Interview de Etienne Gorgeon : Directeur de la gestion taux et crédit au sein de Edmond de Rothschild Investment Managers

Etienne Gorgeon

Directeur de la gestion taux et crédit au sein de Edmond de Rothschild Investment Managers

Je pense sincèrement que s'il n'y avait pas la BCE, la zone euro aurait réellement implosé

Publié le 19 Septembre 2011

De quelle manière analysez-vous le relèvement du taux directeur par la BCE en début d’année à 1,5% ?
Jean Claude Trichet a souvent été attaqué sur le fait que dans un environnement systémique chaotique, il continue à gérer sa problématique d’inflation.
Pour Mr Trichet, ce qui est primordial c’est la stabilité de la zone euro et la stabilité des prix. Actuellement l’inflation tourne autour de 2,6%. Ce que veut éviter le gouverneur de la BCE ce sont des effets de second tour qui se traduiraient par des augmentations de salaires.
Dès le début, Mr Trichet avait conscience que la problématique à laquelle il était confronté se posait à court terme. Il avait déjà préempté le fait qu’il n’irait pas trop haut trop fort et qu’il serait amené à réviser sa position à un moment ou un autre. Ce qui est en train de se passer était donc déjà anticipé, mais avec un petit retard de timing.
Au demeurant, avec un taux directeur à 1,5%, le taux long terme est à 1,9%. Que l’on mette les taux à 1 ou à 2%, cela ne change pas grand-chose en ce qui concerne la zone euro.

Vous ne pensez donc pas que J.C. Trichet ait commis une erreur ayant accéléré l’affaiblissement de la croissance dans la zone euro ?

Cette déduction est faite lorsque l’on compare l’action de la BCE à l’action de la Réserve fédérale américaine. Or il ne parait pas pertinent à l’heure qu’il est de comparer ces deux grandes banques centrales.
La Fed doit tout gérer, la problématique de croissance, la problématique d’inflation, et la problématique du taux de change, à travers sa politique monétaire.
La BCE qui doit a sous son aile une zone plus complexe a différents outils pour agir en fonction des objectifs spécifiques qui cherchent à être atteints.
L’inflation dans les pays cores est pilotée par les taux. Le financement des banques par des prêts. Le risque de liquidité des pays périphérique par un rachat des titres d’Etat.
A l’extrême la BCE pourrait très bien remonter ses taux à 2,5% et continuer à acheter des emprunts d’Etat italien et d’Etat espagnol pour leur permettre de continuer à se refinancer à des taux acceptables.

Vous attendez-vous à une baisse des taux au cours des prochains mois ?
Je ne pense pas que ce soit le sujet pour J.C. Trichet. Ce n’est pas en passant de 1,5% à 1% ou à 0,5% que cela changera la situation.
Si la BCE devait baisser ses taux, elle le ferait début 2012. Elle le ferait parce que les anticipations d’inflation seraient fortement tombées.

Comment appréciez-vous la politique non conventionnelle menée par la BCE auprès des Etats et des banques ?
Dans un monde où les repères sont un très flous, avoir une certaine forme d’orthodoxie par une institution qui décide de prendre en charge le problème de la liquidité des banques, le problème de la liquidité des Etats viables, et le problème d’inflation, est très rassurant.
On reproche aujourd’hui à l’Europe un manque de leadership politique. Heureusement que la BCE apporte un minimum de leadership. Je pense sincèrement que s’il n’y avait pas la BCE, la zone euro aurait réellement implosé.

La BCE utilise sa politique de rachat pour amener les pays fragilisés à procéder aux réformes nécessaires ?
Si la BCE s’est mise à racheter massivement des titres d’emprunt italiens c'est  en échange de l’engagement pris par Berlusconi d’assainir ses comptes par des mesures de rigueur budgétaire. Un plan d’une quarantaine de milliards d’économies a alors été voté. Deux jours plus tard, Berlusconi contredit son ministre des finances lui signalant que le plan va beaucoup trop loin. De ce fait la BCE stoppe son programme de rachat. Le taux de refinancement de l’Italie grimpe de nouveau. Il s’en suit un plan beaucoup plus ambitieux et une accélération des rachats de la BCE.

La politique de rachat de la BCE est une manière saine de mettre sous tutelle un Etat. C’est un moyen de pression qu’a l’institution européenne pour mettre les Etats devant leurs responsabilités.

