Interview de Philippe  Waechter : Responsable des études économiques chez Natixis Asset Management

Philippe Waechter

Responsable des études économiques chez Natixis Asset Management

Nous pourrions nous diriger vers une parité euro-dollar à 1,20

Publié le 17 Mai 2013

Quel regard portez-vous sur la tendance du dollar actuellement ?
Je pense que le dollar devrait s’inscrire dans une tendance haussière. La situation macroéconomique aux Etats-Unis semble s’être affermie et la probabilité d’un relâchement supplémentaire de la politique monétaire est limitée. Les Etats-Unis sont aujourd’hui une source de stabilité pour l’économie globale.

En revanche, l’euro pourrait s’affaiblir face au billet vert dans les mois à venir. La croissance de l’union monétaire va rester faible. Mais, fait nouveau, la politique monétaire de la Banque centrale européenne devrait contribuer à déprécier davantage la devise européenne. Mario Draghi a indiqué que la BCE voulait maintenir une politique expansive encore longtemps, au moins jusqu’en juillet 2014 avec les opérations de LTRO. A l’écoute de ses propos on ne peut exclure des mesures d’assouplissement additionnel.

Cela constitue un changement de cap significatif pour l’euro. Jusqu’ici la logique était d’affirmer que la Réserve fédérale américaine menait une politique plus arrangeante que la BCE. Celle-ci avait un comportement qui pouvait se traduire, dans les esprits des opérateurs de marché, par un changement intempestif de la politique menée, et plus concrètement par un relèvement du taux d’intérêt plus rapide que prévu. Cela avait été observé au printemps 2011. Ce type de risque semble désormais écarté. Cela permet de consolider les anticipations des investisseurs sur des taux d’intérêt bas pour très longtemps.

Vous vous attendez donc à un euro moins cher ?
Oui, cela donnerait plus de confort à l’économie de la zone euro. Tous les pays membres ont intérêt à cela, y compris l’Allemagne dont les exportateurs commencent à être rudement concurrencés par les sociétés exportatrices japonaises aidés par une dépréciation du yen de 30% depuis novembre 2012. Pratiquement les mêmes produits sont vendus aux mêmes endroits.

A quel niveau pourrait reculer la parité euro dollar ?
Je ne sais pas exactement. Si l’on se fie à la moyenne historique de long terme, elle est à 1,20. Nous pourrions en tendance nous diriger vers ce niveau.

De quelle manière pourrait se traduire cet assouplissement supplémentaire de la politique de la BCE ?
Par une autre baisse du taux directeur de 0,25% en raison de la fragilité conjoncturelle de la zone Euro. Mais d’une manière générale l’objectif majeur de la BCE actuellement est en sorte que la transmission de la politique monétaire se fasse le mieux possible. Cela peut passer par un taux de facilité de dépôts négatif ou par des mesures prises conjointement avec d’autres institutions comme la BEI.

Il y a deux mois, lorsque la question de la mise en place d’un taux de dépôt négatif avait été posée lors d’une conférence de presse, Mario Draghi avait eu une réponse un peu brusque. Le 2 mai, dernier, le président de la BCE a paru plus calme lorsque le sujet a été de nouveau évoqué. Ce changement de comportement laisse imaginer une réflexion approfondie sur la mesure au sein de la BCE. L’hypothèse n’est plus exclue catégoriquement. La probabilité n’est plus nulle.

Cette voie est même mieux envisagée que celle du rachat de titres adossés à des actifs sur le marché, les fameux ABS (asset backed securities). Cette dernière possibilité a aussi été abordée par Mario Draghi, mais de manière beaucoup plus prudente en raison du mauvais fonctionnement du marché des ABS.

La fixation du taux de rémunération des dépôts négatif vous semble techniquement réalisable ?

La gestion de ce taux sera forcément compliquée. La Suède l’avait pratiquée en 2009 et l’effet incitatif avait été important mais la Banque centrale du Suède si elle avait effectué des apports de liquidité importants n’était pas face à une hétérogénéité de situation comme peut l’être la BCE avec la zone Euro. En conséquence, la comparaison n’est pas directe mais la mesure suédoise sur une période limitée avait eu de l’efficacité.

Qu’en est-il du yen ?
Le Japon connait actuellement un phénomène assez spectaculaire. La rupture menée par le premier ministre Shinzo Abe depuis la fin de l’année 2012 est impressionnante. A la politique monétaire franchement accommodante que la Banque du Japon met en œuvre s’ajoutera à la mi-juin des mesures de soutien à l’activité. Tout ceci est très récent et les investisseurs se sont laissés séduire par le tourbillon entrainant l’économie japonaise. Cela s’observe à la fois sur la monnaie nippone mais aussi sur les indices boursiers qui sont fortement orientés à la hausse depuis quelques mois.

