Interview de André Choulika : PDG de Cellectis

André Choulika

PDG de Cellectis

Nous avons eu une belle année avec la signature d’importants contrats

Publié le 31 Décembre 2008

Vous avez annoncé le lancement des premiers kits de recherche le 1er décembre 2008… Pouvez-vous revenir sur le mode de fonctionnement d’une méganucléase et sur l’intérêt de tels kits ?
En juin de cette année, nous avons fait deux spins offs de la société, dont une, Cellectis Genome Surgery, dédiée au développement de méganucléases thérapeutiques et une autre, Cellectis BioResearch, entièrement consacrée à la fabrication d’outils de recherche et à leur commercialisation.

Le but de cette dernière filiale consiste donc à apporter aux chercheurs des moyens qui leur permettent de reprogrammer des cellules de manière extrêmement précise et facilement reproductible. De fait, dans ces kits de recherche commercialisés par Cellectis BioResearch, se trouve une sorte de petite molécule appelée matrice de ciblage dans laquelle on met ce que l’on veut -séquence d’ADN, gène etc.-, et de l’autre côté, il y a une méganucléase qui a une adresse bien spécifique dans une cellule, de sorte que lorsqu’elle rentre dans une cellule elle va directement aller dans une zone précise du chromosome.

En résumé, le kit de recherche se présente ainsi : on prend une matrice de ciblage et la méganucléase, on y met le gène que l’on veut et on place tout ça à l’intérieur d’une cellule, ce qui va permettre d’adresser le gène choisi ou «gène d’intérêt», dans une localisation bien précise de cette cellule-là.

L'objectif de Cellectis BioResearch est donc de mettre entre les mains des chercheurs des tas de kits comme celui-là afin qu’ils puissent adresser à l’endroit où ils le souhaitent un gène bien spécifique. Pour l’instant, nos produits ont essentiellement pour rôle de ramener le gène dans des endroits où il s’exprime fortement et de manière très stable.

Nous sommes en effet en mesure d’exprimer un gène de façon très reproductible avec une très forte efficacité hors des cellules.

Il s’agit du plus gros marché actuellement pour notre kit 10.3 CHO. La cellule CHO est triplement intéressante, d’une part parce qu’elle représente de fait près de 90% du marché industriel de la production de protéine. C’est également une cellule déjà très utilisée, très répandue et très robuste. Enfin, le locus, c’est-à-dire l’adresse chromosomique où le gène va pouvoir se fixer, est une adresse où le gène s’exprime très fortement avec une forte stabilité. Il s’agit donc d’un produit très intéressant.

Maintenant, ce premier kit que nous proposons est très utile parce que facile à utiliser : en quatre semaines en moyenne, on obtient automatiquement une lignée cellulaire stable et ciblée, ce qui est complètement différent de ce que propose le marché, soit pour la même chose un délai de six à huit mois… Désormais le but de Cellectis BioResearch est non seulement de mettre un kit dans CHO, mais également dans des cellules humaines, de souris etc., de façon à couvrir complètement le marché de la transfection, c’est-à-dire de l’introduction d’ADN dans des cellules, et de pouvoir mettre entre les mains des chercheurs tous les outils qui leur permettront «d’ingénierier» leur cellule de la manière la plus simple, la plus efficace et la plus rapide possible.

Qu’est-ce que ce marché représente potentiellement ?
Chaque kit représente quelques centaines de milliers d’euros, voire quelques dizaines de millions d’euros, par produit. Il s’agit de produits qui n’ont d’ailleurs pas une durée de vie extrêmement longue, sauf peut-être exception, mais nous avons l’intention d’avoir sur ce type de produit un raisonnement qui provient de l’informatique : autrement dit, nous pensons ces produits comme susceptibles de pouvoir être toujours améliorés (par exemple au niveau de l’expression, qui pourrait être modulable...).

Nous avons donc l’intention de sortir de nouvelles versions de chacun de ces kits, avec des switchers un peu différents. Ainsi, les produits partent et seront ensuite remplacés par la nouvelle génération du kit, par exemple, avec une localisation ou une expression différente…

Au niveau mondial, le marché lui-même représente plusieurs centaines de millions d’euros. Sa particularité réside dans le fait qu’au départ, il y a une part de marché qui correspond à la transfection stable, donc l’insertion d’un ADN dans un chromosome -relativement peu développée actuellement-, alors que le marché le plus développé et qui représente plusieurs centaines de millions d’euros, est celui de l’introduction d’ADN de manière transitoire dans une cellule…

Pour quelle raison ? Simplement parce que faire du stable est bien plus difficile et compliqué que faire du transitoire. Notre but est donc d'accaparer tout le marché de la transfection stable et ce, dans autant de types cellulaires possibles afin ensuite d’attirer les gens qui font de l’introduction d’ADN transitoire dans une cellule pour qu’ils fassent de l’introduction stable, ce qui devrait alors représenter un gros marché de plusieurs centaines de millions d’euros annuels, renouvelables et extensibles dans la mesure où notre technologie facilitant ce genre d’opérations devrait aussi nous permettre d’accroître la taille du marché.
 
Vous avez récemment conclu un accord avec Regeneron Pharmaceuticals. Dans quels buts ?
Nous avions déjà un accord avec Regeneron depuis un certain temps qui portait sur l’utilisation de notre technologie pour la fabrication de souris de recherche. L’objectif de Regeneron était en effet la fabrication d’un «discovery engine» avec une souris, c’est-à-dire qu’ils ont pris une souris et ont voulu en retirer le gène qui fabrique les anticorps, pour les remplacer par des gènes humains produisant des anticorps humains… Au final, vous obtenez une souris produisant des anticorps non plus de souris mais humains, que vous pouvez ensuite utiliser immédiatement, puisque ce sont des anticorps 100% «full of human», pour faire des anticorps monoclonaux à visée thérapeutique.

Or, ce sont les droits de cet accord-là qui ont été étendus pour la fabrication de ce discovery engine, également appelé «veloci immune mouse», qui est une sorte d’outil fabricant des produits thérapeutiques pour l’industrie.

Ce nouvel accord est de 5,5 millions de dollars, dans lequel il y a les 5 millions de dollars d’augmentation de capital à 8,83 euros le titre souscrite fin novembre, à quoi s’ajouteront également le paiement de jalons et de royalties sur le produit développé. Ce qui a été payé cette année est donc l’upfront, c’est-à-dire l’augmentation de capitale souscrite par Regeneron… 

Pouvez-vous nous parler du programme de recherche «Active» (Application CuraTive des Infections Virales par Endonucléases) réalisé avec Genomic Vision, société spécialisée dans le diagnostic moléculaire ?
Il s’agit d’un programme à visée thérapeutique, dirigé directement contre les virus. Les méganucléases ont des qualités bien particulières, elles coupent en effet l’ADN avec une très grande spécificité, or un très grand nombre de virus, que l’on appelle virus à ADN persistant, sont des virus à ADN.

Dans le cadre d’«Active», nous nous intéressons essentiellement à deux virus : celui de l’herpès humain (HSV1) et celui du Sida.

Le virus du Sida n’est pas un virus à ADN au sens générique du terme, mais un rétrovirus, c’est-à-dire que ce virus entre dans une cellule sous la forme d’un ARN et, converti en ADN, va aller s’intégrer dans les chromosomes. C’est pourquoi une personne infectée par le Sida possède un génome avec l’ADN du Sidal’intérieur… Autrement dit, une personne infectée par le Sida est transgénique pour le virus du Sida.

Jusqu’à présent, on ne pouvait pas bloquer le virus du Sida dans son infection, on pouvait simplement essayer de stopper sa réplication, de l’empêcher de s’assembler mais on ne pouvait pas désinfecter une cellule touchée par le Sida…

Or dans le cadre de l’utilisation d’une méganucléase, cette dernière va reconnaître l’ADN du Sida intégré dans les chromosomes, elle va le couper et l’enlever, c’est-à-dire que l’on va pouvoir désinfecter ou «détransgéniser» une cellule infectée par le Sida.

C’est un concept plutôt novateur dans le domaine des antiviraux, et pour lequel nous avons reçu un soutien financier d’Oséo A2I dans le cadre du projet «Active». Oséo, par son programme d'appui à l'Innovation Stratégique Industrielle (ISI), apportera au total 10 millions d'euros dont 7,2 millions d'euros pour Cellectis et 1,1 millions d'euros pour Genomic Vision, sous forme de subventions et d'avances remboursables en cas de succès commercial.

Le rôle des chercheurs de Genomic Vision consistera à vérifier si le virus a bien été nettoyé du génome humain. Ils seront par ailleurs entourés d'équipes issues de l'Institut de la Vision, de l'Institut Pasteur et du CNRS.

Quant à la seconde application thérapeutique que nous poursuivons, nous avons pour objectif la désintégration du virus herpétique infectant la cornée de l’œil.

Il s’agit d’un programme de recherche étalé sur 5 ans, avec l’espoir de pouvoir amener les premiers candidats molécules dans les deux ou trois ans auprès des patients (essais cliniques) atteints de l’herpès ou du Sida…

Quelles sont vos perspectives pour l’exercice 2008 ? Pouvez-vous nous faire un rapide point sur votre stratégie pour 2009 ?
Nous avons eu une assez belle année globalement, notamment grâce à la signature d’un certain nombre de contrats importants pour la société, en particulier celui de Regeneron, mais aussi de l'Association française contre les myopathies (AFM).

Cette dernière financera le programme de recherche à hauteur de 8,372 millions d'euros sur cinq ans et portant, schématiquement, sur les maladies liées aux déformations de l’hémoglobine et la myopathie de Duchenne. Il s’agit là des premières cibles thérapeutiques, sachant qu’il y en a cinq autres que nous devrions également traiter dans le cadre de ce projet…

Au total, nous avons de nombreux programmes dans différents domaines, ce qui permet de répartir et donc diminuer les risques. En outre, le lancement de nos deux filiales, Cellectis BioResearch et Cellectis Genome Surgery, permettra à Cellectis de fonctionner de la manière suivante à l’avenir : en développant, produisant et commercialisant ses méganucléases seule.

Nous avons beaucoup perdu au début de l’année en termes de valorisation de la société, notamment en raison du contexte financier difficile. Ceci étant, nous sommes partis avec une trésorerie de 25 millions d’euros début 2008 et nous devrions finir l’année avec une trésorerie encore meilleure, et ce, alors que nous avons doublé dans le même temps nos dépenses d’exploitation.

Notre objectif est toujours d’être à l’équilibre d’ici 3 ou 4 ans, mais nous devrions dès cette année en être assez proches malgré le contexte économique et financier actuel…

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy