Interview de Frank Druet : Responsable du paramétrage des Offres tarifaires à la DSI, Bouygues Telecom

Frank Druet

Responsable du paramétrage des Offres tarifaires à la DSI, Bouygues Telecom

La technologie des RSE est maintenant mature. Toutes les barrières sont sociales et psychologiques

Publié le 22 Juillet 2010

Existe-t-il un réseau social dans votre entreprise ? Si oui, depuis combien de temps ?
Chez Bouygues Telecom, nous menons plusieurs actions, mais qui ne couvrent qu'une partie du réseau social. A partir de 2005-2006, nous avons commencé par déployer des sites intranet avec Microsoft Sharepoint. A l'origine, il s'agissait de sites plutôt institutionnels pour stocker des documents, communiquer sur un projet et partager de l'information (intranets créés pour des équipes, des projets, des événements, des filières). Entre 2007 et 2009, cette démarche a connu une forte accélération, jusqu'à atteindre 2 000 sites Sharepoint, représentant la clé de voûte du développement web 2.0 au sein de l'entreprise.

Comment s'intègre ce RSE dans l'organisation hiérarchique et fonctionnelle de votre entreprise ? Pouvez-vous identifier des étapes de déploiement de ce réseau social ?
Les intranets sont transverses et assez peu dépendants de la hiérarchie. Les deux canaux d'information (intranets et hiérarchie) sont distincts et fonctionnent bien en cohabitant parallèlement. Des initiatives de «chat» ont permis à des centaines de collaborateurs de s'entretenir avec le Directeur général, Olivier Roussat. Ces échanges avec un tel niveau de management n'existaient pas auparavant. Les collaborateurs participent et comprennent mieux la stratégie de l'entreprise.

La première étape s'est organisée autour d'une solution «sur étagère» simple et rapide : Sharepoint avec Microsoft, outil simple à utiliser et largement suffisant pour l'objectif poursuivi.

La deuxième étape a consisté à valoriser les initiatives internes par des «awards» et des actions de communication. Par exemple, mon wiki sur les offres tarifaires a gagné le prix du forum de l'innovation de Bouygues Telecom en 2008. En conséquence, les collaborateurs ont commencé à mieux connaître les wikis, leurs fonctionnalités, à échanger sur le sujet et à créer leurs propres wikis.

Et le pourcentage d'utilisation ?
Le nombre d'utilisateurs est très important, avec des profils de contributeurs et de consommateurs. On ne peut pas forcer les collaborateurs à tous contribuer. C'est une évolution de culture. Sur mon wiki utilisé par 25 personnes, 80% sont contributeurs. Quand un wiki commence à s'ouvrir à plusieurs centaines de personnes, la proportion de contributeurs est plutôt de 20%.

Le réseau social est-il aussi ouvert à l'externe ?

Aujourd'hui, ces sites Sharepoint sont essentiellement internes. Il y a quelques essais de sites vers l'externe, mais à ce stade, cela reste expérimental.

Pour nos clients, nous avons mis en place une plate-forme d'entraide sur le site http://www.bouyguestelecom.fr/, sur laquelle ils peuvent s'échanger des astuces sur les services et les mobiles et que nous supervisons : les meilleures réponses sont certifiées par notre service client.

Quel est l'impact sur la productivité ? Qu'en est-il du retour sur investissement (ROI) de l'utilisation des intranets ?
L'usage d'intranets facilite le partage et la pérennité de l'information. En ce sens, il y a une amélioration de la productivité.

Concernant le ROI, il ne faut pas chercher une mesure de sa valeur pure ou trop directe. L'investissement de départ pour la mise en place d'intranets est relativement peu coûteux et le calcul strictement financier du ROI n'a donc pas grand intérêt.

Au quotidien, ce sont de petits gains en productivité mais dont la valeur cumulée est importante. Le nouvel arrivant est opérationnel beaucoup plus rapidement puisqu'il peut capitaliser sur une base de connaissances déjà à sa disposition. Sur mon activité, nous sommes passés de 2 mois de formation à 3 semaines. Ensuite, l'information est plus pérenne, maintenue à jour et accessible plus facilement.

Le dernier point concerne l'état d'esprit et les valeurs. L'échange d'informations par email incite à l'isolement de chacun. Quand on commence à mettre en place des wikis, on actionne également une dynamique et des valeurs de partage, de solidarité, d'esprit de jeunesse, d'innovation qui augmentent la productivité même si c'est difficilement mesurable.

Quelle serait la valeur délivrée par le RSE à l'externe ? Quand est-il du ROI à l'externe ?
Ce ROI se mesure plutôt par l'impact du «si on ne le fait pas ?». Aujourd'hui, la nouvelle clientèle a l'habitude des emails, du «chat», des applications iPhone : si nous ne sommes pas présents sur ces axes, nous ne répondons pas à ses attentes. Il n'y a pas de ROI en termes de gains financiers. Il faut être présent là où les technologies se déplacent. Notre objectif est donc d'ouvrir au maximum nos canaux de communication vers nos clients.

On a par ailleurs déployé une plate-forme d'entraide, accessible sur notre site web. Nous sommes n°1 de la relation client ce qui ne se résume pas seulement à répondre au téléphone, mais aussi à entretenir une relation à valeur ajoutée sur Internet.

Quels sont les risques de la mise en place d'un RSE ?
Il existe des freins. D'abord des risques liés à la communication, avec ou sans nouvelles technologies, mais accentués par ces dernières. Il faut un minimum d'encadrement et une charte pour établir comment les gens peuvent parler aux clients et dans quel contexte.

Pour avoir un certain contrôle, on se doit de délimiter la liberté d'expression d'un collaborateur qui s'exprime au nom de Bouygues Telecom sur un forum public.

Ensuite, des habitudes, bien ancrées maintenant, d'envoyer des emails pour partager une information rendent long à venir le réflexe de publication sur le wiki.

Enfin, il faut gérer une contradiction : d'une part, les wikis fonctionnent sur le partage de connaissances, d'autre part, ceux qui détiennent cette connaissance (les experts) ont peu d'intérêt et d'utilité à contribuer à ces wikis. Que devient l'expert qui publie tout ce qu'il sait sur l'intranet de l'entreprise? Il faut trouver des moyens de valoriser ces contributions, d'expliquer dans l'entreprise que c'est bénéfique de prendre ce risque puisqu'on est plus fort par le partage que par la rétention d'informations. C'est l'une des façons d'être qui doivent évoluer.

Quels sont les axes de progrès que vous identifiez ? Quelles perspectives de développement ?
Aujourd'hui, les axes de progrès ne portent pas vraiment sur la technologie, mais davantage sur la culture et l'état d'esprit. Le principal risque serait de rester sur des échecs. Des échecs, il y en aura et il faudra les admettre, voire savoir en tirer profit. Mais il y a aussi des succès et il faut les mettre en valeur. Pour moi, la technologie en elle-même est mature. Ce que je demande à la technologie c'est d'être simple et efficace. Ensuite, toutes les autres barrières sont sociales et psychologiques.

Tribune Sciences Po de l'économie de l'immatériel,