Interview de Marc Le Bozec : Directeur financier de Cellectis

Marc Le Bozec

Directeur financier de Cellectis

Nous voulons imposer notre technologie comme le standard

Publié le 06 Octobre 2008

Cellectis vient de publier un bénéfice net de 1,3 millions d’euros au titre du premier semestre 2008, et un chiffre d’affaires de 8,1 millions d’euros. En revanche, le montant de vos charges a fortement crû, à plus de 6 millions d’euros…
Nous avons effectivement augmenté nos charges en raison, principalement, des redevances dues à l’Institut Pasteur qui se sont élevées à 1,87 millions d’euros. Ces dernières sont calculées en pourcentage de nos revenus. Nous avons, schématiquement, deux types de revenus : un revenu de licences ou de sous-licences sur lesquels nous devons à Pasteur des taux de redevance assez élevés, qui vont de 19 à 40% en fonction des seuils franchis lors de l’encaissement. Par ailleurs, nous leur devons également des redevances sur les revenus de nos propres produits issus de notre technologie, mais il ne s’agit là que de quelques pourcents… …

Quant à l’autre poste de dépense significatif, il s'agit de la R&D : nous avons embauché davantage de personnes -nous sommes passés de 35 salariés au début de l’année 2007 à plus de 50 à la fin du premier semestre 2008, soit une augmentation de 40%-, nous avons également acquis de nouvelles machines, nous allons emménager dans de nouveaux locaux -nous conservons le local dans lequel nous étions pour nos filiales, thérapeutiques et outils de recherche-, et nous avons aussi beaucoup de travaux en cours avec des avocats et des consultants pour la défense de notre portefeuille de propriétés intellectuelles et certaines démarches commerciales dans la mesure où les négociations prennent désormais une ampleur plus importante que par le passé

Pour ce qui concerne les revenus dégagés, nous avons enregistré un gros paiement au premier semestre avec la société américaine Regeneron Pharmaceutical Inc., dont la fonction essentielle consiste à mettre au point des anticorps en particulier dans le domaine du cancer et qui a d’importantes collaborations notamment avec Sanofi, Astra Zeneca, Astellas etc. Cette entreprise a souhaité étendre notre accord, qui datait de 2004, ce qui a permis un paiement de 12,45 millions de dollars enregistré pour le premier semestre, et il y aura aussi, en complément, une augmentation de capital de 5 millions de dollars qui leur est réservée, sur un cours de 8,63 euros par action.

Pourriez-vous nous détailler les activités de vos filiales et les ressources qui leur sont allouées ?

Nous avons créé deux filiales : d’un côté, Cellectis Genome Surgery qui a pour vocation de mettre au point des médicaments à partir de nos méganucléases, et de l’autre, Cellectis BioResearch dont l’objectif est la mise au point d’outils de recherche à partir de notre technologie (cellules, méganucléases, modèles animaux mimant des maladies humaines, etc.).

Dans le détail, nous consacrons à Cellectis Genome Surgery près de 80% de nos dépenses, pour des développements thérapeutiques et la mise en œuvre de notre technologie dans le domaine thérapeutique. Cette société, à l’horizon de quelques semaines, devrait compter une vingtaine de collaborateurs dont beaucoup provenant de Cellectis, et nous commençons à recruter des personnes ayant une vraie expertise sur le développement de médicaments. Cellectis Genome Surgery est sur le point de lancer deux essais pré-cliniques : un sur une maladie génétique, celle des enfants bulle, et l’autre sur les infections de la cornée à l’herpès dans le cas de greffes de cornées…

Enfin les 20% qui restent, sont alloués à la partie outils de recherche. Cellectis BioResearch devrait par ailleurs compter 8 collaborateurs d’ici la fin de l’année… Nous avons construit un portefeuille de 25 produits en développement, divisés en trois familles de produits : produits cellulaires, produits sans cellule et combinaison de ces différents produits avec des systèmes qui permettent d’«allumer» ou d’«éteindre» le gène à volonté, sachant qu’à terme, nous espérons pouvoir faire varier l’expression du gène à volonté…

Avez-vous déjà identifié des clients pour les produits de cette filiale ? A quand les premiers bénéfices ?
Les premiers produits existent, et nous avons déjà des clients dont le groupe Servier.

Cellectis BioResearch a vocation à être rentable assez rapidement pour dégager des bénéfices qui serviront à alimenter les autres activités, dont le domaine thérapeutique. Et puis cette filiale a une grande ambition qui est de placer la technologie de Cellectis sur le plus de paillasses possibles dans le monde, pour qu’à terme, les chercheurs pensent à Cellectis quand ils souhaiteront faire entrer un gène dans une cellule… Nous nous donnons entre 10 et 20 ans pour y parvenir, c’est-à-dire, imposer la marque Cellectis ainsi que sa technologie comme standard.

Depuis 30 ans en effet, quand on veut mettre un gène dans une cellule, on le met tel quel au hasard. Or nous voudrions, pour notre part, imposer l’idée que l’on peut faire ça mais de manière très ciblée grâce à nos technologies.

Qu’est-ce que représentent ces différents marchés ?
Le marché des outils de recherche représentent quelques milliards d’euros. Il s’agit d’un marché en très forte croissance étant donné qu’il existe une grande quantité d’applications différentes. Pour exemple, les modèles animaux est un domaine qui se développe très rapidement, notamment pour mettre au point de nouveaux anticorps. De même, tout ce qui a trait au criblage à haut débit de molécules connaît également un très fort développement…

Nous espérons parvenir à l’équilibre sur cette filiale dès l’année prochaine.

Quant au domaine thérapeutique, il a trait aux anticorps, aux hormones, etc., donc à la thérapigénique et à la thérapie cellulaire au sens large. Ce marché représente d’ores et déjà entre 60 et 70 milliards d’euros. Il faudra néanmoins beaucoup plus de temps pour générer des revenus et des produits commercialisables dans la mesure où il faut souvent entre 7 et 10 ans avant de pouvoir en obtenir.

Vous avez annoncé un objectif de capacité de production annuelle de 20 méganucléases à la fin 2008…
Concrètement, ce qui nous a permis de faire émerger cette technologie, c’est l’utilisation de la bioinformatique et l’émergence de la robotique dans le domaine de la biologie. Ainsi, ce qui était fait auparavant par un chercheur avec une pipette et sa boîte de levure est aujourd’hui réalisé à très haut débit à l’aide de robots dotés de bras articulés : nous avons la capacité de faire ainsi un million de points par semaine en levure et nous allons probablement faire croitre encore très fortement cette capacité dans les mois et les années à venir.

Nous travaillons également sur la productivité en raccourcissant certains processus, et nous avons aussi pour ambition de réduire le temps pour mettre au point une méganucléase, dans les années à venir.

Dès l’année prochaine, nous aurons donc bien une capacité complète de réalisation de 20 méganucléases… Notre logique visant à imposer la technologie de Cellectis en tant que standard, plus nous aurons de produits mieux nous nous porterons. Par exemple, un produit thérapeutique qui va cibler un gène donné pourra être utilisé et décliné en produits de recherche également…

Aujourd’hui, créer une méganucléase nécessite près de neuf mois, et nous espérons réduire ce délai de quelques mois, mais nous ne devrions pas pouvoir descendre en-dessous de quelques semaines… Il reste en effet encore énormément de choses à découvrir, et même si nous faisons des progrès -nous sommes passés à la troisième génération de méganucléases, plus actives et plus simples à fabriquer-, il nous reste encore beaucoup à apprendre pour avoir une parfaite connaissance du système de fixation de ces molécules à l’ADN…

Pour l’heure, avoir un délai de fabrication de quelques semaines reste du domaine de la chimère…

Au sujet de votre politique offensive de protection de brevets, il y a justement des concurrents qui proposent la même chose que vous, mais en 15 jours…
Nous ne voulons pas trop entrer dans ce débat-là.

Ce que nous proposons, et ce que nous vendons, nous l’avons déjà testé en amont. Nous faisons beaucoup de traitements informatiques et ensuite, nous testons dans la «vraie vie», c'est-à-dire que nous testons ça en levure et en cellule de mammifère.

De fait, le produit qui va sortir sera non seulement le résultat de nos connaissances, mais également un produit avec des résultats in vivo.
 
De plus nous allons probablement, à termes, réduire le temps pour la fabrication d’une méganucléase, cependant cela ne descendra pas en-dessous d’un certain seuil. Il faudra toujours des tests in vivo qui, nécessairement, prennent du temps à la fois pour être réalisés et pour être analysés.

Vous avez décidé de renforcer votre politique de protection des brevets…
Aujourd’hui nous avons initié deux procès, dont un au Japon contre une société pharmaceutique, Shionogi, que l’on pense être contrefactrice de certains de nos brevets.

Nous considérons que nos produits sont très bons, sachant que nous avons beaucoup investi et que nous avons beaucoup de recul sur ceux-ci.

Vous avez décidé de renforcer votre politique de protection des brevets…
Aujourd’hui nous avons initié deux procès, dont un au Japon contre une société pharmaceutique, Shionogi, que l’on pense être contrefactrice de certains de nos brevets. Nous considérons que nos produits sont très bons, sachant que nous avons beaucoup investi et que nous avons beaucoup de recul sur ceux-ci.

L’agriculture est également un secteur important. Comment comptez-vous l’aborder ?

Nous irons probablement vers un modèle économique mixte : nous allons modifier des semences et les commercialiser auprès des agriculteurs. Il s’agit d’un véritable marché de masse, comptant des millions d’agriculteurs. Sur ce marché, nous sommes un des maillons de la chaîne puisque nous mettons au point des outils qui permettent de modifier les semences.

Est-ce que nous pouvons mettre au point des semences et directement les commercialiser auprès des agriculteurs ? Aujourd’hui, la réponse est non. C’est trop difficile car le marché est trop vaste et puis cela exige, avant la validation des semences, des investissements considérables.

L’approche que nous avons choisi, consiste à mettre au point une sorte de club, de consortium ouvert aux grands acteurs des biotechnologies qui y adhéreront et auront ainsi accès à la technologie et pourront développer des semences à partir de nos outils.

In fine l’idée est de pouvoir récupérer une partie de la valeur qui sera ainsi créée.

En parallèle, nous nous essaierons d’investir dans tel ou tel projet concernant directement la fabrication. Nos projets seront, par exemple, de travailler sur un soja amélioré ou des cacahuètes modifiées… Il y a plein de possibilités !

C’est plus marginal mais nous pensons aussi que cela a de l’intérêt  parce que l’on peut créer beaucoup plus de valeur sur ce type de projet. Plus vous allez loin dans la chaîne de valeur en aval, plus vous allez avoir de richesses.

Le deuxième enjeu s’exprime en termes de lobbying et de standard : nous voulons imposer notre technologie comme LE standard. Or, plus nous obtiendrons de résultats et plus nous serons confortables pour aller présenter un certain nombre de choses aux autorités réglementaires.

Vous avez déjà débuté le recrutement de partenaires pour ce «club»…
Nous avons déjà signé quatre accords : un avec Bayer, un avec BASF, un avec Dupont et un avec Limagrain. L’idée c’est de proposer à ces différents acteurs d’entrer dans une sorte de club, de payer un droit d’entrée, et d’avoir accès à un grand nombre de méganucléases par an, pour pouvoir faire un certain nombre d’actions.

Ensuite en fonction des étapes qui seront franchies, ces partenaires nous reverserons de l’argent, soit sous forme de paiement fixe, soit en rémunération du succès.

Concrètement les étapes ressemblent beaucoup au processus thérapeutique : le partenaire va trouver un élément de modification. Il va confirmer cela en serre. Puis il confirmera cela en champ. Ensuite il ira présenter son dossier aux autorités réglementaires qui vont donner ou non une autorisation de commercialiser.

Pour l’instant la structure du consortium est un peu avancée. Nous sommes maintenant en discussion avec un certain nombre d’acteurs pour qu’ils adhèrent au consortium.

En termes de chiffres, combien représente ce marché de l’agriculture ?

Il pèse près de 10 milliards de dollars actuellement, et la projection de certains grands acteurs laisse penser que ce sera, à l’horizon 2025, un marché de 50 milliards de dollars. L’enjeu pour Cellectis est donc d’en prendre une petite fraction, sous forme de revenu et d’avoir des produits mis au point en partie grâce à la technologie de Cellectis et qui prendront ainsi une part de marché significative de ces 50 milliards.

A propos de votre croissance externe, quand prévoyez-vous d’en faire ?
Sur ce sujet nous sommes un peu gênés par les marchés. C’est la seule frustration que nous avons. Nous sommes très satisfaits des résultats, des accords qui sont signés et d’une manière générale, de la façon dans laquelle cela avance.

Cependant la crise financière a pesé très fortement sur les petites capitalisations, les petites capitalisations techno et encore plus sur les petites capitalisations biotechno.

Nous ne pouvons pas lever de l’argent pour faire une acquisition, puisque cela aurait un effet dilutif très fort : avec une capitalisation de 45 millions d’euros -ce qui est notre cas aujourd’hui-, si l’on doit lever 20 à 30 millions d’euros pour faire une acquisition, cela fera une grosse dilution.

En outre, nous n’avons pas spécialement envie d’utiliser le cash dont nous disposons, pour ça. Nous maintenons le fait que nous seront amené à relever de l’argent pour faire des acquisitions, mais d’ici 24 à 36 mois.

Sachant que nous sommes assez présents sur l’amont, nous allons essayer de nous positionner sur les différents marchés comme l’agroalimentaire, la thérapeutique et les outils de recherche. Nous avons des cibles, cependant cela reste un peu théorique car nous n’avons pas encore de véritables moyens d’action. De toute façon, pour faire émerger ce que nous avons en tête, il faudra passer par de la croissance externe donc des acquisitions…

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy