Interview de Pierre Kosciusko-Morizet : PDG de PriceMinister

Pierre Kosciusko-Morizet

PDG de PriceMinister

Si nous allions en bourse ce serait probablement l’une des plus grosses IPO Internet de 2008 en Europe, voire la plus grosse

Publié le 07 Janvier 2008

Comment vous est venue l’idée de créer PriceMinister ?
Au tout départ, disons que j’ai été frustré de ne pas revendre correctement mes livres scolaires.

J’ai terminé mon école de commerce en 1999 et j’ai revendu mes livres dans des magasins d’occasion : j’ai fait la queue, je mes suis rendu compte qu’on ne me prenait pas tout, qu’on me les reprenait pas cher et qu’au final, je les retrouvais assez cher dans les rayonnages. Je me suis dit qu’il y avait là un marché qui n’était pas du tout optimisé.

Ensuite, je suis parti travailler aux Etats-Unis, j’y ai vécu la bulle Internet, j’ai vu l’effervescence. De là, plusieurs idées m’ont traversé l’esprit et il y en a une qui a retenu mon attention : faire quelque chose entre le e-commerce et la petite annonce. Je voulais que tout un chacun puisse revendre ses objets sur Internet avec un système simple, gratuit, offrant un maximum de garanties. C’est comme ça qu’est né PriceMinister.

PriceMinister vient d’achever la période faste de Noël. Comment s’est-elle déroulée ?
Elle s’est très bien déroulée avec une croissance qui est très supérieure à celle du e-commerce d’une année sur l’autre (le quatrième trimestre en référant).

L’activité s’annonce également très bonne –elle est déjà très bonne depuis quelques jours- pour l’après Noël, pour le phénomène de revente des cadeaux. Nous avons des croissances qui sont de plus de 50% d’une année sur l’autre.

Nous sommes vraiment très contents.

Quelle part de votre chiffre d’affaires représente le trimestre novembre-décembre-janvier ?
Cela représente environ quatre mois en trois.

Nous avons trois mois forts alors que la distribution n’en a que deux (novembre et décembre), mais en même temps, nous n’avons pas un effet Noël aussi fort que chez les autres sites de e-commerce. Il y a des sites qui peuvent avoir jusqu’à quatre mois en deux.

Nous bénéficions du phénomène très intéressant de la revente des cadeaux qui, après un boom en janvier, s’étale sur l’ensemble de l’année.

Quels ont été les produits phares de cette fin d’année 2007 ?
Ce sont les mêmes produits phares avant la période de Noël et après. Les produits revendus sont les mêmes qui ont été offerts.

Il y a d’abord une surprise importante concernant les cadres photos numériques. Si ce n’est pas la meilleure vente en termes de volumes, c’est la meilleure progression.

Nous observons aussi, comme chaque année, la vente de beaucoup de jeux vidéo. C’est un cadeau qui est très offert à Noël et très revendu par la suite, soit parce que la personne qui a offert le jeu s’est trompée dans son choix, soit le jeu a été fini rapidement. Le jeu le plus offert cette année c’est Pro Evolution Soccer et c’est aussi le jeu le plus revendu.

PriceMinister a su résister au rouleau compresseur eBay. Comment expliquez-vous cette exception française ?
Tout d’abord je pense que l’expression « rouleau compresseur » n’est pas adaptée, et qu’en business il n’y a de rouleaux compresseurs que dans les têtes des gens.
Ensuite je pense que c’est notamment parce que nous nous sommes lancé assez tôt… Au meilleur moment, je dirais en fait en toute humilité, parce que nous ne l’avons pas fait exprès.

Nous nous sommes lancés juste après l’éclatement de la bulle, en août 2000, et nous avons ouvert le site en janvier 2001.

Si nous nous étions lancés longtemps avant, nous aurions eu une dizaine de concurrents sur exactement le même modèle que nous et qui nous auraient forcé à faire de mauvais choix, à investir trop tôt, trop fort, peut-être au mauvais endroit.

A l’inverse, si nous nous étions lancés beaucoup plus tard, la place aurait probablement été prise.

En définitive, nous avons eu le temps de nous construire à notre vitesse, à la bonne vitesse, à celle qui correspond à la vitesse d’une société qui se lance.

Cette résistance s’explique aussi -je ne suis peut-être pas très objectif- par notre modèle (achat-vente garantie) qui, je pense, est vraiment meilleur que celui d’eBay. 