Il faudra mesurer les effets des mesures prises sur la durée et observer si effectivement les orientations suivies sont fructueuses et permettent la convergence de l’économie vers les objectifs fixés.
Tant que la dynamique actuelle ne sera pas remise en cause soit par des facteurs  extérieurs soit par des changements dans les stratégies menées par les autorités, il me semble que le yen a une marge de repli supplémentaire.
A ce stade, les opérateurs continuent à donner du crédit aux déclarations du premier ministre malgré les questions qu’ils se posent. Le yen pourrait donc encore descendre tant que des éléments négatifs ne viennent pas creuser les doutes, ou remettre en cause les objectifs fixés par les autorités japonaises.

Pour certains experts la baisse du yen devrait très bientôt arrêtée par les anticipations d’inflation sur le marché. Ces anticipations situent cette inflation à 1,6% alors que l’objectif de la BoJ est de 2% ?
Le nouveau gouverneur du Japon, Kuroda, ne se satisfera pas de ces anticipations, d’autant plus qu’elles peuvent fluctuer dans le temps. Il veut s’assurer que dans la réalité, cette inflation s’élèvera bel et bien à 1.9% d’ici 2015. Si la BoJ change l’orientation de sa politique sur la simple base d’anticipations, elle perdra en crédibilité, ainsi que le gouvernement en place, et les efforts fournis seront vains. Cette perte de crédibilité pourrait alors couter chère.

Avez-vous une opinion au sujet de la livre sterling ?
Le marché a beaucoup rêvé sur la livre en se disant que le Royaume-Uni ne faisant pas partie de la zone euro, la Banque centrale d’Angleterre aurait une plus grande marge de manœuvre pour agir sur la livre pour soutenir l’économie du pays. Il y a bien eu une dépréciation de la devise britannique en 2008. Elle a cependant été limitée et depuis cette date la parité euro livre est quasiment stable, entre 0,80 et 0,90. Nous n’avons pas observé de mouvements brutaux ni directionnels.

Ne pensez vous pas que l’arrivée du nouveau gouverneur Mark Carney pourrait faire bouger les choses ?
M Carney a fait mention de sa volonté d’assigner à la politique monétaire un objectif complémentaire à celui de l’inflation. L’idée de prendre en compte le niveau du PIB en nominal a été suggérée (PIB en valeur combinant ainsi la croissance mesurée à partir du PIB en volume et l’évolution des prix). Je crois que cette idée est intéressante mais compliquée à mettre en œuvre dans la pratique. Le niveau de PIB est officiellement communiqué tous les trimestres et avec retard. C’est ainsi un indicateur différé par rapport à la gestion de la conjoncture. Il est difficile de concevoir un mode de régulation de la politique monétaire avec une telle information. La réactivité de la politique monétaire s’en trouverait affectée. La BoE pourrait s’appuyer sur la statistique sur le PIB délivrée tous les mois par l'institut national de recherche économique et sociale (NIESR), mais cela poserait d’autres questions.

Ce faisant, la direction que pourrait prendre la livre me semble incertaine. Il semble difficile d’imaginer une sortie du corridor évoqué de 0.8 – 0.9 contre euro.
Les prévisions pourront être affinées lorsque Mr Carney sera en poste et que les orientations auront été données. Il faudra attendre le mois de juillet.

Quelles vous semblent les autres pistes à exploiter sur le marché des devises ?
Il sera intéressant de suivre le won coréen qui n’a pas encore grandement évolué face au dollar. La Banque centrale de Corée a abaissé la semaine dernière son taux directeur mais cela n’a eu de répercussion notable sur le marché.
A l’instar de l’Allemagne, la Corée souffre de la concurrence des exportateurs japonais aidés par la faiblesse du yen. Il n’est pas impossible que la Banque centrale de Corée, qui a jusqu’ici résisté aux sollicitations du gouvernement, agisse de nouveau pour peser à la baisse sur le won. Cette intervention ne devrait néanmoins pas se faire de manière fracassante comme la Banque centrale du Japon. L’attitude devrait être plus discrète, plus modérée, et l’impact devrait ainsi être plus contenu sur le marché.

Cette semaine, les pays du G7 ont été de nouveau sans critique sur la dépréciation du yen. Ce silence devrait-il persister ?
Je pense que oui. Le G7 ne peut pas et ne veut pas prendre position sur une monnaie autre éventuellement que le dollar. Le billet vert reste l’élément pivot des échanges. Mais pour les autres monnaies, y compris le yen, le G7 ne veut pas donner d’orientation pour ne pas prendre le risque de provoquer des déséquilibres.

Propos recueillis par Imen Hazgui