Interview de Eliane Rouyer : directeur relations investisseurs et communication financière chez Accor

Eliane Rouyer

directeur relations investisseurs et communication financière chez Accor

Avec les normes IFRS, la lisibilité des comptes est devenue encore plus compliquée

Publié le 12 Décembre 2006

Pouvez-vous nous rappeler dans quel but les normes IFRS ont été créées ?
Les initiateurs de ce projet ont voulu que les émetteurs puissent apporter plus de transparence auprès du public investisseur, très hétérogène : les professionnels de l’investissement par définition, les analystes, les vendeurs, les actionnaires individuels, les agences de notation, qui ont des degrés de compréhension et une culture économique et financière très variée.

Que pensez-vous du bénéfice apporté par ces normes en termes de clarté et de comparabilité ? Y a-t-il eu une réelle amélioration comme c’était prévu à l’origine?
Force est de constater que nous avons vu fleurir une information financière quantitative beaucoup plus importante et beaucoup plus complexe dans sa compréhension. Un effort pédagogique a été nécessaire de la part des émetteurs. Les récepteurs qui ont réclamé ce corpus de règles ont du faire un travail de réflexion pour mieux comprendre les nouveaux concepts utilisés.

Avec les normes IFRS, la lisibilité des comptes est devenue encore plus compliquée. Nous sommes arrivés à un tableau dit de trésorerie où tout ne correspond pas à des flux de trésorerie.
Par exemple, dans le cadre des acquisitions, les compléments de prix éventuels à payer ultérieurement sont comptabilisés dès le moment de l’investissement initial dans le tableau de flux. Cela complique les choses.

La fameuse comparabilité entre secteurs et entre sociétés de taille différentes est plus discutable puisque une marge de manœuvre a été laissée aux émetteurs pour pouvoir décider les options qu’elles pourraient choisir. En fonction du choix de ces options, la comparabilité n’est pas la même.

Vous avez réalisé une enquête dans le cadre de l’Observatoire de la communication financière, quels sont les principaux enseignements de cette enquête?
Nous avons demandé à un certain nombre de nos membres de donner leur opinion sur l’impact du passage des normes IFRS.    
Dans la grande majorité des cas, le passage aux IFRS a suscité peu de questions de la part des analystes et des investisseurs.

Sur les 28 sociétés qui ont répondu à l’enquête qui sont plutôt des grandes capitalisations, seulement 10 sociétés disent que leur public a effectivement demandé plus d’informations.

Par ailleurs, la perception de la société par les analystes n’a pas non plus évolué. Lorsqu’on demande aux analystes en quoi le passage aux normes IFRS a eu un impact sur leur méthode de travail, 55% d’entre eux disent ne pas avoir du tout changé leur modèle et ne pas avoir changé leur comportement.

Pensez-vous que cela peut évoluer ?
A un horizon un peu plus moyen terme, nous pouvons attendre un plus grand intérêt des analystes et des investisseurs. Si tel est le cas, il y aura une évolution possible.  

Comment expliquez-vous le difficile accès des investisseurs à l’information sur la question des normes IFRS ?
Les documents fournis tel que le document de référence sont de plus en plus complexes. Le reflexe des investisseurs est plutôt d’appeler pour trouver plus rapidement l’information.

Quelle a été la conséquence de la mise en application des normes IFRS sur les décisions du management ?
Nous observons des interactions entre la prise en compte de l’impact comptable et les choix stratégiques.
Le management a tendance à modifier une décision qu’il aurait pris avant la mise en place des normes IFRS, notamment des décisions relatives à la politique de croissance externe et aux engagements hors bilan. Par exemple, la prévision d’un paiement ultérieur en fonction des résultats futurs. Du point de vue des normes IFRS, ce paiement est immédiatement pris en compte dans le cash flow et peut donc modifier la perception qu’en ont les analystes.

Quelles autres conséquences ont eu les normes IFRS en termes de prise de décision ?
La gestion des ressources humaines et tout ce qui concerne la mise en place d’une politique de rémunération avec des produits dérivés.
La comptabilisation des stocks options par exemple peut modifier la prise de décision du management dans la mesure où elle a un impact sur les charges de personnel.
Dans le cadre de la stratégie de couverture de taux d’intérêt ou de devises, une décision qui pourrait avoir un sens économique peut être biaisée par le le mark to market. Tout cela se traduit par un risque de volatilité de résultat.

Quel remède a été apporté pour aider les analystes à mieux appréhender l’impact des normes IFRS sur les résultats des entreprises ?
Certains éléments très difficiles à apprécier aussi bien par les entreprises que par les analystes financiers peuvent modifier de manière très significative le compte de résultat et les résultats de l’entreprise, notamment tout ce qui concerne la juste valeur.
Dans ces conditions, il est très difficile pour l’analyste financier de faire ses prévisions et pour les entreprises d’aider les analystes à aller vers une prévision pertinente.
La tentation est grande de sortir des éléments de nature plus récurrente sur lesquelles l’analyste et l’émetteur pourront s’appuyer, ce qui est un peu contraire à ce qui était voulu à l’origine par les normes IFRS qui voulaient donner une image très économique et moins comptable des choses.

Quels ont été les bénéfices des normes IFRS ?
Aujourd’hui, il y a certainement de la frustration parce que la transposition et l’application des normes IFRS ont demandé beaucoup de travail. Il y a un besoin de perfectionnement des processus de production et d’information.
Plus de rigueur et une meilleure appréciation des risques ont été demandés, en particulier sur les produits dérivés et les engagements sociaux. 
Dans le futur, nous serons amenés à travailler davantage tous ensemble avec les comptables, les responsables de communication financière et les ressources humaines. Ce qui est certain, c’est qu’il y aura une plus grande visibilité à l’international et que cela va aller en s’améliorant.

Qu’en est-il de la convergence avec les US-Gaap ?
Les régulateurs des deux côtés de l’Atlantique travaillent sur le sujet.
C’est un projet de moyen terme.

Propos recueillis par I.H.

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