Interview de Cyril Bouyeure : Coordonnateur ministériel à l'intelligence économique auprès des Ministères de l'Economie et du Budget

Cyril Bouyeure

Coordonnateur ministériel à l'intelligence économique auprès des Ministères de l'Economie et du Budget

Je ne crois pas que les dfficultés rencontrées dans le travail en réseau soit spécifiquement liées à la culture française

Publié le 01 Octobre 2007

Afin de mener à bien la politique publique d’intelligence économique de l’Etat, a été créée à Bercy en août 2006, la fonction de coordonnateur ministériel à l'intelligence économique.
Cette fonction est actuellement occupée auprès du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Emploi et du ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, par Cyril Bouyeure, haut fonctionnaire spécialisé dans les questions internationales et contributeur du rapport intitulé A armes égales, remis au premier ministre à l’été 2006 par Mr Bernard Carayon.
Cyril Bouyeure a accepté de nous livrer quelques précisions sur les objectifs et le déroulement des ses missions.

Pourriez-vous nous préciser quels sont les objectifs qui ont été assignés à votre fonction ?
Les objectifs varient selon les acteurs auxquels nous nous adressons : les PME, les grands groupes et les centres d’excellence technologique.
En ce qui concerne les PME, nous menons essentiellement des actions de sensibilisation et de formation sur les questions d’acquisition et de protection de l’information.
S’agissant des grands groupes et des centres d’excellence technologique (centres de recherche…), nous nous efforçons d’identifier les vulnérabilités et de mettre en place des politiques de diffusion des bonnes pratiques tant par rapport à la recherche que par rapport à la protection de l’information.

Sur quels sujets travaillez-vous en particulier ?
Les sujets sur lesquels nous travaillons sont divers et évoluent en fonction des besoins.
Ces sujets ont trait à des domaines aussi divers que la connaissance des marchés, la veille concurrentielle, la veille technologique, la sécurité des données (protection des systèmes informatiques, propriété intellectuelle, lutte contre la fraude, lutte contre la contrefaçon)…

Les questions à traiter peuvent être nombreuses. J’ai pour mission de déterminer quelles sont les priorités et d’assurer une meilleure articulation entre les services, afin qu’il n’y ait pas de redondance, et afin d’encourager le travail en commun dans la mesure du possible.

Quelles sont les grandes missions qui vous ont été assignées ?
Nous pouvons distinguer trois missions principales : la protection du patrimoine stratégique, la fonction d’analyse et d’anticipation de l’environnement international et la gestion de l’information.
S’agissant de la protection du patrimoine stratégique, il s’agit d’identifier et de conseiller les entreprises.
En ce qui concerne l’analyse et l’anticipation de l’environnement international, nous procédons à des études économiques appliquées à un domaine ou à une question en particulier. Par exemple nous avons réalisé une étude dans le domaine des matières premières minérales, les métaux rares, afin de regarder la stratégie des grands pays industrialisés en matière de gestion de la dépendance et d’identifier quels étaient les grands pays producteurs, les groupes opérateurs, les négociants…

Une autre question que nous avons étudiée est l’évolution de la filière logistique. Cette filière est un important gisement d’emplois et nous avons souhaité regarder ce que faisaient les grands pays européens dans ce domaine. Aujourd’hui les entreprises qui intègrent la fonction de transport logistique ont tendance à externaliser cette fonction et donc à avoir recours à la sous-traitance. En cela il y a un déplacement de la main d’oeuvre. Il est nécessaire que l’offre française puisse s’adapter.

Enfin, en ce qui concerne la gestion de l’information, nous nous intéressons à la mise en place de systèmes de gestion d’information, de systèmes de veille, de systèmes de sécurisation des données.
Ainsi dans le cadre des pôles de compétitivité, il est manifeste qu’il y a des progrès à faire pour sécuriser les plateformes d’échanges d’informations. Or la protection de ces structures collaboratives est essentielle. C’est pourquoi une initiative a été lancée sur ce point.
Par ailleurs, nous aidons les différents pôles à mettre en place une stratégie d’internationalisation afin de déterminer qui pourrait travailler sur le même sujet qu'eux, et d’envisager clairement qui pourrait être des concurrents ou des partenaires.

Quel rôle joue le Groupe Permanent pour l'Intelligence Economique dans la mise en œuvre de cette politique ?
Le GPIE est une structure interministérielle chargée de mettre en place concrètement la politique d’intelligence économique sous la direction de Mr Alain Juillet. Sont traités en son sein des dossiers individuels d’entreprises.
Par ailleurs sont également traités des sujets transversaux, de nature juridique et technique, par exemple liés à des évolutions chez certains de nos partenaires.

Pourriez-vous nous donner un exemple de cas de dossier d’entreprise sur lequel le GPIE a eu à traiter ? 
Assez récemment, une entreprise de technologie qui a remporté un grand contrat à l’étranger s’est vue attaquer par un concurrent pour violation de droits de propriété intellectuelle. Menacée de procédure judiciaire, cette entreprise s’est retrouvée confrontée à deux alternatives : soit prouver sa bonne foi en dévoilant sa technologie avec le risque d’être piratée, soit ne rien faire, refuser de communiquer les données et ainsi risquer d’être exclue du marché. Le GPIE a décidé d’étudier le cas afin d’envisager quelle serait la meilleure solution pour l’entreprise.

