Interview de Jean-Pierre Vesperini  : Membre du Conseil d’analyse économique et Professeur à la Faculté de droit et des sciences économiques de Rouen

Jean-Pierre Vesperini

Membre du Conseil d’analyse économique et Professeur à la Faculté de droit et des sciences économiques de Rouen

CDS : je ne pense pas que les déclarations des dirigeants iront très loin dans la règlementation

Publié le 24 Mars 2010

Quel rôle a selon vous joué les CDS dans la spéculation des investisseurs et dans la fragilisation de certains Etats européens, en premier lieu desquels figure la Grèce ?
Je ne crois pas que ce soit la spéculation sur les CDS qui ait fait monter de manière artificielle et excessive les taux d’intérêt sur les emprunts grecs.
Les taux d’intérêts ont monté pour deux raisons, d’abord parce que la situation des finances publiques grecques est mauvaise et que les marchés n’ont pas confiance dans la capacité du gouvernement grec à rétablir la situation ; ensuite, parce que les marchés ont craint que les emprunts grecs ne soient plus éligibles aux opérations de refinancement de la BCE.

Craignez-vous que la spéculation ne se poursuive, voire même s’amplifie ? Quelles pourraient être les conséquences ?
Il faut distinguer dans la spéculation, celle qui porte sur la Grèce qui risque de s’étendre aux autres pays, Espagne et Portugal et celle qui porte sur l’euro.
La spéculation sur la Grèce risque de se poursuivre si les pays de la zone euro ne sont pas capables de trouver une solution qui aide efficacement la Grèce.  Si les taux d’intérêts augmentent, l’amélioration des finances publiques deviendra quasiment insoluble, puisqu’un cercle vicieux s’amorcera : la hausse des taux provoquera une hausse de la charge de la dette qui, en détériorant les finances publiques, provoquera une nouvelle augmentation des taux.

En revanche, la spéculation qui porte sur l’euro ferait baisser la valeur de l’euro, ce qui améliorerait la situation économique de la zone euro.

Selon vous les autorités disposent de quatre leviers face aux mouvements spéculatifs des marchés : le discours qui a un impact psychologique, la mobilisation de capitaux, les mesures de politique économique et, enfin, la réglementation. Quelle hiérarchisation accordez-vous à ces différents leviers ?
Le levier le plus important est constitué par les mesures de politique économique. C’est la seule arme véritablement efficace de manière durable face à la spéculation. Au-delà des mesures de rigueur budgétaire, le point essentiel est de faire redémarrer la croissance pour faire augmenter les recettes fiscales. Le drame du gouvernement grec est qu’il n’a pas en main tous les instruments nécessaires à la conduite de sa politique économique. Il n’est pas maître de son taux de change.
Les autres leviers sont surtout des manœuvres d’arrière garde, qui permettent de retarder les effets de la spéculation en attendant de prendre des mesures plus efficaces.

Qu’en est-il de la règlementation ?
Parce que je ne crois pas que la spéculation joue un rôle majeur, ce n’est pas en réglementant que l’on va résoudre le problème. Pire encore, on risque en règlementant de manière inadéquate d’aggraver la situation. Si l’on commence à interdire la vente sèche de CDS ou si l’on oblige les acheteurs de CDS à détenir déjà des emprunts, cela risque de bloquer le marché et d’augmenter le coût de la protection contre le défaut des emprunts grecs et d’augmenter les taux d’intérêt. Cela risque d’être contre productif.

Je ne pense pas que les déclarations des dirigeants politiques iront très loin dans la règlementation. D’autant qu’une règlementation cantonnée au niveau européen n’aurait pas de sens. Et un consensus avec les Etats Unis est loin d’être évident.

Une mobilisation des capitaux pourrait-elle être envisagée ? 
La mobilisation des capitaux pourrait se faire par un fonds monétaire européen, des banques publiques ou des prêts bilatéraux. Un fonds monétaire européen sera difficile à mettre en place en raison des divergences des différents pays européens sur cette question.
Il y aura vraisemblablement des prêts bilatéraux, mais dans une mesure très limitée en raison du manque de moyens des pays européens  indépendamment des problèmes juridiques que rencontrerait le gouvernement allemand.

C’est la raison pour laquelle ces prêts devraient être accompagnés de prêts accordés par le Fonds monétaire international.

Quel pourrait être la solution pour la Grèce ?
Je ne vois pas d’autre solution pour préserver le système de l’euro qu’une politique intelligente et non dogmatique de la Banque centrale européenne. Celle-ci devra continuer à baisser ses taux d’intérêt de manière à donner un signal clair de sa volonté de faire baisser l’euro.
 Si nous restons dans la configuration actuelle, la Grèce n’aura d’autres choix que de faire appel au FMI, ce qui serait une fort mauvaise porte de sortie. Il y aurait effectivement un grand risque que l’organisation internationale ne conduise la Grèce à sortir de la zone euro, ce qui aurait pour conséquence de déclencher un effet de domino, notamment sur l’Espagne et le Portugal.

Propos recueillis par Imen Hazgui

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