Le site d’enchères américain et d’autres ont eu du succès dans beaucoup d’autres pays parce qu’ils n’avaient pas de concurrent sérieux qui avait à la fois les moyens et de l’ambition dans le temps.

Il y a eu beaucoup de sites champignons qui se sont dits : «on va faire un coup pour gagner de l’argent» et qui ont revendu leur société parce qu’ils ne croyaient pas suffisamment que leur modèle puisse durer dans le temps.

Nous, nous avons crû en notre modèle et d’ailleurs, nous y croyons de plus en plus. Ca fait sept ans que nous existons –c’est long dans le monde de l’Internet- et nous grossissons chaque année plus vite que le e-commerce en général.

Si l’on se réfère aux chiffres de Médiamétrie-Nielsen, nous sommes à 50% de croissance d’une année sur l’autre, alors que globalement le e-commerce, dont eBay, connaît une croissance autour de 15 à 20%. Je parle à nombre de sites constants, parce que le e-commerce fait plutôt autour de 30% de croissance en prenant en compte les nouveaux entrants.

Comment expliquez-vous le gap de croissance entre vous et les autres ?
Notre forte croissance s’explique par des investissements de long terme. Nous avons 70 personnes dans l’équipe technique alors que le site pourrait tourner avec quinze personnes. Nous sommes en surinvestissement technique pour être à la pointe.

Nous investissons aussi assez lourdement en marketing alors qu’en termes de rentabilité immédiate, nous aurions peut-être intérêt à investir un peu moins. Mais nous avons un objectif de croissance et de prise de parts de marché.

eBay ainsi que d’autres acteurs vous ont approché mais vous avez jusqu’à présent décliné leurs propositions. Pour quelles raisons ?
Je ne vais pas vous confirmer ou non si nous avons été approché spécifiquement par eBay. En revanche, je peux vous dire que nous avons été contactés par à peu près tout le monde.

Et la raison pour laquelle nous n’avons pas donnée suite, c’est que, globalement à chaque fois, nous avons eu l’impression que nous avions intérêt à continuer. A chaque fois, nous avons plus crû en PriceMinister que les gens qui nous faisaient des offres.

Nous avions aussi l’envie de démontrer que l’on peut être un acteur français, être indépendant, grossir plus vite que ses concurrents et aller à l’international.

En fait, le choix a été plutôt simple à chaque fois.

Vous l’avez dit, vous envisagez de vous introduire en bourse. Quel est le calendrier de cette opération et combien espérez-vous lever par ce biais ?
Nous avons effectivement un projet d’introduction en bourse, mais je ne peux malheureusement pas vous en dire plus, si ce n’est que si cela débouche, ce sera probablement en 2008.

Disons aussi que, si nous allions en bourse, ce serait sur l’Eurolist et que ce serait probablement l’une des plus grosses IPO Internet de 2008 en Europe, voire la plus grosse.

Il y aurait aussi quelques actionnaires qui vendraient leurs actions, je pense par exemple aux fonds d’investissements, qui pour certains sont au capital depuis six ans. C’est assez long pour un fonds.

A quoi serviraient les fonds levés ?
Ils serviraient essentiellement à racheter des sociétés et continuer dans la même stratégie que celle de 2007, année pendant laquelle nous avons acquis quatre sociétés.

Justement, vous avez notamment racheté cette année Mixad/321 Auto et le site immobilier A Vendre à Louer. Comment se déroule l’intégration de ces sociétés ?
Les intégrations se passent très bien. Nous sommes vraiment contents et c’est important pour notre réflexion d’une possible IPO, car comme je l’ai dit, si nous allons en bourse, c’est pour financer des acquisitions.

Le bon déroulement des intégrations actuelles prouve bien que nous sommes capables d’acheter des sociétés d’où naissent des synergies.

Quel sera le prochain secteur dans lequel vous investirez ?
Nous venons d’investir dans le voyage en rachetant Planetanoo.com puis VoyagerMoinsCher.com, l’un des sites de voyages leader en France.

Sinon, nous avons repéré plusieurs sociétés qui pourraient nous intéresser, mais je ne peux pas vous dire pour le moment sur quel secteur elles sont.

