Interview de Julien Gourdon : Economiste au CEPII

Julien Gourdon

Economiste au CEPII

Zone de libre-échange : il y a des lignes jaunes que la Commission européenne n'est pas prête à franchir

Publié le 11 Mars 2013

L’idée d’une zone de libre-échange entre l’Europe et les Etats-Unis n’est pas nouvelle. Pourquoi ressurgit-elle aujourd’hui ?
Depuis cinq ans, les négociations multilatérales à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) sont au point mort. Chacun de son côté, les grands pays industrialisés ont relancé les négociations bilatérales pour permettre à leurs entreprises d’accéder à de nouveaux marchés. Les Etats-Unis ont noué des accords commerciaux avec les pays d’Asie-Pacifique. L’UE a fait de même avec les pays de la Méditerranée, certains pays africains, la Corée du Sud, le Canada et peut être bientôt le Japon.
Malgré ces accords l’Union européenne et les Etats-Unis restent, l’un pour l’autre, le principal partenaire commercial. Il est logique qu’ils pensent à consolider cette relation dans le contexte actuel de compétition globale et d’émergence rapide de nouveaux acteurs. L’enjeu n’est pas seulement de développer leurs échanges, mais aussi de maintenir un leadership. Si les deux blocs parviennent à s’accorder sur les même standards, notamment environnementaux et sociaux, il y a de grandes chances qu’ils puissent les imposer au reste du monde (ndlr : les USA et l’UE représentent encore la moitié du PIB mondial). C’est pourquoi je pense que les négociations ont de bonnes chances d’aboutir.

Le CEPII a été chargé par Bercy de calculer les gains potentiels d’un tel accord. Quelles sont vos conclusions ?

De nombreux pays membres de l’UE ont fait des études sur le sujet. Toutes concluent qu’une zone de libre-échange apporterait un surcroît de richesse. D’après nos calculs, les deux blocs y gagneraient en termes d'export (entre 2 et 8% d'augmentation par rapport à un scénario sans accord) et de PIB (entre 0,5 et 1,5% selon les scénarios). L’ampleur des gains dépend du champ des négociations. Une simple libéralisation tarifaire n’entrainerait que de très faibles gains : les droits de douane entre les deux pays sont déjà assez faibles et ne constituent pas le principal obstacle aux importations. Il convient de négocier sur les barrières aux échanges « après la frontière », comme les normes de fabrication, car c’est la principale friction aujourd’hui dans le commerce transatlantique. Elles équivaudraient, selon certaines études, à des barrières tarifaires de l’ordre de 30- 35% dans l’agriculture et de 20% dans certains secteurs de l’industrie.

N’y-a-t-il pas justement un besoin de protection, notamment dans le domaine de l’agriculture ?

L’agriculture est aujourd’hui le secteur le moins ouvert, ce qui peut se comprendre. Il y a des préférences collectives et un principe de précaution qui s’applique notamment en Europe. Je pense que dans ce domaine, il y a des lignes jaunes que la Commission européenne n’est pas prête à franchir, comme par exemple le bœuf aux hormones ou les cultures OGM. La France est en première ligne dans ce dossier et veillera à préserver ses intérêts, même si elle bénéficierait d’une baisse des droits de douane sur ses propres produits.

Quels secteurs bénéficieraient en priorité de la zone de libre-échange ?
De nombreux obstacles « non tarifaires » subsistent dans l’industrie chimique et pharmaceutique, dans l’équipement électronique, ou encore dans l’automobile. L’harmonisation des normes et standards dans ces secteurs engendrait des gains substantiels. De même dans les services, les négociations pourraient se concentrer sur les services aux entreprises, l’assurance, la communication, la finance, ou encore le transport aérien et maritime. Les services publics, eux, ne seront pas concernés.

L’Union européenne a déjà ouvert 90% de ses marchés publics, contre 32 % seulement pour les Etats-Unis, selon le commissaire au Marché intérieur Michel Barnier. Est-ce un point crucial des négociations qui vont s’ouvrir ?
C’est l’une des principales revendications de l’Union européenne. Il est vrai que les Etats-Unis ont adopté ces dernières années des législations assez protectionnistes comme le « Buy American Act » ou le « Recovery Act » qui favorisent les entreprises nationales lors des commandes publiques. L’idée n’est pas de faire la même chose en Europe, mais plutôt d’encourager nos partenaires à suivre notre exemple.

Propos recueillis par François Schott