Que représente pour vous l’intérêt d’un travail en réseau ?
Pour notre part, nous sommes une petite équipe de 12 personnes au niveau central et 23 collaborateurs au niveau régional. A ce titre, nous avons besoin de solliciter l’ensemble des compétences qui existent et qui seraient susceptibles de nous aider : chambres de commerce, collectivités régionales, entreprises du secteur privé…

C’est ainsi que dans le cadre d’une veille technologique, nous travaillons avec des entreprises.

Que fait le gouvernement pour développer le travail en réseau ?
Tout ne peut être régler au niveau central. Il faut inciter les hommes pour qu’ils comprennent l’avantage qu’il y a à échanger et de ne pas dupliquer les travaux. Le rôle de l’Etat est de fixer le cadre, de créer des incitations et de veiller au bon fonctionnement des réseaux.

Au demeurant, je ne crois pas que les difficultés rencontrées soit spécifiquement liées à la culture française.

Y a-t-il des pays qui vous semblent pouvoir servir de modèle en matière d’intelligence économique ?
Je suis prudent à l’égard de la notion de modèle parce que l’environnement politique et culturel est différent d’un État à l’autre. La grande idée serait de dire que le modèle à prendre en compte est le modèle américain parce que l’intelligence économique est fortement présente aux Etats-Unis. Pour autant les modes de fonctionnement et d’organisation par rapport à la France sont très différents. Par exemple les liens qui existent entre l’administration et des entreprises.

Cela ne doit pas nous empêcher pour autant de nous inspirer de bonnes pratiques sur des sujets identifiés. Par exemple la protection des industries par rapport aux investissements étrangers notamment la protection des secteurs stratégiques. Il existe aux Etats-Unis un dispositif très efficace, le CFIUS. Selon ce dispositif, un investissement ne doit pas porter atteinte à l’intérêt stratégique ou à la sécurité nationale et l’État peut réajuster ce contrôle un peu comme il l’entend.

Pour notre part, nous sommes dans une autre logique. Nous sommes dans un pays de droit écrit, en cela il n’y a pas de place à l’arbitraire. Par ailleurs nous sommes totalement intégrés dans le cadre européen et en ce sens tous nos textes doivent être conformes au traité européen.
Ainsi nous ne pouvons pas transposer le dispositif américain en tant que tel mais nous pouvons nous en inspirer et c’est ce que nous avons fait. A été instaurée avec les entreprises étrangères qui veulent faire des investissements sur les secteurs sensibles ou sur des sujets qui posent des difficultés une espèce de relation contractuelle. À savoir qu’un certain nombre d’engagements sont demandés à ces entreprises avant d’investir.

Qu’en est-il des échanges dans le domaine de l’intelligence économique avec les pays européens ?
Il n’y a pas vraiment d’échanges possibles sur l’intelligence économique à l’heure actuelle tout simplement parce que le sens donné à l’intelligence économique varie d’un pays à l’autre.

Par ailleurs assez peu de pays ont une organisation équivalente à la nôtre.

Pour autant nous pouvons avoir des échanges sur des sujets précis. Le fonctionnement des fonds souverains, c’est-à-dire les fonds contrôlés par les Etats et les risques que ces fonds avaient pour des économies ouvertes comme les nôtres, est par exemple un bon sujet de dialogue avec nos partenaire européens, allemands au premier chef.

Selon Alain Juillet, il n'est pas normal que certains opérateurs puissent venir faire des affaires chez nous en bénéficiant de cette transparence propre aux pays européens tandis que chez eux l'accès aux mêmes informations est interdit. Aussi, l'usage du secret rime aussi avec le droit de réciprocité. Qu’en pensez-vous ?
Lorsque vous êtes dans une économie ouverte, une économie concurrentielle, vous pouvez être à la fois en position de demandeur et susceptible de faire l’objet d’une demande d’où l’idée de la réciprocité.
Bien sûr, il faut protéger les informations qui concernent des sujets sensibles, des domaines stratégiques, à fortiori la haute technologie ou encore la défense nationale.

En revanche, dans le cadre de projets d’investissement ou de projets d’exportation, le travail en commun doit se faire avec des gens qui sont de bonne foi et en utilisant tous les moyens de propriété intellectuelle ainsi que les systèmes de sécurité économique qui existent pour se protéger.

Par suite, il est vrai qu’il existe des sujets où nous faisons l’objet de demandes unilatérales de la part du gouvernement, notamment de la part de l’administration américaine qui, suite aux événements du 11 septembre 2001, a mis en place un solide dispositif  pour recueillir toutes sortes d’informations. Dès lors il faut faire attention que le souci légitime que peut avoir un pays pour se protéger n’aille pas au-delà du nécessaire et ne conduise pas à demander la communication d’informations concurrentielles.

Propos recueillis par Imen Hazgui