La BCE pourrait tout à fait réduire davantage les taux de refinancement de l’Italie et de l’Espagne en procédant à des rachats plus conséquents. Elle ne le fait pas pour être sure d’obtenir des gages de la part des politiques d’aller dans la bonne direction et parce qu’elle ne veut pas brûler ses cartouches trop vite trop fort.

Jusqu’où peut selon vous aller la BCE ?
La BCE a des moyens colossaux, sous utilisés en comparaison de la Banque d’Angleterre, de la Fed et de la Banque du Japon. Elle pourrait doubler, tripler, quadrupler son bilan. Elle pourrait poursuivre ainsi son action multiple pendant encore trois ou quatre ans. Cependant, d’ici là, la réputation et la structure de la zone euro seront vraisemblablement catastrophiques. On s’épuisera à regarder la BCE se débattre dans son coin comme elle peut.

Si la BCE poursuit sa politique de rachat massif mais que parallèlement le secteur bancaire s’effondre sur craintes des investisseurs d’un effet de contagion, cela ne servira à rien. Elle devra maintenir ces taux à un niveau acceptable ad vitam eternam. C’est pourquoi elle demande à être accompagnée par les politiques dans son action pour réduire les taux de la périphérie.

Pour rendre plus efficace la politique de la BCE, certains préconisent une plus grande visibilité sur les intentions de rachat de l’institution ?
Je ne pense pas que la BCE doive annoncer des chiffres car les marchés arbitrent tout en ce moment. Devant une crise de pays en santé raisonnable que sont l’Espagne et l’Italie, attaqués de manière injustifié uniquement en raison d’un risque de contagion, il faut que la BCE demeure réellement pour les marchés une arme de dissuasion. En cela elle doit pouvoir mettre tout son bilan pour maintenir la stabilité de la zone euro.

Il faudrait donc lui donner un mandat officiel pour faire du quantitative easing unlimited ?
La BCE a ce mandat de facto qu’elle s’est attribué de par son indépendance. Je ne pense que le souci soit dans le faire de ne pas le dire, mais plutôt dans le fait de ne pas l’assumer. Lorsque la BCE rachète des titres, elle signale clairement que cela ne lui plait pas de le faire. Il faudrait qu’elle change de rhétorique en disant qu’elle peut le faire, qu’elle va le faire, et qu’elle n’a aucun complexe avec ça.

Un autre moyen de rendre plus efficace cette politique menée par la BCE serait de laisser tomber la Grèce ?
La logique devrait être pour l’Europe de laisser tomber la Grèce tout en la maintenant dans la zone euro. L’idée étant que quand les gros ont faim, les petits meurent.
Malheureusement l’Italie et l’Espagne sont bien plus importantes que la Grèce. Dans un environnement où la contagion se répand jusqu’aux gros pays sur lesquels il n’y a pas de justification pour qu’ils s’effondrent, alors un défaut ordonné de la Grèce s’impose. Tout l’argent prévu pour aider la Grèce, qui ne cesse de s’enfoncer dans la récession et qui rencontre de véritables problèmes administratifs ; les 109 milliards auxquels on ajoute la capacité du fonds de stabilisation ;  devraient être mobilisés pour renforcer le secteur bancaire et recapitaliser la Banque centrale européenne pour l’aider à continuer à jouer son rôle d’arme de dissuasion en achetant dans le marché des emprunts d’Etat italiens et espagnols pour définitivement caler le marché.
C’est une question d’allocation et de volonté politique.

Sur le plan de l’aide apportée aux banques, comment avez-vous accueilli l’action concertée des grandes banques centrales pour permettre un refinancement en dollar ?
Cela a été une bonne surprise. Ce qui se passait arrangeait plutôt bien les banques américaines. Les banques françaises étaient contraintes de se financer plus cher en donnant des commissions aux banques américaines et de perdre des parts de marché sur les commodités libellés en dollar.

Ne doit-on pas s’attendre à des effets pervers découlant de cette politique multiforme de la BCE ?

En soit, je ne vois rien de pervers pour l’instant. Je ne crois pas que la BCE soit en train de créer un démon qui va nous tomber dessus dans le futur.
Certes, la BCE en rachetant des titres espagnols ou italiens fait de la création monétaire. Cependant, de la création monétaire à des taux à 5% dans un environnement à faible croissance n’est pas de la création monétaire. Le rachat se fait à un taux restrictif donc déflationniste pour l’économie en question.
J.C. Trichet ne procéderait sans doute pas à de telles opérations de rachat si elles étaient accélératrices d’inflation.

Propos recueillis par Imen Hazgui