Interview de Nicolas Royot : Analyste chez Portzamparc

Nicolas Royot

Analyste chez Portzamparc

Sur 2011, la croissance du marché des logiciels était estimée à 4%, or cela risque d'être revue à la baisse autour de 3%

Publié le 20 Octobre 2011

Quel est l'état actuel du secteur des éditeurs de logiciels en France ?
L'année en cours confirme le rebond engagé mi-2010 avec une croissance médiane attendue autour de 8% sur l’univers que nous suivons (mid & small caps). Plusieurs facteurs explicatifs : l'effet de base favorable, dans la mesure où les deux dernières années ont été particulièrement difficiles; le cycle de décisions est encore très long chez les clients, entre le début des négociations sur une affaire et sa conclusion, mais la croissance est là. Ce qui ressort de la fin 2010 et du début 2011, c'est le fort développement du SaaS [Logiciel à la demande ou Software as a Service]. Cependant certains éditeurs considère que ces solutions sont davantage adaptées aux PME, es grands comptes préférant toujours acheter une licence perpétuelle, plutôt qu'une solution hébergée à l'extérieure, essentiellement pour des raisons de sécurité et de confidentialité.

Cela étant, d'autres éditeurs parviennent à vendre à des clients importants et à réaliser des opérations significatives en mode SAAS. L'avantage de ce modèle est qu'il permet aux clients de ne pas avoir à réaliser un investissement conséquent en une fois et autorise également une plus grande flexibilité de par la possibilité de payer en fonction du volume d’utilisation. Pour l'éditeur, cela améliore la récurrence de son chiffre d'affaires dans un secteur où le niveau de ventes est traditionnellement volatil, avec une part importante du CA réalisé en fin d'année, les clients utilisant au T4 la fin de leur budget.

Cette récurrence est un point fort dans la mesure où les éditeurs de logiciels présentent une structure de coûts essentiellement fixes (coûts salariaux, marketing) et que le niveau des ventes impacte directement sur leur rentabilité. Cela explique la volonté de développement du Saas, certains éditeurs visant 50 à 70% de leurs ventes sous cette forme.

Quid de la croissance de ce marché en 2011 ?

Sur 2011, la croissance du marché des logiciels en France était estimée à 4%, or cela risque d'être revue à la baisse autour de 3%, après 2% en 2010, en raison de la conjoncture économique mondiale de ces dernières semaines qui incite à encore plus de prudence de la part des clients, ce qui pourrait se traduire par un T4 un peu plus faible qu'escompté. Or comme indiqué plus haut, dans la mesure où il s'agit d'un trimestre très important dans ce secteur, cela risque d'avoir une incidence sur l'ensemble de l'année.

A noter par ailleurs que l’un des secteurs encore porteur semble être celui des banques et des assurances, hors banque de financement bien entendu.

Plusieurs entreprises françaises, à l'instar d'Efront et Emailvision, sont passées sous pavillon américain, comment analysez-vous ce phénomène ?

C'est assez logique, étant donné qu'en France, le secteur est très atomisé, ce qui favorise le mouvement de concentration. En dehors de Dassault Systèmes en effet, les éditeurs français de logiciels sont de faible taille et pour ceux qui sont cotés en bourse, le niveau de valorisation reste très faible ce qui a tendance à attirer les prédateurs.

Cela révèle aussi que les sociétés françaises sont plutôt performantes...
Si on regarde les éditeurs que nous suivons, ils sont très majoritairement rentables et proposent des solutions technologiques très appréciées des clients. Reste qu'il leur manque souvent la taille critique, ce que peut justement leur apporter un acteur plus important.

C'est le cas par exemple, du groupe Staff & Line qui selon nous manque de taille critique mais tente de se développement aux Etats-Unis. L’adossement à un acteur plus important pourrait être un solution, mais avec le risque d’être noyé au sein d’un éditeur très diversifiés et de réduire sa visibilité sur le marché, qui est l’inverse du but recherché.

A l'opposé, il y a des sociétés qui essayent de faire de la croissance externe, à l'image de Linedata Services qui en ont fait près d'une dizaine en 10 ans, avant que la crise financière n'y mette un coup d'arrêt. Ils ont, depuis, ramené leur dette à zéro et reprennent une stratégie de croissance externe justement pour grossir et étoffer leur offre, à l’image de l’acquisition récente de la société français Fimasys.

