Interview de Jérôme  Selle : Directeur de la gestion, MW Gestion

Jérôme Selle

Directeur de la gestion, MW Gestion

Parmi nos convictions, Sanofi, Essilor, Porsche, Daimler, Remy Cointreau

Publié le 30 Septembre 2011

Quel regard portez-vous actuellement sur le marché actions européen ?
Le marché continue à se caractériser par une très forte volatilité. Pour des raisons techniques, arrivant en fin de trimestre, nous assistons à des réajustements dans des gros fonds. C’est ce qui explique la remontée des valeurs financières et des valeurs cycliques depuis lundi. Il nous semble que le rebond n’a pas vocation à perdurer.

Nous avons observé ces dernières semaines une multiplication des opérations de rachat d’actions. Quel regard portez-vous là dessus ?

Les rachats d’actions par les sociétés ne sont pas pour moi forcément une bonne chose. Je n’investis pas dans une société pour qu’elle rachète par la suite ses propres actions. Une telle opération traduit le fait que la société n’a pas de visibilité à court terme sur son avenir, qu’elle reste sur la défensive et cherche absolument à maintenir ses cours de bourse. Par ailleurs, un rachat suppose que la société ne trouve pas de cible afin de faire de la croissance externe.
Quand on voit que la société Bouygues annonce un programme de rachat d’actions conséquent à un moment où elle fait une publication qui n’est pas très bonne, cela conduit à relativiser sur la pertinence de l’opération et sur les perspectives à venir du cours.

Vous attendez-vous à une poursuite de cette tendance ?

Les sociétés ont beaucoup de cash et se sont massivement désendettées comparativement à la crise de 2008. Elles ne subissent pas la crise de plein fouet et sont en mesure de faire le dos rond en attendant que ça se calme.

Les sociétés françaises vous semblent-t-elle plus actives dans ces opérations que les autres sociétés européennes ?
Ce n’est pas un mouvement franco français. Il est mondial. On a vu par exemple Warren Buffet procéder au même exercice.
Le rachat peut être à court terme bénéfique pour l’action de l’entreprise. A plus long terme, des interrogations sérieuses se posent… L’investisseur qui mise sur une société préfère que celle-ci emploie son cash pour procéder à des opérations externes et gagner des parts de marché plutôt que pour racheter ses propres titres.
En cela, nous pouvons faire le rapprochement entre la multiplication d’un coté des opérations de rachat et le ralentissement de l’autre coté des opérations de M&A.

Vous attendez vous alors à une poursuite de l’essoufflement du rythme des opérations d’acquisitions ?

Tant que nous n’aurons pas plus de visibilité en Europe concernant l’évolution de la crise de la dette, et que les politiques n’actent pas le fait qu’il y a à présent urgence à sauver la zone européenne, et à se mettre d’accord sur un plan, il est exclu que nous retrouvions un mouvement d’acquisition aussi fort qu’en début d’année.

Hormis cette crise politique, il y a aussi une toile macroéconomique assez incertaine et inquiétante. Ne pensez vous pas, que même si des mesures politiques crédibles commencent à voir le jour en Europe, pour autant, le manque de visibilité demeurera et continuera à alimenter ces deux tendances concomitantes ?
Pour le moment il y a un contraste entre l’environnement macroéconomique très noir qui se dessine et la microéconomie. Les discours des sociétés restent rassurants. Il n’est pas impossible cependant que la macroéconomie finisse par emporter la microéconomie dans une spirale négative. A moins que ces sociétés arrêtent justement à faire des rachats d’actions pour se remettre à faire de la croissance externe. Beaucoup de dossiers ont été repoussés à la fin de l’année voir en début d’année prochaine.

Quelle analyse faites-vous de la multiplication des cessions d’actifs ?
Il est très possible que certaines sociétés aient besoin de cash pour racheter leurs propres actions. Ce sont des cessions qui entretiennent les opérations de rachat d’actions.
Faire des cessions dans l’environnement actuel n’est pas une très bonne chose. On peut penser qu’un certain nombre de cessions se sont faites à des montants moindres qu’elles n’auraient pu l’être dans un environnement moins chahuté.
Ces cessions faites à un mauvais timing sont le signe à nouveau d’un manque de visibilité. D’où la volonté de chercher à rassurer les investisseurs en se portant acquéreur de ses propres titres.

Les dernières cessions ont été réalisées par des financières. Compte tenu de l’effondrement de leurs cours de bourse, peut-on s’attendre à un rachat d’actions par ces sociétés ?
Les cessions faites par les financières sont particulières. Il n’est pas faux que ces sociétés devraient publier des résultats futurs relativement mauvais et qu’elles auront besoin de rassurer leurs actionnaires. Ceci étant on peut espérer que le pire a déjà été pricé par les marchés aujourd’hui.
Ces cessions ont de ce fait davantage pour objet de combler des trous de refinancement plutôt que de permettre de réaliser des opérations de rachat.

Si ce n’est pas déjà le cas, les small et mid devraient être confrontés à des difficultés de refinancement de plus en plus importantes en raison d’un resserrement des conditions d’octroie de crédit et d’un marché obligataire en parallèle de plus en plus exigeant et de moins en moins accessibles. Qu’en pensez-vous ?

La volatilité extrême que l’on a sur le marché ne profite clairement pas aux small et mid caps. Le compartiment est naturellement peu liquide.
Les dirigeants de ces small et mid caps sont de plus en plus nombreux a effectivement dénoncer le resserrement des conditions d’octroie de crédit.
Certains projets ont du être reportés faute de financement.
Le marché a toujours un temps d’avance ou un temps de retard mais n’est jamais pile dans le timing. Dès lors, on peut se demander si ce problème de refinancement est déjà dans les cours ou s’il ne l’a pas intégré et va s’en apercevoir lors des prochains road shows des sociétés.
Dans ce dernier cas nous pourrions nous attendre à une nouvelle vague de baisse.

Quelle est votre opinion là-dessus ?
Il est difficile de le dire.

Pour ce qui est de la suite des évènements sur les marchés. Vous attendez vous à une résolution de la crise de la zone euro d’ici la fin de l’année avec comme appui la transformation du FESF qui viendrait en aide à la fois aux Etats en difficultés et aux banques vulnérables ?
Je pense tout d’abord que les politiques sont en train de perdre beaucoup de temps. Et cela ne devrait pas s’arranger avec l’approche des échéances électorales. A présent, je pense que ces politiques n’auront pas d’autre choix que de finir par trouver un accord pour mettre un terme à cette crise qui dure depuis trop longtemps. Le marché appuiera là où ça fait mal et forcera les politiques à trouver une solution.

Tablez-vous sur une récession ou un simple ralentissement prononcé de la croissance ?
Mon scénario est celui d’un ralentissement prononcé aux Etats-Unis et d’un ralentissement encore plus prononcé en Europe. Quelques pays de la zone euro devraient se retrouver en récession mais dans la globalité nous aurons une croissance molle, voire proche de 0.

Quelle est l’importance de votre exposition actuelle sur le marché actions ?

Je suis exposé à hauteur de 90% depuis le mois d’aout. Le reste se compose de cash.

Quelles thématiques jouez-vous en particulier dans cet environnement ?
Je suis surtout présent sur les secteurs défensifs comme la pharmacie, avec Sanofi ou Essilor. Nous avons également beaucoup de valeurs cycliques et plus particulièrement du luxe. J’ai par exemple du Porsche et de la Daimler ou encore du Remy Cointreau.
Nous sommes absents du secteur financier que j’ai beaucoup de mal à comprendre.

Comment expliquez-vous le choix de Porsche, Daimler ou encore Remy Cointreau ?
Le constructeur Porsche se positionne sur un segment de niche porteur. Les ventes sont forte progression, notamment en Chine. De nouveaux modèles devraient être lancés prochainement. Il y a par ailleurs sur le dossier un rapprochement envisagé par le marché avec Volkswagen. A mon avis, ce rapprochement devrait finir par aboutir.
Daimler profite de toute sa gamme Mercedes qu’il est en train de renouveler, du positionnement sur les émergents et du segment des camions qui est un bon vecteur de croissance.
Remy Cointreau est appuyé par l’engouement des marchés émergents pour le cognac et de la cession du pole champagne qui a apporté un peu de cash.

Avez-vous été conduit à réduire votre horizon d’investissement ?

Non. Je suis un investisseur de long terme. Lorsque j’entre dans un dossier, je n’ai pas pour intention de rester que quelques jours ou quelques semaines.

Propos recueillis par Imen Hazgui