Interview de Gérard Moulin : Responsable Gestion Actions Europe chez Amplegest

Gérard Moulin

Responsable Gestion Actions Europe chez Amplegest

Actions européennes : parmi nos principales convictions en 2014 figurent Orpea, Bureau Veritas, Eurofins, Gemalto, Ingenico, en France et Henkel, Continental en Allemagne

Publié le 22 Janvier 2014

Etes-vous en mesure de livrer des prévisions pour les grands indices actions cette année ?
Les prévisions de niveaux d’indices dans l’environnement actuel sont tellement soumises à des aléas qu’elles sont impossibles à avancer sans se tromper.

Vous avez une vision relativement morne de l’évolution de la conjoncture en Europe ?
Hormis le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Europe n’en est qu’à la phase de stabilisation. Un chiffre de croissance de 0,5% n’est en réalité pas très significatif tant la zone est aujourd’hui hétérogène mais nous ne voyons pas encore d’éléments qui pourraient faire accélérer la croissance.
Nous sommes entrés dans une période de désinflation, peut-être de déflation mais est-ce vraiment dangereux, les télécoms sont en déflation et c’est le consommateur qui récupère du pouvoir d’achat. Ce sujet nous affecte peu puisque nous n’investissons que dans les entreprises qui ont conservé leur pricing power.

Ce risque de déflation est-il important ?

Si elle est le résultat d’un effondrement de la consommation, alors oui le risque est important. Si la baisse des prix est due au fait que le consommateur est incité à constamment comparer, à faire jouer la concurrence, l’utilisation d’Internet amplifie ces réflexes, cette tendance peut-être compensée par des gains de productivité. Dans ce deuxième cas de figure on pourrait presque parler de désinflation galopante ! On retombe sur le problème de la zone euro : certains pays ont fait des efforts considérables pour être de plus en plus compétitifs, d’autres en sont toujours au stade de la réflexion.

Que pourrait faire la BCE pour tenter d’influer sur ce risque ?

La Banque centrale a à sa disposition une boîte à outils significative. Il est difficile d’avancer lequel sera utilisé et à quel moment.
Un élément pourrait faire changer la donne, à savoir un effondrement de l’euro.
Nous avons une parité autour de 1,36. Une chute de notre devise amènerait une forte augmentation des volumes à l’exportation. Ce serait un facteur d’accélération de la croissance du PIB et une grosse bouffée prolongée d’oxygène pour l’emploi européen.

La situation vous semble particulièrement critique en France...
L’Europe du sud a entrepris des efforts titanesques qui commencent à porter leurs fruits. La France n’en est qu’au diagnostic, le chef de l’Etat semble vouloir changer de cap. Quand il y a 40 fonctionnaires pour 1000 habitants en France il y en a 20 en Allemagne. Un paquebot vire de bord lentement.
Une détérioration de la note de crédit de l’Hexagone est possible, le taux à dix ans pourrait bien remonter mais n’oublions pas que le marché obligataire français reste le plus profond d’Europe. L’écart de taux avec l’Allemagne augmenterait certainement ce qui nous obligerai, comme à chaque crise, à accélérer les réformes tant au niveau français qu’européen. Il est possible que des investisseurs étrangers commencent à s’éloigner de la dette française : tout dépendra de la rapidité du mouvement et de son amplitude

La menace est-elle significative ?

La hausse des taux français est inévitable, ne serait-ce que par contagion venant des Etats-Unis. Elle ne se fera pas forcément immédiatement après les décisions défavorables des agences de notation, car on a pu observer à l’égard de ces décisions des seuils de tolérance.

Il y a tout de même une volonté affichée par le gouvernement de baisser les dépenses ?

Oui ! Voyons les faits…

En quoi consiste votre allocation du moment ?
Nous avons une stratégie de stock picking. Certaines valeurs très intéressantes peuvent être implantées dans des pays aujourd’hui fragilisés, à l’instar d’Amadeus. La société qui a son siège en Espagne est le leader mondial des réservations de billets d’avion pour les grandes compagnies aériennes. L’action a grimpé de 55% en 2013, après 60% en 2012. De même en a-t-il été de Campari, qui avait bondi 42% en 2010 malgré un indice italien négatif.

Qu’en est-il des principales résultantes de votre sélection de valeurs aujourd’hui ?
Nous avons 27% d’actions allemandes, 23% d’actions françaises, 16% d’actions italiennes, 5% d’actions suisses, 5% d’actions espagnoles 8 5% d’actions britanniques, 4% d’actions belges.

Quid de votre répartition sectorielle ?
Nous n’aimons pas les secteurs liés à la déflation : la grande distribution, les transports aériens, l’électronique grand public (téléphonie, électroménagers, hifi…), les banques assurances pour lesquels la guerre des tarifs n’a pas encore commencé, les généralistes automobiles, les pétrolières intégrées, les utilities, les télécoms.

Vous êtes méfiants à l’égard des banques ?
Les banques sont dans un rapport de force défavorable par rapport à leurs clients.

Quels secteurs ont votre engouement ?
Les équipementiers automobiles avec Brembo en Italie, spécialiste des freins à haute performance,ou Continental en Allemagne ; les spécialistes de la santé comme des maisons de retraite, des prothésistes ou des sociétés dédiées au traitement du diabète telle que Novo Nordisk au Danemark ou Orpea en France ; la consommation de produits grand public avec Henkel en Allemagne, l’agroalimentaire avec Christian Hansen, société danoise consacrée aux ingrédients,et Kerry Group en Irlande ; les entreprises évoluant dans le domaine de la certification avec Bureau Veritas, ou SGS à Genève, Eurofins dans le domaine de la sécurité alimentaire.
Ces sociétés sont en position de force par rapport aux clients et ont donc du pricing power.

Que pensez-vous des médias et de la technologie ?

Nous avons de fortes positions sur Gemalto et Ingenico, deux entreprises très innovantes. Nous regardons BSkyB en Angleterre, mais nous ne sommes pas sur les médias car nous pensons que les barrières à l’entrée sont faibles, que la pression des annonceurs est très puissante, qu’il y a un transfert des budgets vers le net. Les grands groupes média cotés -les journaux, les télés, les radios- devraient beaucoup souffrir dans les années qui viennent. Une valeur comme Publicis est dans notre radar. La société est intéressante dans la mesure où elle a investi 3,5 milliards dans le numérique, la taille d’Havas en Bourse. Nous attendons de voir ce que donnera la fusion et d’apprécier le risque d’exécution.

Un mot de conclusion ?
Il y a lieu de dissocier un environnement économique compliqué et l’opportunité que peut présenter l’investissement dans certaines sociétés phares européennes. Notre principal fonds européen, qui pèse près de 190 millions d’euros, a délivré 22,68% de performance en 2013.

Propos recueillis par Imen Hazgui