Quels sont vos conseils pour investir dans ce secteur ?
je pense que dans le contexte actuel, il est important de choisir un acteur capable de résister à une nouvelle dégradation possible de la conjoncture économique, présentant donc une forte récurrence de son CA. C'est d'ailleurs ce qui explique que l'on se dirige de plus en plus vers des modèles de licences récurrentes au détriment des licences perpétuelles. Certains acteurs du secteur ont entamé cette transformation il y a 3-4 ans, alors que d'autres le font seulement maintenant, ce qui créé déjà un écart.

Conséquence, si vous vendez un logiciel valant par exemple 5 millions d'euros, et que vous développez des ventes sur plusieurs années, disons 3 ans, il vous faudra tout ce temps pour faire le même CA que si vous l'aviez vendu en une fois. Autrement dit, vous allez avoir au départ une perte de CA, et comme vous avez un modèle à coût fixe, vous allez soit essuyer des pertes, soit gagner moins d'argent qu'auparavant. Etant donné le contexte incertain que nous connaissons, il apparait de ce fait plus judicieux de se concentrer sur des acteurs qui sont déjà en avance sur cette évolution et qui ont donc déjà une rentabilité bien établie.

Le second critère est la diversification géographique : un positionnement aux Etats-Unis et sur les pays émergents est un atour alors que la visibilité est réduire en Europe et notamment en Angleterre. Je privilégierai donc les acteurs diversifiés qui ont une bonne capacité de résistance en cas de détérioration de l'environnement économique. Il est par ailleurs important de diversifier son portefeuille et de comprendre le type de logiciel que fait la société, même sans entrer dans les détails techniques...

Le troisième critère est la solidité du bilan de la société. Les éditeurs français présentent aujourd’hui des bilans globalement sains, avec un excès de trésorerie qui peut représenter 1/3 de sa valorisation.

A noter qu'une autre des conséquences de la petite taille des entreprises françaises, est le faible flottant et donc la liquidité réduite du titre, qui est par conséquent délaissé par les investisseurs institutionnels. La valorisation de la société reste donc généralement faible.

Quelles sont vos convictions actuellement ?
Nous suivons de près Esker, petite société qui fait de l'édition de logiciels essentiellement liés à la dématérialisation de documents. Le but étant pour la société qui achète ce logiciel, de réduire le temps passé sur tout ce qui concerne les factures de fournisseurs, les courriers etc. Soit au final de gagner en productivité et de contenir sa masse salariale : ces solutions restent appréciées même dans les périodes économiques difficiles au regard de leurs rapides retour sur investissement.

Le groupe a fait de la croissance ces 7 dernières années, il est allé très tôt vers le modèle Saas, ce qui lui permet d'avoir une récurrence sur les 2/3 de son CA [le groupe réalise 40% de son CA aux USA, et se développe en Asie]. Esker présente en outre une rentabilité qui s'améliore à chaque semestre. Le groupe vise au final une croissance des ventes à 2 chiffres et une amélioration de sa rentabilité : nous attendons une marge de 8%, contre 5% en 2010 et 3% en 2009. Par ailleurs sa croissance reste forte (+17% sur le T3) et il dispose d’une trésorerie nette de près de 10M€.

Quant à Acteos, il s'agit d'une petite société qui réalise un peu plus de 10 millions d'euros de CA. L'entreprise a rencontré pas mal de problèmes par le passé, mais elle est maintenant de nouveau rentable. Elle enregistre une forte demande pour ses solutions technologiques [gestion de la supply chain ou chaîne logistique], mais manque de taille critique. Pour y remédier, Acteos a pour objectif de réaliser des acquisitions, or pour cela, il faudrait que le groupe fasse une augmentation de capitale, ce que la direction se refuse à faire sur les cours actuels. Le groupe adresse depuis peu le marché américain, ce qui lui permet de trouver un levier de croissance organique à défaut de croissance externe. Par ailleurs cette société présente des rations de valorisation très attractifs…

Nicolas Sandanassamy