Globalement, nous recherchons des sociétés qui sont leaders ou dans le leadership de leur secteur, avec des marques fortes, un business qui est de la pure intermédiation (pas de logistique et essentiellement des coûts fixes) et toujours une dimension grand public : soit du «CtoC», soit du «BtoC», mais toujours du «toC», puisque des synergies d’audience peuvent naître grâce à PriceMinister (plus de 1,5 million de visites par jour en France). Le site doit être un levier de croissance.

Vous regardez des dossiers uniquement français ou vous regardez des dossiers européens ?
Pour le moment, nous ne regardons qu’en France. Nous allons encore faire quelques acquisitions dans l’Hexagone avant de regarder l’Europe, notamment pour des raisons d’intégration. En fait, tout dépendra de nos filiales étrangères.

PriceMinister Espagne est en train de vraiment décoller, alors peut-être que dans un an, nous pourrons regarder des dossiers en Espagne.

Et puis, nous sommes en train de préparer le lancement de PriceMinister Angleterre prévu pour la mi-2008. Donc, dans ce cas-là, nous regarderons à faire de la croissance externe plutôt en 2009.

Pouvez-vous nous communiquer les chiffres clés de PriceMinister ?
Malheureusement, non. Il faudra attendre la publication d’un éventuel document de base.

Pendant longtemps, nous n’avons pas communiqué ces chiffres parce que cela nous donnait un avantage compétitif sur nos concurrents, qui eux sont cotés et doivent donc divulguer ces informations.

Dans le domaine du lobbying, vous avez créé l’association Asic (Association des services Internet communautaires) avec Dailymotion, Yahoo, Google et AOL France. Quelle est sa vocation ?
Il n’y avait pas d’association qui regroupait les membres du Web communautaire, c’est-à-dire le Web des sites qui mettent à disposition un outil technique et qui diffusent des contenus qui ne sont pas les leurs parce qu’ils sont crées par les internautes. Par exemple, pour PriceMinister, les vendeurs créent des fiches-produits, donc de l’information. En plus, ils envoient eux-mêmes les colis.

Nous sommes vraiment un outil technique au service de nos clients, et cela a pas mal d’implications en termes juridiques, en termes de créations d’emplois, en termes de position de la France dans l’économie numérique mondiales… Tous ces thèmes-là n’étaient que peu, voire pas du tout traités ou mal traités dans d’autres associations qui n’étaient pas centrés sur ce sujet.

L’idée est de regrouper les acteurs du Web communautaire pour faire du lobbying, par exemple lorsqu’il y a des taxes qui sortent du chapeau de députés qui ne sont pas forcément très bien informés.

Nous voulons être là pour nous exprimer d’une seule voix, soutenir certaines initiatives et parfois être contre d’autres.

En France, le Web communautaire est très dynamique, c’est d’ailleurs l’un des rares secteurs où la France est plutôt en avance. L’idée de l’Asic est de dire : «voilà, il y a un secteur où nous sommes bons, qui crée des emplois, de la richesse et il ne faut pas l’oublier quand on fait des lois et il ne faut pas protéger à tout prix les anciennes industries».

Il faut se dire : «Essayons d’être les meilleurs possibles dans les business qui émergent plutôt que le moins mauvais possible dans les anciens».

Justement, la France a démontré qu’elle était bien positionnée dans le domaine de l’Internet communautaire avec des leaders comme PriceMinister, DailyMotion, Skyblog et autres Netvibes... Quelles sont les mesures qui permettraient, selon vous, de favoriser le rayonnement international de notre industrie online et l’éclosion de nouveaux leaders ?
Nous sommes bien positionnés, mais nous pouvons des fois nous demander pourquoi.

Nous avons en France une très bonne communauté d’ingénieurs, nous avons de très bonnes formations techniques et donc, nous avons des personnes qui comprennent très bien l’Internet et les nouvelles technologies et ces personnes créent certaines fois des sociétés qui fonctionnent bien.

En revanche, nous avons plusieurs problèmes, et notamment celui de la fracture technologie. Nous avons en France un très bon taux de haut débit -nous sommes deuxième en Europe avec plus de 90%- alors que parallèlement nous avons seulement 46% des foyers qui sont connectés à l’Internet, contre 70% en Allemagne et en Angleterre. C’est l’un des plus mauvais taux en Europe, nous sommes d’ailleurs derrière l’Estonie. 

Propos recueillis par Marjorie Encelot avec la participation de Rachid Bakhtaoui