Interview de David  Benmussa  : Directeur France d'iShares, filiale de BlackRock

David Benmussa

Directeur France d'iShares, filiale de BlackRock

Les grandes tendances en matière d'investissement dans les ETF en ce début d'année 2013

Publié le 30 Avril 2013

Nous avons connu au mois de mars une dichotomie dans la tendance de la collecte au niveau des ETP, avec d’un côté la poursuite d’une dynamique haussière dans le monde, et notamment aux Etats-Unis et l’amorce d’un net ralentissement en Europe...
Alors que d’un côté la collecte nette s’est élevée à 17,8 milliards de dollars aux Etats-Unis, une décollecte nette a été observée en Europe à hauteur de 300 millions de dollars. Cela n’était pas arrivé depuis avril 2012.
Cette dichotomie se retrouve avec une moindre ampleur sur l’ensemble du premier trimestre.
70 milliards de dollars ont été amassés au total entre janvier et mars avec 55,6 milliards de dollars aux Etats-Unis et 7,5 milliards de dollars en Europe.

Comment expliquez-vous les 300 millions de dollars de décollecte nette en mars en Europe ?
Par la détérioration de la conjoncture et l’accentuation de la crise de la dette avec l’épisode chypriote. Les ETF actions en Europe ont décollecté à hauteur de 72 millions de dollars avec 1,8 milliard de sorties sur les actions européennes compensées par une collecte sur les actions US, Asie-Pacifique et les indices globaux. Les ETF obligataires ont collecté 800 millions de dollars.
Les ETP spécialisés dans les matières premières ont décollecté à hauteur de plus d’1 milliard de dollars. Les ETP sur l’or ont décollecté à hauteur de 411 millions de dollars. Les ETP exposés aux produits agricoles ont perdu 230 millions de dollars, les ETP positionnés sur les métaux industriels et sur l’énergie 220 millions de dollars.

Comment expliquez-vous le phénomène ?

Chaque région a un biais domestique : les actions européennes représentent une partie importante des flux en Europe, ainsi que les actions américaines aux Etats Unis. Avec des flux positifs sur les actions américaines et des sorties sur les actions européennes, on obtient logiquement des images très contrastées sur les deux continents au mois de mars.
Il y a aussi un effet de base : les ETP indexés sur l’or ont subi 2 milliards de dollars de décollecte aux Etats Unis en mars, mais le marché étant beaucoup plus grand, l’effet en est d’autant dilué.

A quelle suite des évènements vous attendez-vous cette année ?
Il n’y a pas d’estimation pour l’ensemble du marché des ETP. A priori le potentiel de progression des encours le plus significatif se situe au niveau des ETF obligataires. Ils représentent actuellement 347 milliards de dollars d’encours, soit 16,7% des encours d’ETP mondiaux, contre 72,7% pour les actions.
L’offre sur la classe obligataire se développe rapidement de manière à répondre à une demande de plus en plus soutenue.

Vous ne vous attendez pas en Europe à la poursuite de la correction que l’on a constatée en mars ?
Il est difficile d’avoir une vision des flux à court terme. Ceux-ci sont étroitement liés aux évolutions à la situation économique sur chaque classe d’actifs. Une exacerbation de la crise de la dette pourrait donner lieu à une poursuite des sorties sur les actions européennes et un rebalancement des portefeuilles obligataires, mais il est compliqué d’anticiper précisément de quelle manière la crise va se poursuivre. Néanmoins, à plus long terme, dans 5 ans, nous prédisons un doublement de taille du marché des ETP européens, à 900 millions de dollars.

Vous ne pouvez donc pas vous exprimer sur le fait de savoir si l’année 2013 serait a priori meilleure ou pire que 2012 ?
Il est impossible de le dire. Ce qui est certain c’est que le premier trimestre 2013 a été, au niveau mondial, le plus gros premier trimestre de tous les temps, malgré le mauvais mois de mars au niveau européen. En 2012 par exemple (précédent record historique), la collecte affichée était de 66 milliards de dollars. Le schéma constaté en Europe en ce début d’année est similaire à celui de l’an passé, avec un mois de janvier robuste et un mois de mars morose.

Mis à part l’obligataire, y a-t-il d’autres tendances qui émergent en termes d’allocation ?
On constate aussi de nouvelles tendances fortes aux Etats-Unis avec l’émergence de nouvelles formes d’ETF. Les ETF actions à minimum volatilité ont attiré plus de 4 milliards de dollars au premier trimestre (soit 37% des encours mondiaux d’ETF minimum volatilité en 3 mois). Ceux-ci répondent justement à un besoin des allocataires d’exposition défensive aux marchés actions dans le contexte économique tendu que nous traversons.

