Interview de Philippe Pouletty : Président de France Biotech

Philippe Pouletty

Président de France Biotech

Je vous parie que dans deux ans, il y aura une réforme de l’épargne

Publié le 30 Juin 2009

Le Fonds stratégique d’investissement vient d’annoncer toute une série de mesures pur aider le secteur des biotechnologies, qu’en retenez-vous ? 
La très bonne nouvelle, c’est l’investissement direct. Alors aujourd’hui, c’est deux ou trois projets par an qui sont concernés, mais c’est aux entreprises de démontrer au FSI qu’il y a des projets intéressants et bien plus que deux ou trois. Je crois que la référence de Gilles Michel sur le fait qu’il n’y avait pas de quota et que ça se ferait au cas par cas est très importante.

Ce qui est important c’est que le fonds Biotechs dont on a parlé, et qui est encore petit effectivement puisqu’il sera doté de 100 à 150 millions d’euros pour commencer, ne sera pas un passage obligé mais un élément en plus à côté des investissements prévus par le FSI…

Mais un fonds avec une dotation de cette taille sera-t-il suffisant ?
Une autre déclaration très importante de Gilles Michel est l’engagement pris par le FSI à investir dans des entreprises sur plusieurs années ce qui ouvre des possibilités pour des montants plus importants. Je pense donc que c’est ouvert et qu’il n’y a pas de réponse aujourd’hui… Encore une fois, tout dépendra de la qualité des dossiers, de l’intérêt des entreprises, si elles ont un business plan agressif nécessitant 50, 100 ou 200 millions d’euros… Je pense que ce n’est pas exclu.

Par conséquent, sur la taille du petit fonds Biotechs doté de 100 à 150 millions d’euros, il est vrai que les acteurs pharmas jouent un peu «petit bras» par rapport à un Novartis Venture Fund par exemple, mais ce qu’il faut retenir c’est qu’il n’y a pas de passage obligé vis-à-vis du FSI et que la grosse force de frappe de 6 milliards d’euros et les 14 milliards en plus du FSI est disponibles pour toutes les autres entreprises innovantes à fort potentiel, que ce soit en Biotech, en Medtech, en IT, en Bioénergie, en Nanotechnologie etc.

Notre souhait n’est pas de faire du sectoriel, mais que le FSI serve de bras armé pour favoriser la croissance fondée sur la technologie et l’innovation parce que notre croissance économique provient de deux secteurs : la technologie d’une part, et les services à la personne d’autre part.

Que faudrait-il faire de plus pour éviter que de jeunes entreprises à fort potentiel de croissance se fassent racheter par des sociétés étrangères ?
Il est illusoire de vouloir retenir en France des entreprises manufacturières à un coût de main-d’œuvre élevé. Je pense que l’avenir des pays développés en temps de crise ou de croissance, c’est la technologie, c’est l’innovation…

Il y a un énorme potentiel en France, mais il faut changer de mentalité et que toute la chaîne de financement fonctionne. S’il n’y a pas une réforme de l’épargne en parallèle avec l’action du FSI, on fabriquera d’autres CoreValve [société française fondée en 2001 qui a réalisé sa première procédure d'implantation de valve transcathéter chez un être humain en 2004. En février 2009, cette dernière a été acquise par la société américaine Medtronic, Inc., NDLR] qui seront vendues à des entreprises étrangères parce qu’elles auront été à un étage supérieur par rapport à ce qui se faisait avant mais elles n’auront pas les moyens financiers pour devenir des grosses entreprises.

Il faut donc encore éduquer le Parlement et le Gouvernement sur comment faire cette réforme de l’épargne encadrant les initiatives sur les réformes de l’ISF ou le FSI…

Mais vous restez favorable au principe du rachat d’une société par une autre…
Un investisseur, que ce soit un business Angel ou un épargnant, se doit de pouvoir récupérer son investissement en faisant des plus-values. Il est donc tout à fait normal pour une entreprise d’être vendue à une autre. Dans une situation où les acheteurs sont plutôt étrangers et les «achetés»  sont français, il faut essayer de remédier à ça pour avoir davantage d’entreprises indépendantes et qui croissent et qui n’ont pas besoin d’être vendues à des étrangers. Ca s’appelle orienter l’épargne des Français vers leurs entreprises pour fournir le carburant nécessaire au développement des entreprises.

Il n’y a en effet rien de malsain à vendre une entreprise à une autre, mais il faut faire en sorte que le ratio vente d’entreprises à des étrangers par rapport à la croissance des entreprises et la pérennité des entreprises européennes, évolue, ce qui doit passer par l’Etat…

De quels montants auraient besoin le secteur des biotechs pour concurrencer réellement les Etats-Unis ?
Pour que l’industrie des Biotechs françaises ait un rythme de croissance stable par rapport à l’industrie anglo-saxonne, il faudrait multiplier tous les montants d’investissement dans le secteur (capital risk, FSI, Etat etc.) par 4 à 5. Personne ne sait si les 6 milliards du FSI vont être investis en 2 ans ou en 10 ans, ni quelle va être la part de ce secteur technologique par rapport à d’autres secteurs…

Je retiens pour ma part que les moyens disponibles sont importants, qu’il n’y a pas de quotas,  c’est donc aussi aux entreprises et au secteur privé de montrer aux membres du FSI que ça vaut le coup d’investir dans telle entreprise plutôt qu’ailleurs… Je suis donc optimiste et je regarde…

Et en chiffres…
En 2007, les levées de fonds étaient de 650 millions d’euros, mais en 2008, il y a eu une chute de 79%, nous avons donc besoin de retrouver un rythme d’investissement annuel entre 500 millions d’euros et 1 milliard, pour avoir une industrie dynamique. Au-delà de ça, nous souhaitons que la France, notamment avec les nouveaux secteurs qui s’ouvrent avec les bioénergies etc., soit un acteur de même dynamisme que les Etats-Unis aujourd’hui, or pour cela, il faut multiplier ces 500 millions d’euros à 1 milliard par un facteur 4. Le FSI est un élément très utile, qui ne réussira à faire de ce secteur un secteur stratégique que si, au-delà des bonnes incitations fiscales sur l’ISF qui devrait être déplafonné selon moi, il y a une réforme de l’épargne…

Et vous pensez que ce sera suffisant…
L’épargne des Français est colossale. Ainsi l’épargne financière française avant la crise représentait 3000 milliards d’euros ! Et l’assurance-vie c’est 1400 milliards d’euros avant la crise !

Les Français ont donc une énorme épargne qui n’est pas investie dans les PME et encore moins dans les PME technologiques. Dès lors, les actions budgétaires étant forcément limitées, la ressource pour nos PME et pour fabriquer 1 à 2% de croissance, elle existe et elle ne creuserait pas le déficit : elle consisterait à flécher 5% de l’assurance-vie, contre un avantage fiscal, vers les entreprises innovantes.

D’ailleurs, les assureurs-vie n’ont pas tenu leurs engagements déjà en 2004 puisqu’ils comptabilisent dans leurs investissements des filiales de sociétés d’assurance, des sociétés de gestion, etc.

Dans le détail en effet, il y avait inscrit en loi de finance que contre l’avantage fiscal attaché à l’assurance-vie, 5% des montants collectés devaient être investis dans les jeunes entreprises innovantes, ces dernières parallèlement obtenant un statut allongé à 15 ans. En 2004, Nicolas Sarkozy a convoqué les assureurs pour qu’ils prennent un engagement solennel. Malheureusement, il était pressé, et il a indiqué que 6 milliards d’euros de l’assurance-vie devraient être investis dans les PME à fort potentiel de croissance «notamment» innovantes. A l’époque, la compréhension du cabinet du ministre, et de nous, conduisait à penser que cela devait représenter au moins 50% des 6 milliards allant vers les jeunes entreprises innovantes. Mais pour les assureurs, et en particuliers Mr de la Martinière président de la FFSA, en français «notamment» signifiait 5%...

Ils n’ont donc pas du tout tenu leurs engagements et il faut donc avoir une politique volontariste… Les Etats-Unis par exemple sont extrêmement dirigistes en la matière alors qu’en France, nous sommes très règlementés mais on a du mal à être un peu dirigiste sur l’investissement, or si on ne fait pas ça, en sortie de crise, nous auront encore une croissance molle avec un déficit  colossale.

Nous appelons donc le Gouvernement à légiférer afin d’imposer qu’une toute petite fraction en pourcentage de l’épargne mais colossale en volume serve à fabriquer nos entreprises et notre croissance. Le plan de relance 2, il est là !

Au-delà de l’intérêt que vous suscitez, quel est le niveau d’écoute que vous avez auprès du gouvernement ?
Je pense que le Gouvernement est aujourd’hui bien au courant de nos besoins, et même si les lobbies, les résistances et les assureurs sont forts, mais je suis convaincu que la logique économique l’emportera…

Avec une croissance molle de 2,5% en période de récession, je vous fais le pari que dans les deux ans qui viennent, il y aura en France une réforme de l’épargne.