Interview de Philippe Pouletty : Directeur général de Truffle Capital et président de France Biotech

Philippe Pouletty

Directeur général de Truffle Capital et président de France Biotech

Le métier de capital-risque est un métier d’artisan !

Publié le 30 Juin 2009

En quoi l’amendement proposé par Jean Arthuis pour réviser le dispositif ISF PME est-il critiquable ?
Que ce soit en Californie ou à Boston, pour financier Google ou une entreprise de biotechnologie française, un fonds de capital-risque n’est pas un arrosoir d’argent, c’est un fonds qui crée les sociétés, les sélectionne, les accompagne dans la durée, réinvestit plusieurs fois dans la même société etc.

A titre d’exemple, quand j’ai créé avec le professeur Alain Carpentier et EADS il y a quelques mois la société Carmat, qui développe un cœur artificiel total, nos FCPI-ISF ont investi 5 millions d’euros. Or, ce n’est pas suffisant, il me faut encore réserver 10 millions d’euros supplémentaires pour réinvestir dans la société au fur et à mesure des besoins dans les 4 à 5 ans qui viennent.

Dès lors, obliger des fonds à investir à la va-vite l’essentiel de leurs fonds sur une période très brèves est totalement antinomique avec la pratique internationale du capital-risque qui marche…

Pourtant, le sénateur Jean Arthuis prend pour appui le fait que sur les 1,1 milliard d’euros levé en 2008, seuls 800 millions d’euros ont effectivement été injectés dans des PME…
Quand vous levez un fond, vous ne distribuez pas l’argent à tout le monde dès le lendemain… Sinon ce n’est pas un fonds d’investissement responsable !

Il faut bien comprendre qu’un FCPI ou un fonds d’investissement, ça ne gère pas que la réduction fiscal. Lorsque vous mettez 100 dans un FCPI, vous avez, en tant qu’épargnant, une réduction fiscale de 35. Or cela signifie que le contribuable prend un risque financier bien supérieur à sa réduction d’impôt, ce qui implique que la responsabilité du gestionnaire de fonds est non seulement de lui rendre son argent mais également de lui donner des plus-values…

Donc quand Mr Arthuis explique que c’est scandaleux que l’argent stagne et qu’il doit être investi de suite, il oublie de dire qu’il a lui aussi une responsabilité quant à cet argent qui doit être correctement géré, sinon les scandales se multiplieront parce que certains fonds n’en ont rien à faire mais respecteront à la lettre les ratios, et auront pris le risque de très mal gérer l’argent des épargnants…

Dans la pratique, un fonds qui veut investir dans les sociétés, ça ne signifie pas qu’il donne de l’argent aux entreprises qui viennent frapper à sa porte, sinon, autant baisser les charges des sociétés, diminuer l’impôt sur les sociétés, faire plus de crédit impôt recherche etc. ; il y a en effet bien d’autres manières de distribuer de l’argent de l’Etat tout azimut !

Un fonds d’investissement veut lui investir dans des entreprises à fort potentiel qui vont être de grandes réussites pour les actionnaires et les investisseurs, il ne s’agit donc pas de distribuer n’importe où et n’importe comment l’argent.

Il doit absolument réserver pour la même entreprise, entre 2X et 3X l’investissement initial, sinon vous devenez un actionnaire passif qui n’a pas les moyens d’accompagner l’entreprise dans la durée, et vous êtes à la merci de prédateurs qui pourraient racheter l’entreprise…

Par ailleurs, ce qui est particulièrement préoccupant, c’est de voir que les fonds qui sont destinés aux entreprises innovantes -puisque les FCPI et les FIP ont des quotas d’investissement dans les entreprises innovantes labélisées par Oséo-, sont très pénalisés par le sénateur Arthuis, mais que dans le même temps, le Sénat a refusé l’amendement du député Philippe Adnot sur les holdings. Or les holdings sont des instruments non règlementés par l’AMF et qui n’ont aucune contrainte de ratios ou autre, et qui peuvent lever énormément d’argent, avec une incitation fiscale très supérieure aux FCPI -les holdings bénéficient en effet de la même incitation fiscale que les investissements directs.

Il y a donc une légèreté sur les holdings qui lèvent énormément d’argent et dont on sait que certaines sont de véritables ‘parkings à ISF’ employant des PME coquilles, afin de respecter la règle du droit mais certainement pas son esprit qui est de financer les vraies PME…

Il y a donc d’un côté, les holdings qui lèvent désormais beaucoup plus d’argent que les FCPI et les FIP et qui ne sont pas touchées par les réformes du Sénat, et de l’autre côté, il y a les fonds qui sont règlementés par l’AMF, qui ont pour cible les jeunes entreprises innovantes et qui respectent la loi dans l’esprit et dans les faits, mais qui subissent maintenant les contraintes imposées par Jean Arthuis.

Le métier de capital-risque est un métier d’artisan ! Autrement dit, si vous investissez tout et très vite, vous courrez à des catastrophes du point de vue de la qualité de l’investissement…

Au total, ce sont les mêmes qui critiquent dans d’autres secteurs de la finance l’irresponsabilité de gestion, et qui aujourd’hui poussent les gestionnaires responsables à faire n’importe quoi !

Quelles mesures préconiseriez-vous pour améliorer le dispositif ISF PME ?
Il faut tout d’abord que ce dispositif respecte dans les faits l’esprit de la loi en favorisant le financement des PME à fort potentiel de croissance afin que l’on puisse fabriquer de nouveaux produits, de nouveaux emplois et de la croissance.

Pour se faire, il est clair que les entreprises  à fort potentiel de croissance sont en majorité des entreprises à fort potentiel technologiques et d’innovation, parce que c’est ce type de PME qui, internationalement, connaît la plus forte croissance. Il faut donc faire en sorte que la cible soit la bonne. 

On a pu constater que les FIP levaient plus d’argent que les FCPI, or le risque l’année prochaine, avec ces lois supplémentaires, c’est que les FCPI ne lèvent pratiquement rien, les FIP encore un peu du fait de leur caractère régional, mais que les holdings dominent…

Il faut donc que l’incitation fiscale ente les holdings et les FCPI soit similaire, or à ce jour, les holdings bénéficient d’une réduction d’impôt de 75% avec un plafond à 50 000 euros, tandis que pour les FCPI, l’incitation fiscale n’est dans les faits que de 35% avec un plafond à 20 000 euros.

Philippe Adnot a fait des propositions qui n’ont pas été retenues mais qui prévoyaient de réduire l’incitation fiscale des holdings pour l’aligner avec celle des FCPI ou des FIP. Inversement, il serait tout aussi efficace de relever l’incitation fiscale des FIP et des FCPI pour atteindre le même niveau que les holdings.

Globalement, il faut freiner l’incitation sur les holdings par rapport aux FCPI-FIP parce que ces derniers sont des fonds règlementés alors que les holdings sont totalement opaques dans leur mode de gestion. Enfin, il faut également relever les plafonds et imposer davantage de transparence, autrement dit, plutôt que de règlementer en permanence, il faudrait publier correctement et dans le détail les informations financières des fonds…

 Propos recueillis par N.S.