Quel a été le positionnement d’iShares ce premier trimestre ?
iShares a attiré 6,2 milliards de dollars de collecte nette sur ses ETP de droit européen au premier trimestre, sur 7,5 milliards tous fournisseurs confondus, soit 83% des flux nets.

Quel regard portez-vous sur le cadre réglementaire dans lequel sont commercialisés les ETF ? Il a été question à un moment donné de durcir la régulation ?
En février, l’Esma a publié un rapport pour émettre 80 lignes directrices qui ont été transposées par les juridictions nationales, notamment l’AMF. Tous les fournisseurs d’ETP ont jusqu’à juillet 2014 pour se mettre en conformité.
Tous les points nous semblent fondés. iShares était d’ailleurs déjà en adéquation avec la quasi-totalité des exigences : la transparence de la composition du portefeuille, du prêt de titres, du collatéral, des frais…

Quels ont été les principaux éléments de ce rapport ?
Il n’y a pas eu d’élément sur la méthode de réplication physique ou synthétique. Les deux méthodes de réplication demeurent.
Cependant plus de transparence est requise. Il a été demandé que l’acronyme UCITS soit indiqué à côté de la mention ETF pour les fonds. La mention ETC sera par ailleurs spécifiée par les produits investis sur les matières premières.

Avez-vous un commentaire à faire sur la structuration du marché des ETP ? Il est reproché par certains la concentration de ce marché qui de ce fait rend difficile l’accès à de nouveaux acteurs ?
De toute évidence, nous sommes sur un marché de taille. Si l’on dénombre 40 acteurs au niveau européen, iShares a 39,2% de part de marché, Dbx trackers 13,7%, Lyxor 10,6%, ETF Securities 10,2%, Crédit Suisse 4,6%, sachant qu’iShares a décidé d’acquérir la partie ETF de Crédit Suisse.

Il faut cependant noter que la gestion indicielle répond à une dynamique très différente de la gestion active, et plus un fonds indiciel est important plus il est possible d’en optimiser la gestion.
Les ETF représentent eux même encore une partie très faible des marchés sous-jacents (2,3% du marché actions, moins de 1% du marché obligataire), il n’y a donc pas de risque sur la liquidité ni sur la performance des fonds.
Par ailleurs iShares est un gérant purement fiduciaire (i.e. pour le compte de clients, sans activité d’investissement pour compte propre), il n’y a ainsi pas non plus de risque de conflit d’intérêt dans la gestion de nos ETF.

Certains critiquent le fait que des ETP sont investis de manière démesurée si bien que des mouvements de rachat ou de souscription peuvent conduire à faire énormément varier les classes d’actifs ? Cela a été évoqué avec le cas de l’or en avançant le fonds iShares investi dans l’or qui fait environ 9 milliards de dollars, et le fonds de State Street qui fait 63 milliards de dollars…
Des flux acheteurs ou vendeurs sur une classe d’actifs ont toujours un impact sur la performance des sous-jacents. Les ETP ne sont qu’un outil d’accès à ces classes d’actifs et ne peuvent pas être tenus responsables des mouvements d’allocation des investisseurs. Par ailleurs, les ETP ne représentent qu’une partie infime mais visible des flux de marché, y compris sur l’or où les montants traités sur les futures sont bien plus importants, quoique réservés à certains investisseurs professionnels.

Les fonds indiciels font de plus en plus de l’ombre aux fonds activement gérés ? Entre les deux, y a-t-il un choix à faire ?
iShares est la filiale spécialisée dans les ETF de BlackRock, première société de gestion dans le monde avec 3900 milliards de dollars d’encours répartis dans des fonds activement gérés, des fonds indiciels, des hedge funds, des fonds de private equity… . Nous n’opposons absolument pas la vision active et la vision passive de la gestion des fonds. Nous raisonnons davantage en termes de complémentarité.

180 acteurs ont fait leur apparition au niveau mondial. Le lancement de nouveaux acteurs se fait sur des segments spécifiques, des méthodes particulières…qui peuvent s’avérer dangereux pour les investisseurs et entrainer des dérapages pour l’industrie.

Je n’ai pas réellement de commentaire là-dessus. Il est clair qu’un investissement sur des actifs illiquides ne deviendra pas subitement liquide parce qu’il passera par un ETF. Il est donc crucial de considérer la profondeur, la structure du marché, les risques sous-jacents.

Justement ne pensez-vous pas qu’il y a un réel problème de pédagogie chez les investisseurs qui ont tendance à faire l’amalgame entre la notion d’ETF et le caractère liquide des actifs investis ?
Nous nous efforçons, de notre côté, de faire beaucoup d’éducation auprès de nos clients sur ces problématiques de Due Diligence.

Propos recueillis par Imen Hazgui