Interview de Eric Poincelet : Commissaire général d’Eurobio 2008

Eric Poincelet

Commissaire général d’Eurobio 2008

Nous sommes 10 ans plus jeunes et non en retard de 10 ans !

Publié le 09 Septembre 2008

Pouvez-vous nous présenter l’Eurobio 2008 ?
L’Eurobio 2008 est le premier évènement équivalent à celui qui a démarré en 1998 aux Etats-Unis, appelé BIO, et qui a permis la cristallisation formidable du secteur des biotechnologies, dans le domaine de la santé principalement à l’époque.

Aujourd’hui, il y a le secteur des éco-industries qui est très porteur, non pas à cause du Grenelle de l’Environnement, mais parce que c’est une évidence européenne. De fait, l’Europe représente 80% de ce qu’on appelle la biotechnologie blanche et la biotechnologie verte qui sont à l’origine d’une véritable révolution industrielle. Nous avons donc pensé qu’il était temps de faire un BIO équivalent en Europe afin de mieux accompagner ce développement des technologies, non seulement rouges mais aussi vertes et blanches. Elles ont en fait un potentiel formidable de croissance.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation comparable à celle que nous avions il y a près de vingt ans, avec le début des biotechnologies rouges, sachant qu’il y a une évolution que le grand public demande et soutient notamment pour tout ce qui concerne le traitement des déchets, les énergies renouvelables, et toutes les technologies qui feront appel, par définition, aux biotechnologies.

Nous avons déjà 5 000 personnes qui vont venir à Paris à cette occasion, et cet évènement a vocation à devenir colossal.

Que représente le secteur des biotechnologies en Europe, et finalement dans le monde, face aux Etats-Unis ?
L’Europe, en général, représente environ 25% de l’ensemble des Etats-Unis. Cela étant, je préfère dire que nous sommes «10 ans plus jeunes» et non en retard de 10 ans !
En la matière, il faut cesser de croire que l’Europe est le «vieux continent»…

Nous avons la chance de pouvoir profiter du retour d’expérience des Etats-Unis, or nous sommes, je le répète, 10 ans plus jeunes, et nous avons du financement et la volonté de le faire… Avec tous ces atouts, le secteur des biotechnologies en Europe sera très important.

Pour l’heure, au niveau européen, les grands pays leaders des biotechnologies, tous secteurs confondus (santé ou éco-industries), sont l’Angleterre d’abord, du fait de sa proximité traditionnelle avec les Etats-Unis, suivie à équivalence avec l’Allemagne et la France, puis viennent ensuite des pays qui ont toujours été très tournés vers l’innovation comme la Suisse, la Finlande et l’Irlande, et qui ont compris il y a vingt ans que l’innovation était un puissant moteur de l’économie.

Le président France Biotech Philippe Pouletty s’est montré relativement critique vis-à-vis des pôles de compétitivité français ainsi que de la réforme du crédit d’impôt recherche (CIR)… Quel est, selon vous, le véritable potentiel de la France en matière de biotechs ?
La France a un gros défaut et une énorme qualité. Son défaut, c’est de laisser perdurer une situation pendant très longtemps, mais ensuite, elle a la qualité de voir quand il est vraiment très tard et, dès lors, de réagir en faisant non pas une évolution mais une révolution.

Dans les biotechs, il y a une véritable prise de conscience du danger d’être bientôt dépassé par tout le monde, si bien que nous sommes en train de passer à l’étape suivante.

Pour ce qui concerne la réforme récente du CIR, ce n’est pas une bonne nouvelle pour les PME/PMI et pour les start-up, ce dont l’Etat a pris conscience. Le gouvernement s’est en effet obstiné jusqu’ici à favoriser les grands groupes, sans comprendre qu’en réalité, c’est le terreau des PME qui va faire les grands groupes de demain. Aujourd’hui, aucun des grands groupes français n’est issu d’une PME française récente ; il y a donc nécessité de renouveler totalement notre approche, et au lieu de ne favoriser que les grands groupes, il faut absolument faire que les petits groupes d’aujourd’hui, à partir d’idées parfaitement iconoclastes, deviennent les grands groupes de demain, comme le devinrent en leur temps les Microsoft, Yahoo !, Google et consorts…
 
Que comptez-vous concrètement expliquer durant l’Eurobio 2008 ?

Nous souhaitons profiter de cette occasion pour être «poulettyquement incorrect», c’est-à-dire que nous voulons dire au gouvernement «ça ne va pas» : il faut que nous soyons, non pas dans le wagon de tête, mais dans la locomotive. Il faut prendre le leadership.

Ce que nous avons proposé à la Commission européenne, qui soutient énormément Eurobio, c’est de regarder ce que la présidence allemande a à proposer, voir ce que la présidence hollandaise a réussi à faire en faisant passer le fameux plan-cadre 7 qui est vraiment en train de développer l’ensemble des PME/PMI du secteur, jusqu’à la présidence suédoise qui va effectivement mettre l’innovation au cœur de sa présidence.

Ce faisant, nous travaillons également avec des investisseurs, que ce soit le New-York Stock Exchange et Euronext, ou le London Stock Exchange, afin d’expliquer que si les grandes entreprises veulent demain disposer des produits dont elles ont besoin, il n’y a rien de tel que les biotechs pour leur fournir, et que si les biotechs veulent grandir et devenir les Yahoo ! ou Google de demain, il n’y a rien de tel que de travailler avec les grands groupes. D’ailleurs, les fonds américains et européens vont être extrêmement importants à ce titre.

Nous sommes à l’aube d’un époque où il va y avoir plein de petits «Bill Gates», avec de très bonnes idées, qui vont aller convaincre les grands patrons des grands groupes qu’ils sont là, non pas pour les remplacer mais pour les aider à se développer.

On s’aperçoit néanmoins que les grands groupes pharmaceutiques sont en train d’absorber certaines biotechs avec lesquelles elles étaient en partenariat… Cela signifie-t-il que l’avenir d’une biotech serait de finir dans le giron d’une entreprise plus grande ?
Pas du tout. Les biotechs seront plus tard les SSII des grands groupes. Et puis, ce que l’on conseille de faire aux biotechs aujourd’hui, c’est d’avoir un accord de licence avec un grand groupe, mais leur propre portefeuille de produits qu’ils peuvent financer par le biais d’une introduction en bourse (IPO)… Et ce qu’on demandera aux grands groupes dans le cadre de ce qui est en train de se produire, c’est de faire qu’ils profitent de ce formidable dynamisme et côté innovant des biotechs sans pour autant les absorber systématiquement.

D’ailleurs, l’entrée en bourse est probablement leur meilleure protection puisqu’une fois qu’elles ont atteint une certaine capitalisation, les grands groupes préfèreront travailler avec elles plutôt que de les absorber. 

Nous allons donc tout faire pour accompagner le développement de ce secteur, et faire que les biotechs puissent s’introduire en bourse le plus rapidement possible en étant, en quelque sorte, sous protection d’un grand groupe de façon à ce que le petit porteur qui décide d’investir dans une biotech sache qu’il ne prend pratiquement aucun risque et qu’il est quasiment sûr de récupérer au moins sa donne, sinon avec un bon coefficient multiplicateur. C’est ce qui a fait la richesse du secteur informatique, hormis la bulle Internet, et ce que nous souhaitons développer dans le domaine des pharmas et des biotechs, mais aussi dans le domaine de l’agro et des biotechs, de l’environnement et des biotechs (éco-industries).

A partir du moment où le petit porteur a en aval une garantie de retour sur investissements, cela va permettre d’intéresser tous les fonds d’investissement, les business angels etc.

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy