-à-vis des petites et moyennes capitalisations

Publié le 14 Avril 2008

On constate que pour 2007, vos produits opérationnels ont enregistré une forte croissance passant de 8,5 millions d’euros en 2006, à 14,3 millions d’euros en 2007. Quels ont été les moteurs de cette croissance ?
Nous avons effectivement eu des revenus d’exploitation en forte croissance, avec deux composantes essentielles :

- une composante «revenu» sur l’accord de collaboration et de licence avec Novo Nordisk pour environ 8,6 millions d’euros

- la seconde composante concerne les financements publics de dépenses de recherche (comptabilisés en revenus selon les normes IFRS), avec 5,6 millions d’euros dont environ 5,0 millions d’euros au titre du crédit d’impôt recherche (CIR).

Pour les revenus issus de l’accord avec Novo Nordisk, ainsi que nous l’avons indiqué en détail dans notre rapport annuel et dans le communiqué de presse, il s’agit, d’une part, d’une partie du versement à la signature de l’accord reçu en 2006 et qui est étalé sur la durée initiale de la collaboration, soit trois ans.

Il s’agit d’autre part du financement de R&D pour l’année 2007.

Enfin, il s’agit de paiements d’étapes au passage de certaines bornes pré-cliniques, avec deux des candidats médicaments issus de la collaboration : les candidats IPH 2201 et 23XX.

Le montant des paiements d’étapes et du versement à la signature de la collaboration n’ont pas été rendus public. Le seul détail que nous fournissons sur ces 8,6 millions d’euros, est que 4,0 millions d’euros correspond à du financement de R&D.

Le solde de 4,6 millions d’euros se répartit donc entre le paiement forfaitaire étalé et les paiements d’étapes.  

Quel impact la réforme du CIR peut-elle avoir sur vos subventions ?
La réforme intervient à partir du 1er janvier 2008. Il s’agit, d’une part, de calculer le crédit d’impôt recherche sur une base uniquement en volume des dépenses éligibles (soit 30% des dépenses de l’année fiscale) et, d’autre part, de déduction de la base de dépenses éligibles les subventions reçues, et notamment les financements Oséo-Anvar.

En tant que société relativement mature (nous attendons une croissance de nos dépenses de R&D moins forte en 2008 que par le passé), le fait que le CIR soit calculé uniquement sur le volume de dépenses nous est plutôt favorable.

Au sujet de la déductibilité des subventions, cette réforme n’aura un impact pour nous que si nous bénéficions de nouvelles subventions ou avances remboursables. Nous avons effectivement en projet d’obtenir d’autres subventions, du type Oséo-Anvar, sans toutefois pouvoir les quantifier aujourd’hui.

En aparté, la difficulté autour de cette réforme est qu’elle pénalise les entreprises qui en ont le plus besoin, à savoir celles qui se trouvent encore dans leurs premières phases de développement et qui font massivement appel à l’argent public au démarrage.  

Vous avez achevé l’année avec une trésorerie de plus de 50 millions d’euros, et endettement relativement stable par rapport à 2006. A quoi comptez-vous employer cette somme ? Envisagez-vous de réaliser de la croissance externe ?
Si vous nous aviez posé la question au 1er janvier 2008, nous aurions pu vous répondre que ces 50 millions d’euros correspondent à peu près à trois ans d’activité. Ce qui nous aurait effectivement laissé un peu de marge pour faire de la croissance externe.

Entre temps, une annonce a été faite, le 31 janvier, concernant la sortie du domaine de l’oncologie de notre partenaire Novo Nordisk A/S. Cette sortie pourrait nous donner la possibilité de récupérer des droits sur certains produits développés en collaboration avec Novo Nordisk A/S dans l’oncologie, notamment sur le candidat le plus avancé de la plateforme NK : IPH 2101. Les discussions sont en cours, mais il est clair qu’une issue de ce type aurait un impact significatif sur notre horizon de financement.

Nous attendons une issue pour ces discussions fin juin. Dans ce contexte, il nous est difficile d’envisager des opérations de croissance externe extrêmement coûteuses en capitaux.

Vous avez finalisé en 2007 la mise en place du programme de Phase II pour IPH 1101, le candidat médicament le plus avancé de la plate-forme gamma delta. Quelles sont les pathologies visées par ce produit ?
IPH 1101 s’adresse aujourd’hui à deux domaines thérapeutiques : l’oncologie et l’infectieux. Dans le cancer, nous avons trois phases II en cours : une dans le cancer du rein dont les résultats sont attendus ce trimestre et deux essais dans des indications d’onco-hématologie (cancer du sang) : le lymphome non Hodgkinien et la leucémie myéloïde chronique.

L’essai dans le cancer du rein est en monothérapie. Les essais en onco-hématologie sont dans des configurations de combinaisons avec d’autres produits. Pour le lymphome non Hodgkinien, il s’agit d’une  combinaison avec l’actuel produit de référence, le Rituxan de Roche/Genentech. Dans la leucémie myéloïde chronique, nous testons IPH 1101 en combinaison avec le Glivec (commercialisé par Novartis), qui a révolutionné la prise en charge de cette pathologie.

Enfin, en oncologie, un essai dans le mélanome a été autorisé par les autorités cliniques en début d’année.

IPH 1101 est aussi testé en phase II dans l’infectieux  avec un essai dans l’hépatite C virale chronique.

Par ailleurs, nous avons un petit frère à IPH 1101, l’IPH 1201 qui a les mêmes propriétés pharmacologiques que IPH 1101 et est adapté, par son mode d’administration, à des indications où le pronostic vital n’est pas aussi dramatique que pour des indications de cancérologie. Il pourrait entrer en clinique fin  2008 / début 2009, en fonction notamment des résultats obtenus par IPH 1101 dans l’hépatite C.

Où en êtes-vous concernant la plate-forme NK et votre partenariat avec Novo Nordisk ? Vous avez également indiqué que l’inflammation est aussi un champ thérapeutique dans lequel Novo Nordisk A/S et vous allez focaliser votre partenariat, comme annoncé fin janvier 2008. Peut-on en savoir plus ?
Nous avons beaucoup avancé en 2007 sur la plate-forme NK, avec le démarrage des essais cliniques en oncologie de l’IPH 2101. En effet, deux essais cliniques de phase I ont débuté dans des indications d’onco-hématologie : un essai dans la leucémie aigue myéloïde en Europe, et un essai dans le myélome multiple aux Etats-Unis.

Ces essais sont conduits avec notre partenaire Novo Nordisk A/S. Ce dernier a annoncé son retrait de l’oncologie le 31 janvier dernier, mais il soutiendra les essais en cours jusqu’à leur terme. Comme nous vous l’avons déjà indiqué, nous sommes également en discussion pour l’obtention des droits commerciaux de ce candidat-médicament (IPH 2101).

Les résultats de ces essais de phase I sont attendus pour 2009, et ce n’est qu’à ce moment que nous déciderons des suites à donner à ce programme. Ceci étant, le développement clinique se poursuit parfaitement en ligne avec nos prévisions.

Nous avons également obtenu en 2007, un second candidat-médicament caractérisé, IPH 2201, entré en développement pré-clinique réglementaire avec notre partenaire. Il s’agit d’une borne de développement importante qui permet le démarrage des activités de production.

L’avenir de ce candidat-médicament fait aussi l’objet de discussions avec Novo Nordisk A/S.

A côté de ces deux produits, nous avons obtenu et caractérisé dans le cadre de la collaboration notre premier candidat-médicament visant une indication dans l’inflammation : l’IPH 23XX. Ceci va donner lieu dans les prochaines semaines au démarrage du développement pré-clinique réglementaire par Novo Nordisk A/S. Comme nous l’avions indiqué le 31 décembre dernier, notre collaboration avec Novo Nordisk A/S se poursuit, mais avec une réorientation sur l’inflammation et l’auto-immunité qui sont désormais les nouveaux domaines de priorité de notre partenaire.

Quels sont les principaux résultats cliniques attendus pour 2008 et 2009 ? Et plus généralement, quelles sont vos perspectives futures en termes de nouveaux médicaments ?
Pour 2008, concernant la plate-forme gamma delta, nous allons publier les résultats de la phase II d’IPH 1101 dans le cancer du rein, au cours de ce trimestre. Nous espérons aussi publier des premiers résultats de tolérance pour la combinaison Rituxan / IPH 1101 dans le lymphome non Hodgkinien au cours du second semestre. Enfin, fin 2008, dépendamment de la vitesse de recrutement des patients dans l’essai, nous devrions publier les premiers résultats d’efficacité de la phase II dans l’Hépatite C.
En ce qui concerne la leucémie myéloïde chronique, nous anticipons des premiers résultats en 2009.

Pour la plate-forme NK, il y aura, en 2008, une clarification des droits commerciaux concernant le produit le plus avancé, IPH 2101. En 2009, nous obtiendront les résultats des essais de phase I en cours.
Enfin, pour la plateforme TLR, nous attendons le passage en pré-clinque réglementaire de IPH 31XX à la mi-année, dans une indication très prometteuse : le mélanome.

Avez-vous prévu d’autres partenariats ?
Cela fait effectivement partie de notre stratégie de gestion des risques de développement : nouer des partenariats précoces tout en essayant de retenir de la valeur, dans la mesure où les développements dans notre domaine sont très longs.

Nous sommes d’ailleurs en discussions actives dans ce cadre pour certains de nos programmes, comme le programme TLR.

Votre cours de bourse reste relativement en-dessous de la moyenne des sociétés de biotechs françaises. Quel commentaire vous inspire votre parcours boursier et que pensez-vous du rebond que connaît actuellement le secteur ? Pensez-vous que votre titre en profitera ?
Il est toujours difficile pour une société de commenter son propre cours de bourse. La seule chose que l’on peut dire objectivement, c’est que nous avons subi, comme tout le secteur, la défiance des investisseurs vis-à-vis des petites et moyennes capitalisations, et qui a été très accentuée dans les secteurs technologiques, ce qui est assez classique. Nous espérons maintenant que ce mouvement de défiance et cette crise vont refluer, et que nous pourrons bénéficier d’un rebond, même s’il faut évidemment rester prudent.

Aujourd’hui, nous sommes valorisés peu ou prou à notre niveau de trésorerie. Ce qui fait que rien de ce que nous vous avons présenté, et qui correspond au travail que nous avons réalisé depuis notre création en 1999, n’est aujourd’hui valorisé.

Il est vrai que c’est une situation quasi exceptionnelle en France, même si ce n’est pas le cas en Europe ou aux Etats-Unis.


Le mot de la fin pour vos actionnaires…
Sur 2007, nous avons renforcés les fondamentaux de la société, qui sont à notre sens extrêmement solides, aussi bien sur le plan des programmes que de l’organisation. Nous avons par ailleurs progressé conformément aux indications que nous avions données lors de notre entrée en bourse.

Les deux prochaines années s’annoncent importantes pour Innate Pharma, dans la mesure où nous allons publier des résultats cliniques pour nos deux plateformes les plus avancées, et aboutir à une conclusion en ce qui concerne les droits de IPH 2101.

Nous sommes confiants dans les fondamentaux de notre société et dans son avenir, et espérons que ces grandes étapes qui s’annoncent permettront à nos actionnaires de voir leur investissement revenir à des niveaux plus conformes à la valeur technologique de notre société.

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy