Interview de Stéphane Boissel : Directeur financier d'Innate Pharma

Stéphane Boissel

Directeur financier d'Innate Pharma

La reprise de l'IPH 2101 ne de devrait pas impacter à court terme notre trésorerie

Publié le 08 Octobre 2008

A l'occasion de l'Eurobio 2008 qui se tient actuellement à Paris, la société de biotechnologie Innate Pharma a annoncé qu'elle reprenait les droits mondiaux de IPH 2101 (traitement oncologique) dans le cadre d'un échange de produits avec Novo Nordisk...

Pourriez-vous revenir sur l’acquisition des droits mondiaux de IPH 2101 que vous venez d’obtenir de Novo Nordisk ?
Nous sommes en collaboration avec Novo Nordisk depuis 2003, sur ce produit [IPH 2101], et nous avons étendu cette collaboration, en 2006, à l’ensemble de la pharmacologie des NK [Natural Killer, cellules qui appartiennent à la famille des lymphocytes, ndlr].

Puis début 2008, Novo Nordisk a annoncé sa décision stratégique de cesser tous ses développements en oncologie ainsi que sur d’autres produits… Ils nous ont alors expliqué qu’ils ne pouvaient pas atteindre une taille critique en un temps raisonnable pour se faire une place dans le marché de l’oncologie, et qu’ils préféraient dès lors se recentrer sur des marchés sur lesquels ils étaient sûrs d’obtenir assez vite une taille suffisamment significative pour prendre une bonne part du marché.

Depuis cette période, nous avons eux des discussions avec eux, d’où il ressortait deux options : soit céder IPH 2101 à un tiers qui viendrait donc remplacer Novo Nordisk, soit nous permettre de reprendre ce produit. Les détails contractuels sont confidentiels, mais nous souhaitions clairement récupérer ce produit, ce qui s’est finalement matérialisé lundi 6 octobre, dans le cadre d’une opération assez élégante…

Nous avons en effet échangé nos droits sur un produit traitant les inflammations, IPH 2301 -il s’agit d’un produit développé dans le cadre de notre partenariat avec Novo Nordisk et dans lequel nous étions donc éligibles à des milestones et des royalties- pour ainsi «rémunérer» une partie de l’acquisition de IPH 2101 sans pour autant que cela nous coûte trop cher…

Aujourd’hui, les transactions pour un anticorps monoclonal, et même pour un produit de phase I, se font sur des bases, d’un point de vue cash, qui n’ont rien avoir avec ce que nous payons pour cette acquisition. Or l’une des raisons, c’est que l'on cède les droits de IPH 2301 qui n’est pas, pour nous, un produit stratégique sur le long terme.

Au final, tout le monde paraît satisfait.

Si vous devez également financer vous-même les phases I de IPH 2101, à combien chiffrez-vous le montant global de cette acquisition ?
A partir du moment où le transfert du produit sera effectif (en janvier ou février), et que tous les agréments des autorités réglementaires seront obtenus, il nous reviendra effectivement le soin de financer toutes les phases I nécessaires.

Nous estimons donc qu’entre le coût d’accès à la transaction et le financement de la fin des phases I (en 2009), cette acquisition nous aura coûté entre 5 et 7 millions d’euros… En comptant les 2,5 millions d’euros de paiement forfaitaire apporté initialement.

C’est un coût relativement raisonnable qui sera financé grâce à la mobilisation de notre crédit impôt recherche (CIR). Nous avons déjà un accord de principe avec l’Oséo pour financer cette année (près de 5 millions), et puis nous verrons pour l’an prochain, avec une partie du CIR…

C’est pourquoi cette opération ne devrait pas avoir d’impact à court terme sur notre trésorerie, étant donné que les investissements sur ce programme, jusqu’à la fin 2009, seront financés avec la mobilisation du CIR, ce qui, du reste, n’était pas du tout prévu au départ. Si bien qu’aujourd’hui, nous n’avons absolument pas prévu de lever des fonds supplémentaires sur les marchés.

Quand devrez-vous verser des milestones à Novo Nordisk ?
C’est aussi ce qui fait toute l’élégance de cet échange, puisque nous ne verserons de milestones à Novo Nordisk que lors de l’enregistrement du produit. Nous aurons en revanche de petits milestones à payer à des tiers, dont l’Université de Gênes, mais très faibles par rapport aux perspectives du produit…

Avez-vous déjà envisagé le développement commercial de IPH 2101 ? Allez-vous faire appel à de nouveaux partenaires ?
En reprenant IPH 2101, nous avons fait très attention à ne pas nous retrouver dans une situation où économiquement le produit ne serait pas licenciable. C’est-à-dire qu’il reste possible de réaliser un partenariat sur ce produit sous forme de co-développement ou de licence, on ne sait pas encore…

Ceci étant, il nous faut encore reprendre le produit et définir le plan de développement en phase II et ensuite, nous verrons… Sur le long terme, si les marchés restent mal orientés, les financements viendront nécessairement des partenariats. Aujourd’hui, nous disposons de six produits en développement dont cinq sont propriétaires, ce qui est le cas de IPH 2101, on ne peut donc pas exclure que celui-ci fasse l’objet d’un partenariat dans le futur.

Avec quels investissements et quel délai comptez-vous atteindre la preuve de concept en phase II ?
Nous sommes sur des indications dites «de niche», qui sont probablement traitables par des sociétés comme la nôtre. Maintenant, est-il intelligent pour nous d’aller trop loin dans le développement d’un médicament alors qu’une pharma le ferait différemment ou est-il plus judicieux de céder des droits géographiques, par exemple aux Etats-Unis, en échange d’un financement pour le développement en Europe ? La question reste ouverte.

Pour l’instant, pendant les neuf derniers mois, nous étions concentrés sur la reprise de ce produit [IPH 2101] dans des conditions économiquement acceptables pour nous. Au final, nous avons les moyens de financer ce produit pendant les deux prochaines années, nous allons prendre le temps de l’intégrer et ensuite, lorsque nous aurons une bonne idée de quel va être le programme de phase II, nous saurons quoi faire…

Certaines biotechs souhaitent devenir de grandes sociétés pharmaceutiques. Avez-vous un objectif similaire ?
Lorsque l’on créé des sociétés comme Innate Pharma, c’est que l’on souhaite voir un jour ses produits sur les étagères d’une pharmacie hospitalière et que l'on a envie de les vendre. Dans certains cas, ce n’est pas possible, dans d’autres ça l’est, or il est certain que notre ambition est qu’un jour nous ayons ce type de produits, mais je ne peux pas dire si IPH 2101 en fera partie.

En revanche, nous sommes typiquement dans ce cas de figure avec ce produit de spécialité oncologique [IPH 2101] qui ne nécessite pas une organisation commerciale démentielle pour pouvoir être distribué et vendu. C’est donc faisable du point de vue de la complexité de la chose et économiquement justifiable…

Nous sommes sur des produits qui ont une valeur de marché et de marges bruts extrêmement élevées, si bien que l’absorption d’une organisation commerciale est assez aisée à réaliser…

Et sur le 2301, quel a été l’apport financier…
Sur ce programme, Novo Nordisk a investi plusieurs dizaines de millions d’euros. Nous continuons à contribuer au programme jusqu’à l’expiration de notre collaboration en mars 2009, ensuite si elle est renouvelée, nous verrons à ce moment comment allouer les gens sur ce programme… Nous n’aurons donc plus de financement de Novo Nordisk après mars 2009, à moins que la collaboration ne soit prolongée.

Mais il ne faut pas confondre le financement de la R&D en vertu de la collaboration, et les paiements d’étapes sur chacun des produits.

Notre collaboration se déroule ainsi : jusqu’à une certaine étape appelée M1, il s’agit d’un financement de R&D, ensuite quand on passe cette étape, ce qui est le cas pour IPH 2301, nous sommes dans une licence où nous ne contribuons plus mais nous sommes alors éligibles à des milestones et des royalties sur les ventes… Or cette dernière partie, du fait de l’acquisition de IPH 2101, n’existe plus.

De combien de cash disposez-vous actuellement ?
Nous disposions de 43 millions d’euros en fin de mois, mais nous n’avons pas fait nos comptes encore, nous les ferons à la fin de l’année. Nous aurons alors certainement moins, autour de 35-36 millions d’euros en cash, mais nous seront sans doute au-dessus en pro forma… Dans le détail, nous avons consommé au premier semestre entre 6 et 7 millions d’euros pour la R&D…

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy